NEWEM / Moonpark
[bORDEL Records]

8.9 Note de l'auteur
8.9

NEWEM - MoonparkOn peut s’étonner trois mois après la sortie du disque qu’un projet aussi enthousiasmant, mystérieux et référencé que le Moonpark de NEWEM, qui plus est signé par la moitié masculine de l’un des groupes électroniques les plus connus de France, Scratch Massive, n’ait rencontré aucun écho dans notre pays et ailleurs.

Sorti sur le label maison bORDEL RecordsMoonpark aura pâti probablement du faible intérêt que manifeste actuellement la critique généraliste pour les musiques électroniques. Tout le monde s’en fout et il n’y a plus grand monde dans les rédactions qui se targue d’y connaître quoi que ce soit. Depuis l’exaltation pour le dubstep au milieu des années 2000 et à quelques exceptions près, les artistes électro sont redevenus invisibles et cantonnés aux sites spécialisés. Le mouvement d’invisibilité vaut même si on s’appelle Sébastien Chenut et qu’on propose avec ce NEWEM masqué et à l’iconographie parfaite, un projet haut de gamme et infiniment en phase avec la modernité.

On ne peut évidemment s’en vouloir qu’à nous-même d’avoir oublié d’intégrer le Eyes Linger chanté avec les cold wave Curses, qui rappelle les balades électro-crépusculaires d’un Bowie finissant, à notre classement des meilleurs morceaux de l’année 2022. Le titre bien campé au milieu de ce premier album qui emprunte son nom à un parc urbain de Los Angeles, situé non loin du domicile de l’Angevin, est non seulement impeccable mais célèbre avec une évidence foudroyante l’immense réussite qu’est ce premier disque.

NEWEM agit masqué comme d’autres avant lui (Burial, Daft Punk bien sûr), révélant au public une bande-son taillée pour les univers digitaux et urbains des cités-sans-limite, la déambulation entre chiens et loups dans un post-tout de science-fiction hanté par les fantômes de nos anciennes vies. Chenut a expliqué lors des rares interviews qu’il a données qu’il avait voulu expérimenter avec ce disque au delà du format pop ou chanson qui est celui dans lequel il oeuvre d’habitude. Moonpark est un disque qui prend son temps et agit comme la bande son d’un film imaginaire. On pense à ces déambulations glacées dans un Los Angeles sans visage qui rappellent David Lynch ou rythmeraient parfaitement la lecture d’un Brett Easton Ellis de fin de soirée, lorsque les paillettes et le soleil ont disparu. Les rythmiques sont lourdes et pesantes, conférant à l’ensemble une gravité et un impact assez extraordinaires. Une fois passée la généreuse introduction new age, Genesis, Chenut nous précipite d’emblée dans un territoire incertain et hostile qui sonne comme du Carpenter survitaminé et enrichi en basses sur Font Brune. On devine un travail de titan réalisé pour mêler les instrumentations organiques et les machines, les vraies fausses voix et les fausses plaintes fantômatiques. Tears of Joy est une petite tuerie sur beat rapide qui se déverse dans l’electronica abstraite d’un Silk Shadow aux lointains échos berlinois. L’ambient crépusculaire et joueuse de Death In Hong Kong est immersive et rappelle la virtuosité des Blood Brothers de Pressure Drop. Comme chez eux, on sent chez NEWEM la tentation de revenir vers la pulsation élémentaire de la soul et de la funk, de repasser au format chansons qui vient illuminer le black out électronique. C’est dans ce contexte que NEWEM signe avec la chanteuse Prudence aka Olivia Merilhati (The Dø), un The Thrill I Need, somptueux et qu’on aurait rêvé d’entendre en sortant d’un énième visionnage de Blade Runner. Le génie d’un tel morceau est de faire apparaître au grand jour les jeux de correspondance entre les musiques populaires et les musiques électroniques. La vérité passe par les basses, par la chaleur de la voix et par l’éclat du rythme. Comme Blackmoon est au moins aussi bon, on entre avec NEWEM dans une lévitation/déambulation post-urbaine à la fois ultrasensuelle et iréelle.

La ville s’étend devant nous, infinie et impossible à conquérir. Le ciel est rouge et chargé de promesses. On devine les cadavres planqués sous les dos herbus des collines, les antennes relais dressées pour attirer les créatures d’autres galaxies. Moonpark a la froideur des réalisations d’un Gus Van Sant, un faux aspect réaliste qui trompe bien son monde, en même temps qu’il renvoie une image-fantasme d’un univers passé et hanté par les souvenirs de ceux qui sont tombés là. Ikko fout les jetons et enchante comme si on venait de croiser un fantôme japonais au self de la cafétéria. Mirroring sonne comme un morceau de Scratch Massive qui refuserait de décoller, une sorte de faux reflet dans lequel l’image radieuse de la pop à venir se noierait par erreur.

Moonpark est un disque angoissant et passionnant dans sa manière de décrire le monde comme un habitat foncièrement étranger et dérangé. C’est un disque qui prend en compte la distance qui se creuse entre le réel et nous au gré de nos digitalisations/confinements/réclusions volontaires. L’intégration de la machine et de l’humain n’est plus un vieux fantasme, ni même une menace : c’est devenu une réalité à cœur unique. Nous ne formons plus qu’un. Un unique battement. Un unique désenchantement. Moonpark n’est pas l’œuvre d’un homme seul. Il s’écrit sur et par le vide, l’œuvre du nombre et des millions de mains tendues.

Tracklist
01. Genesis
02. Font Brune
03. Tears of Joy
04. Silk Shadow
05. Eyes Linger feat Curses
06. Death in Hong Kong
07. The Thrill I Need feat Prudence
08. Blackmoon
09. Stroyshark
10. Ikko
11. Mirroring
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