« Les Chevals Hongrois est un ensemble d’individus scandant des juxtapositions sur des rythmes binaires: du rap néfaste à tendance tropicale. » Cela fait un certain temps que cette tentative de définition figure en haut du site Bandcamp des Chevals Hongrois. Elle n’est pas mauvaise mais sans doute un peu réductrice. Parfaitement servis par des instrus remarquables signé du voisin Bleu Russe, les Chevals Hongrois aka Roland et Muda, reviennent avec ce nouveau disque, Les Plus Beaux Virages de France, qui est nettement plus élaboré et soigné que les précédents.
Que les puristes et anarchistes se rassurent, c’est toujours un beau bordel et une surprise permanente que de voir une chanson se déverser dans une autre, de suivre une collection de morceaux qui s’enchaînent comme s’ils étaient improvisés devant vous et tenus ensemble par la seule magie de l’amitié. Entre Oï gilets jaunes (le joyeux La Fête au Virage), narration historico-solennelle incorrecte (surtout grammaticalement) et vrai rap fauché/coulé, les Chevals Hongrois célèbrent l’art de composer avec un enthousiasme et une créativité qui éblouit et cloue souvent sur place. On se marre à chaudes larmes sur le génialissime et parodique (si, si) la Traversée du désert (« c’est pas le désert qui traverse le rappeur, c’est le rappeur qui traverse le désert« ), morceau odyssée de plus de 7 minutes sur l’indépendance et l’inspiration. On retrouve la verve de la désormais classique École de Grenoble sur la scansion binaire et la manière de cracher les consonnes et les syllabes qui réunit les Chevals Hongrois et les Bébés de Merde. Certaines mélodies vocales semblent d’ailleurs sauter de l’un à l’autre, comme s’il s’agissait d’une seule et même famille et l’on se délecte du featuring du bébé n°1 sur le dernier morceau.
Mais l’influence presque étrange qui domine ici est finalement celle d’un rap des origines assez semblable à celui des Marseillais d’IAM, foisonnant, festif, fougueux (comme un chevaux des steppes centrales). On ressent cette même force collective, cette même vigueur et cette même intention de se servir du format rap pour satisfaire un besoin de dépasser la pop française, la variété, le folk, le rock (on pense aux Wampas autant qu’aux rockeurs alternatifs type Ludwig von 88 et Négresses Vertes). C’est dans cette marmite bâtarde et nappée de fonte que les Chevals Hongrois fabriquent une potion émouvante, souvent bien écrite (le superbe La Belle Vie), remuante, pétillante, trash et réaliste (l’impeccable Coupe du Monde… où un type se coupe du monde!), mais parfois angoissante ou glaçante (Le Manège des Corbeaux).
Le disque est joyeux et sinistre à la fois, violent et abrasif à force d’ironie. Le Kebab et la Galette ressemble à un proto-rap venu tout droit du tout début des années 90, ambiance Ombre Est Lumière, foutraque et absurde. Le texte évoque les techniques respectives pour faire des kebabs et des galettes, et entretenir sa plaque/sa broche. « A chacun sa sauc e/ A chacun sa sauce / Le kebab, le tacos et la galette. C’est pas de ma faute si tu as pris trop de sauce pili-pili. » Les productions sont épatantes et accablantes mais souvent géniales à l’image des Lovecats de Cure qui viennent faire la claque à l’arrière-plan sur un Parabellum hermétique et voler la vedette aux artistes principaux. Difficile d’avoir une appréciation juste et ferme sur un disque qui part dans tous les sens et fatigue parfois par cette profusion et cet éclatement thématique et musical. On se marre et on prend soin surtout de ne pas fermer la porte en sortant.
Ces Chevals Hongrois sont fougueux jusqu’à épuiser l’auditeur, dingos, généreux à l’extrême et délicieusement engagés. Virage fait partie de ces disques qui vont droit dans le mur mais ressurgissent derrière, intacts et encore plus vivants.
02. La Belle Vie
03. Coupe du Monde
04. Le Manège des Corbeaux
05. A Moitié feat. Bleu Russe
06. Virage Dangereux
07. Répétition
08. Le Kebab et La Galette
09. Parabellum
10. La Fête au Virage
11. Ultime Virage
12. La Traversée du Désert
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