Qu’est-ce qui fait que Coldplay est devenu Coldplay ? Qu’est-ce qui fait qu’on peut distinguer le rock « indépendant » (ou ce qu’il en reste) des musiques mainstream ? Qu’est-ce qui va faire qu’un groupe va ou non changer de division et devenir une grosse cylindrée ? Ces interrogations font partie des questions qu’on se pose à l’écoute de ce deuxième album des anglais de Tall Ships. Pour le meilleur et pour le pire.
Groupe présenté à la sortie de leur premier disque comme un « futur grand » du math rock et du rock indépendant, les natifs de Brighton avaient dû vite déchanter. Leurs premiers eps avaient déjà débouché sur un premier album un brin aseptisé. Leur manager s’est fait la malle et leur label les a lâchés presque aussitôt, leur interdisant de porter l’album aussi haut qu’ils l’auraient voulu. Le groupe s’est relevé en autoproduction et avec quelques années perdues, avant de retrouver une auberge conciliante et de proximité chez FatCat Records (de Brighton également). C’est ainsi qu’est apparu Impressions, l’album de la renaissance, de la reconquête, l’album de la revanche et du succès. Le parcours de Tall Ships est une histoire à dormir debout. Un truc équivalent aux sornettes des born again christians outre-atlantique. Renaître ? Et pour quoi faire ?
Tall Ships renaît pour remplir des stades, pour devenir U2 et Coldplay. Ils sonnent comme Editors mais un Editors passé d’emblée au 4ème et 5ème album, des albums pourris, opportunistes et détestables. Du coup, on est gêné d’emblée par ce qui arrive au groupe dont on avait gardé un souvenir plutôt attachant. Road Not Taken qui ouvre cet album en neuf temps démarre comme une belle affaire, ample et pleine d’émotions, avant de s’ouvrir sur une montée en gamme à l’évidence écœurante. Le morceau déploie ses charmes boursouflés sur près de six minutes, sans toutefois sombrer totalement dans la soupe FM. L’ambiguïté sera maintenue jusqu’au bout de l’album : de très belles choses côtoient des gimmicks horripilants et des crescendos peu ragoûtants. Tout est emphatique. Les émotions sont amplifiées artificiellement pour montrer qu’ici on prend de la hauteur. Will To Life est un tube radio en puissance mais tape sur le système après quelques secondes. La batterie en fait des tonnes et les guitares ne peuvent pas s’empêcher de s’additionner et de jouer sur leur force cumulative. Petrichor nous rappelle les pires heures de la britpop, tandis qu’un morceau comme Home joue sur la corde émotionnelle avant de lorgner vers un orgasme bas de gamme. On peut marcher mais rarement au-delà des trente premières secondes. La musique de Tall Ships séduit par surprise et dégoûte en conscience.
On ne peut pas enterrer tout à fait la démarche qui consiste à composer ce type de chansons. Il y a ici du savoir-faire et un certain talent pour trouver des mélodies et des accords qui font mouche. Certains morceaux sont efficaces et plutôt réussis. On pense au beau Lucille qui met en valeur la voix superbe du chanteur ou encore à la puissance de feu de Meditations On Loss. Il y a pire que ça sur le marché mais il y a mieux aussi. La musique de Tall Ships a un réel pouvoir de contamination et peut être servie à l’apéritif comme une initiation tout à fait acceptable aux joies du rock de salon. Il y a une forme beauté à se lamenter avec autant de majesté et d’afféterie que sur Sea of Blood, une vrai fragilité qui se dégage de Lost and Found. Que faut-il en penser alors ? Y aller ou pas ? Plutôt pas en réalité mais il ne faut jurer de rien. Impressions est un album qui peut servir à des exercices pédagogiques et à voir où l’on situe la limite entre ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est estimable et ce qui l’est moins. Chacun place la ligne de démarcation où il l’entend.
D’un côté, on dira que cet album est une bouse infâme. De l’autre, que c’est un album somptueux, lyrique et plein de promesses. La vérité est ailleurs. Comme le chante le groupe : « It’s a beautiful morning in another passing day ». Et heureusement, il y en aura d’autres.
02. Will To Life
03. Petrichor
04. Home
05. Lucille
06. Meditations on Loss
07. Sea of Blood
08. Lost and FOund
09. Day by day