Une fois n’est pas coutume, voilà une réédition qui ne célèbre rien. L’album Baby I’m Bored de Evan Dando est sorti en 2003 et, à notre connaissance, il n’a rien d’autre qui justifie le remarquable travail effectué par Fire Records sur le disque que l’amour de l’art et de cet artiste injustement négligé. On ne sait pas trop d’ailleurs ce que fait l’intéressé en ce moment et s’il entend prochainement revenir aux affaires, ce que laissait pourtant entendre une tournée mondiale entreprise il y a deux ans.
En attendant, il y a bien assez à faire de toute façon avec ce double CD qui rappellera aux plus jeunes non seulement qui était à l’époque le Duke of Cool et comment certaines grosses cylindrées du grunge (qui n’en était pas tout à fait) pouvaient se reconvertir sans embrasser une destinée à la Kurt Cobain. Pour les plus jeunes encore, qui se laisseraient abuser par l’étrange mimétisme, la beauté blonde qui trône sur la couverture du disque n’est ni Kurt Cobain, ni Dando lui-même (bien que joli garçon) mais la copine et épouse du chanteur, la mannequin Elizabeth Moses. C’est dit. Mais passons plutôt aux choses sérieuses : Dando, le disque, etc.
L’histoire du bonhome n’est pas inintéressante et mérite sûrement qu’on s’y attarde. Dando est né en 1967 dans le Massachussets. Il est issu comme nombre d’artistes américains de cette période issu des rangs de la bourgeoisie blanche, passant une partie de son enfance à Boston où il finira par mener de petites études. Son père est agent immobilier et sa mère une ancienne mannequin renommée. Ils divorcent assez vite. A 18 ans, le gaillard se lance dans l’aventure des Lemonheads (le nom d’un célèbre bonbon au citron), un groupe à géométrie variable dont il faudra un certain temps à Dando pour prendre le contrôle. Après trois albums qui connaissent un succès croissant sur les radios campus, le groupe sort notamment une reprise de Luka de Suzanne Vega qui lui ouvre les portes d’une tournée à l’international et un ticket pour un album chez Atlantic Records, une major réputée. Le groupe enchaîne alors sur deux albums majeurs, Lovey et It’s A Shame About Ray, et profite de l’explosion du grunge et de la percée dans le mainstream provoquée par Nirvana au même moment, pour se retrouver sur le devant de la scène. Dando fonce tête baisée dans la renommée et résiste tant bien que mal là où Cobain montrera plus d’états d’âme. Il figure dans le top des 50 personnalités les plus belles d’Amérique, apparaît en première page de nombre de magazines, tout en ne rencontrant un succès mainstream qu’assez modeste en comparaison à celui de Nirvana bien sûr. Musicalement, Dando est doué. Le groupe est brillant et en même temps propre sur lui, jouant avec les codes du garage rock, de l’esthétique surf punk et bien entendu du grunge, mais travaillant aussi très intelligemment sur la matière culturelle américaine, en réalisant, par exemple, une superbe reprise du mythique Mrs Robinson. C’est avec ce genre de morceaux que Dando se rend sympathique voire indispensable, même si en coulisses, le gaillard s’abandonne complètement à la vie facile : drogue, champagne, médias. Il devient pour les milieux spécialisés une sorte de tête à claques superficielle qui divise, ce qui nuira finalement à la réputation du groupe et retardera longtemps la réévaluation de ses meilleurs disques.
Ami avec les frères Gallagher (il s’inscruste alors à leurs concerts où il joue du tambourin en errant sur la scène, comme une réminiscence fantomatique de Bez des Happy Mondays), Evan Dando se consume au milieu des années 90 et se défonce allègrement avec du LSD, du speed, de l’héroïne et du crack jusqu’à quelques scènes fameuses où devant les caméras, il est incapable de parler. Il finit dingo, en proie à des visions paranoïaques, arrêté par la police et interné par sa propre famille puis envoyé de cure en cure, jusqu’à se débarrasser à peu près correctement de ses addictions aux drogues dures. Après un dernier tour de piste avec des Lemonheads reformé, Dando se lance dans des tournées solo et c’est dans ce contexte que paraît son premier album, Baby I’m Bored.
A la réécoute, c’est un chef d’œuvre d’équilibre : un brin punk, très mélodique, intime, juste et triste, concentré de culture américaine et manifeste de cette génération X minée par l’ennui et l’envie d’aller voir ailleurs, Baby I’m Bored répond parfaitement à ce qu’on attend de lui. Le disque est adulte, équilibré, supérieur à la plupart des albums du même style concocté avant lui par des types comme Lou Barlow par exemple avec Sebadoh ou à cette époque avec Folk Implosion. Ce qui surprend surtout, c’est la façon dont Dando se la joue profil bas tout en gardant sa classe naturelle et son aisance. Alors que l’époque privilégie des albums plus luxuriants chez The Shins, Sufjan Stevens ou même Grandaddy (Sumday), baby I’m bored sonne presque anachronique, l’oeuvre d’un type assagi, revenu d’entre les morts. Pour certains, c’est l’album dont aurait rêvé son grand copain Cobain s’il avait vécu, un album classique et au ralenti, où l’énergie punk est recyclée brillamment dans des torch songs pop folk d’un nouveau genre, affaissées mais tout de même crâneuses. Jay Reatard en prendra de la graine… avant de perdre la vie lui aussi. Dando est l’homme à la guitare, un personnage historique et légendaire de l’Amérique country folk, échappé d’un western (Rancho Santa Fe). Repeat qui ouvre l’album est un morceau splendide. Folk. Les arrangements sont parfois plus élaborés (Waking Up, Stop My Head) mais l’ambiance paisible prédomine à travers plusieurs balades assez somptueuses comme All My Life ou Shots Is Fired. Autour de lui, Dando est rejoint par Ben Lee, un petit prodige australien à guitares lui aussi qui fait son apprentissage à ses côtés, par Howe Gelb et Joey Burns, titillés tous les deux par les liens entre le rock US et l’Américana avec Giant Sand et Calexico. Le travail réalisé sur les codes des chansons américaines est remarquable. Derrière le son chaleureux, Dando exprime ses fêlures. Sur The Same Thing…, il chante « i can’t believe how far i slipped« . Plus loin, sur All My Life, d’autres indices : « All my life I thought I needed the things I didn’t need at all ». Rien n’est vraiment surprenant mais tout est juste.
La réception de l’album est bonne mais si certains reprochent au disque de se la couler douce, de prendre ses aises et d’être limite ennuyeux. Le jeu de guitares de Dando est parfois un peu pâteux. Le faux rythme folk tend à atténuer les différences entre le titre mais l’ensemble reste d’une vraie qualité. C’est aussi mal juger les quelques audaces du disque comme le très Byrds Rancho Santa Fe ou le puissant Stop My Head.
Le disque de bonus n’est pas indispensable (les versions alternatives sont alternatives) mais comporte quelques perles comme Rudy in The Flashlight (une reprise de Rainer Ptácek, un type de Tucson qu’on ne connaît pas) ou Tongue Tied, une chansons assez incroyable. Les versions live sont chouettes et l’ensemble constitue tout de même une réédition de haut vol. Etrangement, la carrière solo de Dando s’est arrêtée là depuis 14 foutues années. L’intéressé a pigé pour une mégatournée comme chanteur du MC5 avant de multiplier les collaborations, mais sans repasser par la case album. Gageons que la réédition de I’m Bored et la tournée qui l’accompagne suffiront à lui donner un bon coup de pied aux fesses et à le ramener en studio.
02. Repeat
03. My Idea
04. Rancho Santa Fe
05. Waking Up
06. Hard Drive
07. Shots Is Fired
08. It Looks Like You
09. The Same Thing You Thought Hard About Is the Same Part I Can Live Without
10. Why Do You Do This to Yourself?
11. All My Life
12. Stop My Head
13. In the Grass All Wine Colored
Disque Bonus
01. Shots Is Fired (Alternative Version featuring Liv Tyler)
02. I Wanna Be Your Mamma Again
03. Tongue Tied
04. Whoops
05. Sucker Punch
06. The Same Thing You Thought Hard About…(Alternative Version)
07. Au Bord De La Seine
08. Rancho Santa Fe (Alternative Version)
09. A Walk In The Woods With Lionel Richie
10. Rudy With A Flashlight
11. Hannah & Gabi (Live Version)
12. The Same Thing You Thought Hard About …(Live Version)