Ceux qui continuent de prendre les rappeurs pour de gros débiles incultes devraient se pencher plus sérieusement sur l’oeuvre gigantesque du RZA, le taulier du Wu-Tang Clan et auteur de… Ooh I Love Your Rakeem (on déconne). Le bonhomme est une mine de connaissances et un touche à tout de génie. Son œuvre rap suffit bien évidemment à en faire l’un des artistes majeurs de ces trente dernières années mais l’artiste est passé maître depuis bien longtemps dans le développement de projets ambitieux et variés. On peut citer pour rappel son travail avec Paul Banks d’Interpol, la création d’une BD et de sa bande-son, les projets surprenants de son alias Bobby Digital ou encore et surtout ses innombrables travaux de composition pour le cinéma.
En 1999, la BO du Ghost Dog de Jim Jarmush a évidemment marqué les esprits mais elle a été suivi de nombreuses compositions tout aussi excitantes allant d’un documentaire sur le génie d’Alan Moore, à la musique de Kill Bill en passant par quelques disques pour des histoires de samouraï. Il était toujours un peu possible pour les auditeurs, sur la plupart de ces réalisations, de relier le travail du RZA à ses productions originelles, la maîtrise des basses et des beats servant souvent de point d’appui à ses créations. Ce qu’on savait moins peut-être, c’est que le bonhomme Robert Fitzgerald Diggs, de son vrai nom, semble avoir suivi également quelques leçons de composition classique. Il joue du piano et a un appétit démesuré pour toutes les musiques et notamment la musique classique « à tendance opératique »/héroïque qu’il a nourri à travers le visionnage de films en tous genres et qui font de lui un compositeur techniquement tout à fait habile et aguerri.
Avec la complicité du Colorado Symphony Orchestra et du chef d’orchestre Christopher Dragon, le RZA a créé pour la scène (à Denver, Colorado) un ballet qu’il a retravaillé à partir d’une histoire et de paroles qu’il avait composées alors qu’il était adolescent. Ecrit et développé pendant la période (bénie) du Covid, cette pièce a été assez vite, dans un geste audacieux, débarrassée de tout texte et de tout chant pour devenir une musique de ballet tout ce qu’il y a de plus belle et traditionnelle. La pièce « raconte » tout de même le parcours d’une jeune femme qui s’élève de sa basse condition pour rejoindre ses rêves malgré l’adversité. Ce développement autour d’une parcours initiatique et didactique est très classique mais donne lieu à 47 minutes d’une musique remarquable, inspirante et qui s’abreuve aux bonnes sources classiques. On ne s’amusera pas à commenter plage à plage ce spectacle (qui a depuis été redonné en novembre à Los Angeles, lors d’un concert gratuit « inspirant » ouvert aux jeunes) mais le RZA a avoué avoir « pris conseil » en réécoutant le travail de Leonard Bernstein, dont l’entrain et la simplicité ligne claire sont très présents ici, mais aussi et peut-être surtout de Debussy. On peut y trouver aussi quelques motifs américains et une similarité dans les arrangements notamment avec l’écriture démocratique et héroïque d’un Coupland. Là où RZA surprend toutefois, c’est que sa musique de ballet n’est jamais « explosive » ou marquée par des tempos faciles et des escalades rythmiques. C’est d’une sobriété absolue et d’une délicatesse savoureuses à l’image du magnifique Freedom of Movement, qui donne une assez bonne idée de la retenue appliquée par le compositeur.
On ne va pas se risquer à crier au génie mais entre la pure musique de ballet et la bande son d’un film imaginaire, cette pièce de musique classique offre de vraies émotions et transpire l’élégance et la précision, la poésie et l’inspiration à chaque seconde. Surprenant donc mais en lien avec les thèmes habituels du RZA (le développement, la lutte, l’amour, le courage), ce Ballet Through Mud est une merveille. On espère fortement que la production passera l’Atlantique et viendra faire un tour en Europe. En attendant, le disque est disponible uniquement en format numérique et en vinyle.
02. Clear Sky After Storm
03. A Ballet Through Mud
04. Winds From The West
05. Divine Intervention
06. Freedom of Mouvement
07. Soft Footsteps
08. Good Night 1st Mouvement
09. The Night Dances When You Least Expect It
10. Moving Meditation
11. The Lotus Arrives
Lire aussi :
Wu-Tang Clan / The Saga continues