Un cas d’école, mais de la meilleure d’entre toutes : mancunienne, new wave, post-punk des débuts, exigeante et gracile. La musique des quatre garçons habiles de Vertical, groupe de Saint-Nazaire dont on avait jamais entendu parler avant, se présente à nous aujourd’hui (l’album est sorti début mai) mais aurait tout aussi bien pu être composée en 1983, à quelques années près, tant elle respire le rock de ces années-là. Le groupe propose un disque qui relève presque du folklore tant il « ressemble à », inspiré par la basse de Joy Division, les guitares volantes et cristallines de Johnny Marr, ou encore la batterie dansante de James. Difficile d’égaler ou de rivaliser : Vertical émule, interprète et agit en écho, comme s’il ne s’agissait pas d’imiter pour imiter mais bien de relire, de passer sa voix et ses accords dans une trace déposée par les glorieux aînés et qu’on se refile, entre initiés, pour trouver le chemin du malheur. Évidemment, et parce que la démarche est la même, économe et hantée par un romantisme à peine revendiquée, on pense bien entendu aussi à Motorama. De Saint Nazaire à Rostov Sur le Don, il n’y a qu’une grande enjambée terrestre et temporelle, qui concasse et rassemble les influences, un espace de réinvention d’une musique d’un genre qu’on a aimé et qu’on fréquente au quotidien.
L’entame de I Wish le premier morceau est exemplaire, vive et inspirée. La voix du chanteur n’est pas la plus mélodieuse qu’on connaisse mais apporte une couleur presque rock blues à l’ensemble et confère au groupe un cachet singulier et légèrement décentré par rapport à sa sphère d’influence. Les mélodies tiennent souvent à peu de choses et reposent principalement sur la familiarité de la rythmique basse-batterie. Vertical n’a pas l’évidence immédiate des premiers Interpol mais fonctionne mais appariement avec des souvenirs d’autres groupes, un système de références nostalgiques qui nous rappelle de bons souvenirs et fait briller, quelque peu artificiellement, le disque.
C’est le cas pour The Future qui n’est pas le meilleur morceau des douze, pas le plus inspiré, mais à force de nous rappeler tel ou tel gagne en force et en impact. On pense à l’emphase romantique de Editors sur le beau Something For You, détaché et solennel. Vertical prend le temps de l’exposition et bénéficie d’une production soignée et qui laisse de la place aux instruments. On adore The Corner qui a un charme fou et brille de cette force noire du rock anglais quand l’excellent The Mirror lorgne plus du côté new-yorkais et évoque un mélange vénéneux et frenchy de The Strokes et Interpol. Le chant reste assez âpre et craquant, plus proche d’un Tim Booth ou d’un Tim Burgess que d’un Morrissey. Les textes évoquent là encore assez classiquement des histoires d’amour, d’amitié, de temps qui passe et de détachement. Miss It All s’offre une grande échappée tout en guitares qui a une belle tenue. Le groupe explore une profondeur de champ/chant qui n’est pas si simple à occuper mais s’en sort merveilleusement bien. La prise d’amplitude aurait mérité plus de bruit et de moyens mais Vertical montre qu’il pourrait tout aussi bien aller taquiner la puissance d’un Coldplay ou d’un mini-U2, en mode rock indé.
Let It Go opère en terre pop, tout comme le single Dear Friend, doux et triste comme une amitié oubliée. Difficile d’isoler un seul morceau pour son efficacité et son impact. C’est un peu le seul reproche qu’on pourra faire au disque (on se souvient qu’on avait du dire la même chose du premier Motorama), l’univers sonore est si cohérent et homogène qu’on peine parfois à faire sortir un morceau du lot, voire à distinguer les titres entre eux. Cette critique en trompe l’oeil ne doit pas occulter l’essentiel : on tient là un très beau disque qui ne relève pas tant de l’exercice d’admiration ou d’imitation que de la variation spontanée, aimante et un brin virtuose. Le plus beau morceau du disque est peut-être ce Intro, sépulcral et joué au ralenti, qui rappelle The Eternal de Joy Division, convoque un synthé discret et émeut jusqu’aux larmes. Avec ce qui lui tient lieu de premier album, Vertical réussit une entrée en matière qui n’est pas parfaite mais n’en est pas très loin. Les paysages nous sont familiers mais on est bien face à un vrai groupe et à une vraie intention.