Paradis / Recto Verso [Barclay]

2 Note de l'auteur
2

Paradis - Recto VersoC’est dans les vieux pots que l’on invente les meilleures choses ? Peut-être le duo Paradis est-il parti de cette considération (ni vraie ni fausse) au moment de confectionner son premier album. Recto Verso navigue ainsi dans une électro-pop matinée de légères digressions house, le tout sous le joug du low-tempo et du slow variété. Pourquoi pas ? On y retrouve l’influence Alain Chamfort (dont Paradis reprend… Paradis) et des Pet Shop Boys 80’s. Et il faut reconnaître que cette affaire est plutôt bien produite, quoi que, justement, trop bien produite : chaque note synthétique est à sa place, le pattern suit tranquillement sa route, aucune fissure à l’horizon…

Ce qui oblige à se questionner sur l’intérêt du passéisme électro-pop. Il est en soi naturel qu’une jeune génération puise aujourd’hui dans l’axe New Romantics ou Melancolic Pop, mais le revival commence à s’éterniser. La musique de Paradis n’offre, sur ce point, aucune alternative inédite : facilement assimilables car naviguant dans un terrain archi connu, jeunes mais déjà vieilles, ces compositions suintent un peu trop le travail bien fait, l’allégeance courtoise.

Chamfort comme les Pet Shop Boys naviguaient (et naviguent encore) dans l’art du contrepoint : musique dansante, enjouée, mais paroles glaciales, ironiques, voire franchement désabusées. Paradis, dans une bulle, reste très premier degré – l’acerbe ou le goguenard, pas chez eux. Le duo tente certes parfois de retrouver ce dandysme blessé inhérent aux plus belles chansons de Chamfort, mais le propos reste flou, à peine esquissé.

Car Paradis n’a pas grand-chose à dire. Les textes (scolaires) parlent (forcément) d’amourettes adolescentes un peu contrariées, de sentiments intègres soumis aux aléas de la passion. À moins de posséder un cœur d’artichaut et d’être resté kéblo sur la première rupture sentimentale, l’identification demande ici un effort sans espoir. Les vieux jeunes parlent aux jeunes adultes.

Extirpé du sentimentalisme maladroit, Paradis est à court de thématiques. Reste donc à s’appesantir sur le pire sujet qu’un musicien puisse dénicher : le travail et l’ambiance au moment d’écrire un morceau ou de le jouer sur scène. Et c’est à un véritable petit manuel technique que nous convie Paradis. Florilège : « La voix un peu filtrée pour étouffer la timidité » (faites quand même gaffe aux effets sur la voix, cela s’entend), « des harmonies accidentées » (sur le prochain album ?), « Quelques directions qu’on aurait discutées, si peu de choses si vous saviez » (non, t’inquiète, on avait compris), « J’me sens mal, animal, quand on m’explique ma musique » (faudra t’y faire, désolé), « Décalé / je cherche / quitte à m’épuiser / une chanson comme un miroir dans laquelle je peux me voir » (c’est peut-être un problème de table de mix ou de micros mal placés, ou bien les aigus ne résonnent-ils pas assez forts – d’où ce décalage), « De semaine en semaine, je serre les dents sur le BPM » (je ne sais pas : tirez un coup avant de monter sur scène, cela détend pas mal), « Ce truc qui tourne à la radio / La nuit défile en stéréo » (une rime que l’on pensait définitivement interdite, faut croire que non)…

Ce retour à l’école Oui-Oui (qui regroupe également The Pirouettes et La Femme) tombe finalement assez mal : l’époque n’a que faire de cet individualisme joliment effarouché. Les temps mortuaires n’incitent-ils guère à s’extraire de son petit confort personnel pour jeter un œil sur le monde ? (Puis tenter, pour chaque musicien, de se placer dans une idée de collectivité au lieu de labourer son dérisoire m² ?)

Certes : la chanson engagée (du moins, en France) est à sens unique (les musiciens de gauche s’adressent aux auditeurs de gauche – autant dire que ce discours, auquel nous adhérons pourtant, ne sert à rien ni à personne). Mais l’opposé est tout aussi redoutable : faire comme si les peurs n’existaient pas, entonner un refrain honteusement utopique, enjoliver les petits problèmes du quotidien. Vivre dans le passé, en somme… En 2016, malheureusement, un tel état d’esprit, par sa facilité ou son égocentrisme, est dorénavant inacceptable.

Tracklist
01. Instantané
02. Recto Verso
03. Quand Tu Souris
04. Toi Et Moi
05. Mieux Que Tout
06. Garde-le Pour Toi
07. Miroir (un)
08. Miroir (deux)
09. Paradis (reprise)
10. De Semaine En Semaine
11. Contours
12. Chacun Pour Soi
Écouter Paradis - Recto Verso

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