Ce n’est quand même pas très malin : ne jamais avoir encensé le groupe de Montréal du temps de sa splendeur et trouver que cet album d’après la chute et le déshonneur, alors que tout le monde s’accorde pour dire que ce n’est pas un chef-d’œuvre, est très loin d’être raté. Pas même l’esprit de contradiction ou l’envie de défendre l’indéfendable mais Pink Elephant, le 7ème album d’Arcade Fire, est juste assez chouette. Il n’a pas l’arrogance et la grandiloquence des anciens disques. Il n’est ni un monument du rock, ni un disque parfait sûrement mais on peut y trouver suffisamment de belles mélodies, de sons expérimentaux, d’astuces de production, de bons textes et d’engagements héroïques pour l’écouter avec plaisir.
Lancé par une pièce instrumentale qui a de faux airs de BO de film de zombies et de démo de Mogwai, Open Your Heart Or Die Trying, Pink Elephant sonne comme un joli foutoir où se côtoient des titres quasi lofi sous-produits et malingres (donc superbes) comme le single Pink Elephant, des machins psychédéliques qui font penser à du Wild Arrows, dissonants et délicieusement déséquilibrés comme Year of the Snake, et des morceaux électro-pop qui rappellent (au cas où ne s’en souviendrait pas) qu’il y a quelques années encore le groupe remplissait des stades et postulait (avec de très bonnes chances) au rang des meilleurs et PLUS GROS groupes du monde. Alien Nation ressemble ainsi à du Primal Scream aux hormones, mélange de dispersion désinvolte et de génie désordonné, que d’aucuns situeront plutôt du côté d’une face B ou C des Soup Dragons. Dans ce mélange assez dingue de style, d’ambiances et de tentatives de se racheter une conduite et une ligne artistique, Pink Elephant, disque virevoltant, morbide et un brin désespéré, offre un grand spectacle assez fantastique ou, chanson après chanson, un monde s’ouvre à la fois sans queue ni tête mais assez séduisant pour nous embarquer dans ses méandres.
On adore l’horrifique instrumental crachouillant et hanté Beyond Salvation et la façon dont il se fond dans le psychédélisme californien d’un Ride Or Die, beau comme du Suede ou du Dave Kusworth. C’est d’ailleurs dans cette filiation bâtarde (entre T-Rex, Swell Maps et Nikki Sudden) qu’on a envie de situer ce nouveau disque des Canadiens tant il donne le sentiment de chercher une voie modeste et rétro-acoustique dans une ambition démesurée. Cela n’empêche pas Win Butler d’aller cabotiner sur l’amoureusement gluant et funkyzoïde I Love Her Shadow, chanson monstre de plus de cinq minutes qui donne envie d’aller se pendre plutôt que de faire l’amour. Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Le leur non plus visiblement. Que signifie être et avoir été un groupe ? Est-ce seulement la question posée par ce disque ? Il n’y a pas dans Pink Elephant de thème évident mais plutôt un fond de sauce qui traite de rachat, de l’idée de se refaire la cerise… de manière un peu floue. On sent qu’il y a un éléphant au milieu de la pièce et qu’il a irradié/écrasé l’enthousiasme du groupe. Les instrumentaux omniprésents (She Cries Diamond Rain, vide de vide) en témoignent. Mais il y a dans cette carcasse de musique et de son plus de consistance qu’il n’y en avait dans certains albums du groupe comme si “la difficulté” les avaient projetés dans une sorte de désolation sans boussole, d’où ils ne pourraient tirer que des chansons effilochées et incapables de dessiner une continuité. Il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas céder au charme de la production d’un Daniel Lanois qui sait y faire pour habiller la misère et lui donner une allure folle. Tout n’est pas fini. Et on sent que personne n’a essayé, que le groupe lui-même ne croit pas en ses moyens. On peut bien sûr jeter un Circle of Trust un peu pourri et qui n’arrive pas à la cheville de Robert de Niro dans Mon Beau-Père et Moi, mais reconnaître qu’il y a du rock dans un Stuck In My Head suicidaire et une vraie envie d’aller pêcher au fond du fond du sac quelque chose d’inattendu, un vieux coup de génie oublié, un trésor qu’on pourra ensuite fracasser sur le sol et fouler au pied.
Pink Elephant est l’un des plus beaux disques malades qu’on a entendus ces derniers temps.
02. Pink Elephant
03. Year of The Snake
04. Circle of Trust
05. Alien Nation
06. Beyond Salvation
07. Ride Or Die
08. I Love Her Shadow
09. She Cried Diamond Rain
10. Stuck In My Head
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Will Butler / Policy


Ah ah, un sacré billet qui donne envie d’aller voir ce qu’il en est exactement. Je n’étais pas été très loin dans leur début de carrière – juste le premier LP – que je n’ai pas réécouté depuis très très longtemps. Si ça se trouve, je l’avais au format K7.
Par contre, je me demande un peu ce que peut être “la chute et le déshonneur”. Mon côté commère.
Je ne réponds qu’à votre interrogation 😉
Win Butler a été accusé en 2022 de plusieurs agressions sexuelles. Il y a un article dans Pitchfork à ce sujet.
Oula, en effet, c’est violent.