La précédente livraison du RZA sous son alias de Bobby Digital remontait à quasiment 15 ans, avec la sortie de l’album Digi Snacks en 2008. Autant dire que ce Bobby Digital and The Pit of Snakes fait office de vrai faux événement, dans la mesure où les disques du leader du Wu-Tang Clan ont été rares ces dernières années. Le EP collaboratif avec DJ Scratch sorti en début d’année, Saturday Afternoon Kung Fu Theater, n’a pas convaincu grand monde malgré ses indéniables qualités et, par sa forme même, se limitait en ambition. Ce nouveau projet est un album qui n’en est pas un… dans lequel on aurait voulu voir plus que ce qu’il est.
Attaché d’abord à un projet comics, ce nouveau Bobby Digital a des allures d’album à part entière, servi qui plus est par un solide socle narratif qui est celui de la bande dessinée qu’il accompagne et que, pour l’heure, personne n’a lue. De bout en bout, il se présente toutefois comme un projet annexe. On se retrouve ainsi à critiquer presque à l’aveugle un disque qui n’était à l’origine qu’un album d’accompagnement multimédia d’un produit comme s’il s’agissait d’un disque et uniquement de cela. Cette lecture hâtive est de nature à tromper le chaland sur la nature du produit et à générer de la déception. Ce The Pit of Snakes n’a pas la tenue, l’ambition et la prétention d’être un grand disque. Il n’en reste pas moins un album fréquentable et assez passionnant pour que les fans du Wu et du RZA y prêtent une oreille attentive.
Ce que prouve le disque, c’est que Bobby Digital aka le RZA n’a pas actuellement toute sa tête à la musique et qu’il continue de travailler plutôt sur des produits mixtes, multimédia, audio/images, plutôt que de vouloir se limiter à la musique qui l’a fait connaître. L’avantage est qu’il va de l’avant. Le défaut, diront les autres, est qu’il se disperse et ne propose plus rien de décisif. On peut ainsi reprocher au disque de n’être pas si abouti et fort que les premiers disques du bonhomme, de toute manière impossibles à égaler.
Under The Sun, à l’entame, est un truc bizarre qui démarre par un narratif appuyé avant d’évoluer vers un assez sublime morceau de soul opératique à la mode western qui vient lancer l’intrigue mais n’a pas grand chose à voir avec le territoire de prédilection hip-hop de l’intéressé. Si l’on ajoute à cela que la fin du titre est assez abrupte, il y a de quoi être déstabilisé. La suite rassure avec un Trouble Shooting qui renvoie de manière plus prometteuse que réussie aux travaux du RZA avec Paul Banks : mi-pop, mi-rap, voilà le credo. Le résultat reste mitigé car englué dans un gros son qui tâche sur sa dernière partie.
Le côté opératique de l’album nous rappelle que l’on adorait à l’époque le Prince Among Thieves de Prince Paul (c’était en 1999) et cette période où le rap frayait avec les comédies musicales en fantasmant sur des films de gangsters, de kung-fu ou des westerns urbains. C’est dans ce registre que Bobby Digital évolue mais avec une ampleur et des morceaux qui s’avèrent à chaque fois un peu décevants ou, disons, pas suffisamment emballants pour faire la différence. Les intentions de Something Going On sont bonnes mais le titre se développe de façon assez quelconque. On retrouve avec We Push, la virtuosité et les rythmes du compositeur de Ghost Dog (avec un vague écho du thème à l’arrière-plan) mais il manque un petit quelque chose au morceau pour qu’on crie au génie.
Il ne faut pas faire la fine bouche pourtant. La production est variée, imaginative et caractéristique de ce mélange de modernité et de black music old school que propose le RZA. L’ambiance de film de sabre et de Tarantino black est tout à fait restituée si bien qu’on a hâte AUSSI de lire la BD associée. Cowards a la classe et Fight To Win est un sacré morceau, bordélique et expérimental où la tentative d’embrasser jazz, funk, electro-funk princier et hip-hop est quand même sacrément audacieuse.. mais avorte trop vite. Celebrate Life sonne comme du Automator en train de siroter un Martini olive et c’en est fini avec une Outro anecdotique et délicate. Bof, bof. C’est un peu court jeune homme !
Bref, demi-album et album à demi, on avait sûrement trop espéré de cette affaire là qui divertit avec art et procure beaucoup de plaisir, mais ne changera pas la face du hip-hop. Ça s’écoute, ça distrait mais ça s’oublie probablement aussi vite. Il faudra attendre encore avant de crier au retour du Roi. Mais on aime toujours Rakeem à la folie.
02. Trouble Shooting
03. Something Going On
04. We Push
05. Cowards
06. Fight To Win
07. Celebrate Life
08. Live Your Own Rythm (outro)