Ennio Morricone (1928-2020) monte au ciel

L'oiseau au plumage de cristalIl faudrait être fou pour prétendre écrire un hommage, en quelques lignes, à Ennio Morricone quand on peut simplement profiter de l’événement que représente sa disparition à l’âge de 91 ans, dans une clinique romaine, suite à une fracture du fémur, pour réécouter sa musique.

On a le choix. Entre les pièces pour orchestres, ses quelques compositions personnelles et symphoniques, et les quelques 500 partitions pour bandes originales de films qu’il laisse derrière lui, chacun pourra se souvenir de ce qu’il veut sans se tromper. Morricone était-il le compositeur de musique absolue et d’avant-garde de ses jeunes années et des années 60 ? Etait-il un arrangeur de génie ? Etait-il le roi des choeurs ou un chef d’orchestre admirable ? Un amateur de cinéma de genre, aussi à l’aise pour illustrer un giallo, qu’un western, un nanar érotique qu’un chef d’oeuvre du cinéma ? Impossible de ne pas mentionner au moins son travail sur Il était une fois dans l’Ouest, film-monde réalisé en 1968 par Sergio Leone. Selon la légende, Morricone aurait été amené à écrire et réécrire chaque mesure de cette BO incroyable des dizaines de fois. La musique (ce qui ne se fait quasiment jamais) aurait été jouée en direct pendant le tournage pour que les acteurs puissent s’en imprégner et se hisser au niveau de solennité et de romantisme dicté par la partition. Morricone a longtemps été associé à la théâtralité baroque du film et à cette orchestration ultraexpressive des émotions à la limite de la boursouflure qu’il réussit souvent à désamorcer et à humaniser par l’emploi de contre-techniques parmi laquelle l’utilisation de l’harmonica reste la plus remarquable.

En 1970 (et ce sera l’unique autre souvenir qu’on convoquera avant de vous renvoyer aux biographies autorisées et plus complètes), Morricone réconciliera le compositeur de musique en sachet qu’il était déjà et deviendra par la suite et ses aspirations de jeune tête chercheuse de la musique italienne pour illustrer L’uccello dalle piume di cristallo de son ami Dario Argento.  Le film est une merveille et l’exemple même du chef d’œuvre qui ne tient qu’à un fil. La partition de Morricone est parfaite, classique et en même temps iconique de la modernité qui vient avec les années 70 qu’on en frissonne encore. Maître kitsch et homme de mystère psychédélique et terrifiant, érotique et cocasse, désinvolte et à la précision maniaque, le Morricone au plumage de cristal est fascinant car insondable, évoluant aux limites du jazz, de la musique concrète et de la pop. Cette partition reste 50 ans après une énigme, aussi épaisse et profonde que son auteur. Qui était Morricone ? Qu’est-ce qui le faisait courir ? On n’en sait foutre rien mais le demi-siècle ne connait pas d’autre exemple de compositeur qui ait pris autant de formes et de forces avec un tel bonheur et une telle insolence.

Morricone n’était pas l’homme d’un genre ou d’une technique. Il avait plus de musique en tête et en stock qu’il n’existait de décors et d’images à graver sur la pellicule. Vous fussiez-vous trouvé par le plus grand des hasards devant un paysage que l’oeil humain n’avait jamais contemplé, il était à parier que Morricone en avait déjà assuré un jour et avant même sa découverte la mise en musique. Sa mort, silencieuse et paisible, est sans doute la première chose depuis longtemps qu’il n’illustrera pas.   

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