Dire qu’on a assisté à des concerts où on ne s’est pas rendus a longtemps été un sport national. Il y aurait suffisamment de monde pour remplir trois fois l’Accor Arena de Bercy avec les seuls spectateurs qui ont vu Jeff Buckley au Passage du Nord Ouest en septembre 1994. Les quarante spectateurs ayant vu les Sex Pistols le 4 juin 1976 au Free Trade Hall de Manchester sont aujourd’hui au moins cent fois plus et il n’y a guère que le loup-garou de Joël Houssin dans son Temps du Twist (roman de 1990) qui n’a PAS vu Led Zeppelin à Londres en 1969. On recommande toujours la lecture sur les concerts mancuniens des Pistols du I Swear I Was There de David Nolan, qui tente de faire la part des choses entre l’affabulation et les présences effectives de tel ou tel.
Le weekend dernier encore, le public éclaire parisien se divisait entre Fidlar et Nick Cave, avant que certains ne prétendent (le lendemain) avoir vu Nine Inch Nails en concert…. Prétendre qu’on a vu tel ou tel concert a longtemps été un sport national dont les règles du jeu pourraient changer avec : 1/ les réseaux sociaux : prétendre qu’on est quelque part sans trace matérielle – photo sur son téléphone, post facebook, instagram, vidéo tik tok ou je ne sais quel autre réseau – serait lourdement suspect aujourd’hui. “Ouais, tu vois, j’ai préféré laisser mon téléphone dans le sac, histoire de profiter émotionnellement à fond du concert… ” Bobards… 2/ l’IA, notre déjà vieille amie au service de tous les mensonges, nous permettrait ainsi de nous mettre en scène aisément là où on était pas pour fournir aux incrédules des preuves de notre vie exaltante et pleine de moments forts. D’un côté, les forces de la vérité (la preuve par l’image), de l’autre, le mensonge à la portée des caniches. Qui l’emportera ?
Histoire d’illustrer cette nouvelle lutte, on a essayé de recourir à l’IA pour apporter un témoignage solide selon lequel on aurait assisté au concert de reformation de Oasis à Cardiff. C’était l’endroit où il fallait être et comme… on a déjà vu Oasis et… qu’on est déjà allé à Cardiff, on se disait que ce serait assez fastoche. Entre les articles par milliers de la presse anglaise : “c’est le jour le plus important de ma vie”, “j’ai vendu deux billets VIP hier pour m’acheter un nouvel appartement”, “il a tué son meilleur ami pour lui voler son billet”…. et la couverture médiatique surdimensionnée du phénomène, on pensait que l’IA allait nous monter quelques photos réalistes en deux ou trois prompts rapidement composés. Mais ça ne s’est pas passé comme on voudrait… et je suis certain que nombre d’entre vous se sont déjà heurtés à cette difficulté : l’IA n’en fait qu’à sa tête et est souvent d’une connerie monumentale.
La première photo qui sert d’illustration à ce billet nous présente en chair et en os devant la scène de Cardiff. Le public est derrière nous… sauf que : le grand mec qui chante n’est pas Liam Gallagher; la scène n’est pas la scène de Cardiff mais un vague truc néo-hippie qui ressemble à la scène de Knebworth et que…., comme on a dit à chat GPT, qu’on était fan du groupe, cette intelligence a trouvé bon de nous affubler d’une coupe bob, caractéristique non pas de Oasis mais des Inspiral Carpets, en plus de retoucher notre visage.
2ème commande : on fait prendre conscience à l’IA qu’on a demandé un MODE REALISTE et que son truc ne va pas du tout. Elle change de paradigme, semble adapter le contexte au sujet en plaçant cette fois les deux frères Gallagher, très peu ressemblant, sur une scène où est noté Cardiff. C’est un peu mieux. Mais elle remplace notre mine tristounette par un type irréel vaguement rigolard. Contre-sens. Purée, l’image est cool mais elle ne ressemble ni à Oasis, ni au fan qu’on voudrait être.

Troisième tentative (il y en a eu huit ou neuf) : l’IA reste ferme sur ses positions. Elle garde Cardiff et les Gallagher à l’arrière-plan, efface le mec hilare pour créer un nouvel avatar qui se trouve affublé d’une coupe mi-bob, mi-chaussée aux moines, et d’un visage qui n’a rien du nôtre mais que porterait un type au bord du suicide.
Conclusion : On est pas allés au concert de reformation de Oasis mais on a regardé quelques vidéos. Il n’y a aucune chance à ce stade de l’évolution pour que l’IA gratuite et sans abonnement nous permette d’abuser quiconque sur ce pélerinage et quon nous prenne pour l’une des 74506 personnes qui ont assisté à l’événement. Tu parles d’un truc révolutionnaire.
Conclusion bis : l’IA c’est pourri.

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