Le problème majeur qu’on aura demain avec l’IA tient autant à la question de la création musicale (notre papier sur The Velvet Sundown a fait école et on s’en félicite) qu’à celle de la falsification d’informations ou de contenus. La problématique de l’authenticité de l’info n’est pas nouvelle et il n’a pas fallu attendre l’émergence de l’IA pour que les fake news et autres intoxs factuelles prospèrent. L’IA vient toutefois fournir aux falsificateurs un outil et des instruments qui sont sans commune mesure avec les outils du passé. Et comme souvent, ce sont les stars de la discipline qui en pâtissent et risquent de devenir l’objet de rumeurs ou de clichés plus ou moins authentiques, déjouant les protections qu’ils peuvent mettre à l’entrée de leur vie privée.
En guise d’illustration, et puisque c’est de saison, les images qui suivent DONT CERTAINES SONT FABRIQUÉES PAR L’IA circulent sur le net et prétendent donner à voir les vacances de certaines stars planétaires de la musique parmi lesquelles : Robert Smith de The Cure, qui chaque année passe ses vacances près de Beachy Head près d’Eastbourne, à l’endroit même où il y a des années le groupe enregistrait le clip de Just Like Heaven. On est habitué à voir Robert Smith sur scène, parfois backstage comme c’était le cas dernièrement à la sortie du festival de Glastonbury où il s’envoyait des shots avec sa nouvelle amie Olivia Rodrigo, mais beaucoup plus rarement en tenue de plage. Et pour cause, le leader de The Cure ne donne à la presse aucune indication quant à ses destinations estivales, pas plus qu’il n’autorise les paparazzi à le saisir en tenue de plage.
Autant dire dès lors que les photos qui circulent cet été présentant le chanteur sur la plage ou à la cool en train de lire l’Attrape Coeurs de JD Salinger devant un cabine de plage gothique sont selon toute probabilité DE FAUSSES PHOTOS. Comment en être certains ? Hé bien fastoche. Il suffit de regarder en zoomant le livre que Robert tient entre ses mains. Le texte n’est pas juste car c’est encore un des points faibles de l’IA : reproduire des textes est si difficile que l’IA qui est (rappelons le) débile et stupide malgré tout se plante à tous les coups. Est-ce que vous croyez que Robert se laisserait abuser et perdrait son temps à lire une édition de Salinger qui serait un mélange d’anglais et d’allemand où même la couverture est écrite en un charabia sans nom ? Hé bien, non, c’est donc que cette photo est une création 100% IA. Méfiance.
Mais les ravages de l’IA ne s’arrêtent pas là car on a rassemblé aussi deux autres créations suspectes. La première présente le chanteur bien connu d’Orléans Matthieu Malon lors de ses vacances de juillet sur les hauteurs d’Orléans-la-Source, un quartier populaire du joyau du Centre Val de Loire. Le regard est inspiré, la pose visiblement travaillée et le décor un mélange 100% fabriqué par IA de scènes qui ressemblent vaguement à Bercy (à l’arrière-plan) plus qu’à un quartier prioritaire de la politique de la ville. L’IA va encore plus loin car elle a pris soin pour masquer la piste d’ajouter à la photo une signature d’une authentique photographe, Marion Ruszniewski, qui existe bel et bien et a d’ailleurs réalisé une série de vrais clichés avec le chanteur. Comment savoir si cette photographie est authentique ou un fake ? Pas simple. Décor improbable, attitude artificielle, regard un peu trop poétique pour être honnête : il faut beaucoup de vigilance pour démasquer la mascarade.
Même interrogation devant cette photo (voir ci-dessous) supposément signée David Tonge (pour l’agence Getty Images) qui prétend présenter le chanteur de The Happy Mondays durant un séjour estival à la Barbade. IA ou pas IA ? On vous laisse juges. On pourrait croire que la photo est authentique car à l’époque l’IA n’existait pas. C’est une bonne explication. La pose est naturelle et bien en phase avec les récits d’orgies et de débauches qui ont accompagné l’enregistrement (raté) de Yes Please. Le maillot de l’équipe d’Angleterre est vintage et raccord avec la période qu’on date au début des années 90. La plage est conforme à l’idée qu’on se fait de la Barbade et le fauteuil gonflable est lui-même référencé sur divers sites (un exemplaire a été vendu à Affaire Conclue il y a quatre mois pour 250 euros) comme un must des équipements balnéaires de cette époque. Pour savoir si la photo est authentique, on ne peut guère que se fier à cette bouteille de Smirnoff posée négligemment à côté du chanteur et qui est… à demie pleine. Qu’en déduire ? Est-ce que Ryder a posé la bouteille avant de poser pour la photo avec l’idée de la terminer plus tard ? Est-ce une fausse bouteille remplie à demi par l’IA pour nous faire croire que Shaun Ryder en avait déjà consommé la moitié ?
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On voit bien que même un raisonnement développé ne permet pas de faire la part des choses et de révéler le mystère de cette photo. IA or not IA ? Autant la photo de Robert Smith et celle de Matthieu Malon apparaissent comme des photos forgées de toutes pièces par des esprits malfaisants autant celle de Shaun Ryder est quasi indiscernable. Serait-elle vraie ? Est-ce si important qu’elle le soit ?
L’IA va peu à peu déjouer notre capacité de raisonnement, dépasser notre entendement. C’est pour cela qu’il faut s’en méfier. Elle veut nous apprendre des choses sur les gens qu’on connaît déjà : oui, Robert Smith se baigne à la mer même si on ne l’a jamais vu. Oui, Matthieu Malon selon toute probabilité est du genre à se balader la nuit sur des toits chelous pour puiser l’inspiration de ses chansons déprimées et urbaines. Oui, Shaun Ryder est du genre à picoler de la vodka sur une plage. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? L’IA est l’ennemi, pas pour ce qu’elle révèle vraiment ou nous fait croire mais parce qu’elle veut remplacer notre imagination et l’éteindre définitivement. Le danger n’est pas qu’on prenne pour vraies des choses fausses mais qu’on sache maintenant que vrai et faux n’ont aucune importance.
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