Huit ans que le monde attendait son retour. Huit foutues années que l’humanité souhaitait une suite à Outrun. Revenu d’entre les morts, le fou solitaire du volant arpentant les bretelles de métropoles rongées par le crime annonce enfin son retour dans les clubs. Après la dissolution des Daft Punk et la disparition de Cassius, la scène électronique voulait un nouveau messie. La voilà servie. Son album sortira en début d’année 2022, et son nom, Reborn, semble à la fois promettre un retour flamboyant du loup aux platines, tout en rappelant à demi-mot qu’un trône reste à prendre. Kavinsky est prêt à faire vrombir son bolide et péter tous les pots d’échappement qui entraveront sa route.
Un regard embrassant une ville infinie, forêt de gratte-ciel ; une ville viciée jusqu’au trognon par le mal ; des truands venus en découdre. Aucun doute, nous sommes dans l’univers visuel de vigilante qu’avait ébauché Kavinsky à travers sa musique et ses jaquettes dès le milieu des années 2000. Une musique aussi bien influencée par les bande-sons de John Carpenter que des compositeurs comme Brad Fiedel, mais aussi celle de multiples pelloches plus ou moins oubliées des grandes heures de l’Amérique : celle des années 1980. Mais aux yeux du grand public, c’est presque involontairement à Nicolas Winding Refn que Kavinsky doit tout. C’est le réalisateur prodige, fan invétéré de new wave et de toute son engeance électronique, qui, en empruntant le Nightcall de Kavinsky (et co-produit par Guy-Homem Christo des Daft) pour ouvrir son Drive, prix de la mise en scène à Cannes, a donné un corps presque en tout point fidèle à l’univers de Kavinsky, entre la série ricaine impérialiste (K-2000, Magnum), le comics néo-noir et le manga 80’s d’un Japon au meilleur de sa forme (City Hunter, Golgo 13).
C’est un peu comme si Drive avait accouché à l’image de ce qu’il se voulait être, un héros idéel comme celui campé par Ryan Gosling, mutique, noble et vaillant. Un double à peine plus ténébreux que celui de Drive, une sorte d’avatar au blouson rouge tout droit sorti d’une borne Fatal Fury. Une coïncidence presque folle tellement elle fût non conscientisée par Refn : lors d’un entretien pour Clique réunissant les deux, Refn avoua avoir sélectionné Nightcall sans connaître la discographie de Kavinsky, sorti dans l’indifférence plus d’un an avant. Une concordance qui propagera une aura légendaire autour du personnage du très secret et discret Vincent Belorgey (qui refuse presque tout entretien). Mais plus encore, cette introduction aura donné une seconde vie à la synthwave, et peut-être la plus florissante de toutes : celle des années 2010. 3 minutes de musique mise en exergue par une jungle urbaine et nocture auront suffi pour que des milliers d’artistes, de Miami Nights 1984 à Mitch Murder, de Lazerhawk à Oliver, et tant d’autres que nous ne pourrions citer sans mettre à mal votre patience, aient une carrière autre. La face de la musique électronique (et de l’internet, puisqu’elle commençait à émerger à foison en 2011) s’en trouva changer à jamais. Si vous vous plaignez d’entendre tant des années 80 dans nos morceaux contemporains : voilà servi votre coupable.
New Blood
Revenons où nous en étions. Dans ce court clip, plus proche de la bande-annonce d’album dans la forme, Kavinsky se prend une énorme paluche dans la face et valdingue à travers le béton armé. Le clip reprend aussi bien les codes pulp de super-héros ou de détective comics qu’il emprunte chez Scanners de Cronenberg, Zombiland de Ruben Fleisher ou des clips amusants de Chromeo (on pense à celui de Old 45’s). Quant à la musique? Eh bien, ce Renegade, même si Kavinsky se cantonne toujours à son territoire synthétique de prédilection, explore un cadre nouveau : une synth pop électrique et (très) grand public, sans cavité dans la chaussée ni dos d’âne. Nul bip-bip de bécane ou sonorités grésillantes ici. La voix du chanteur Cautious Clay, étoile montante du R’n’B, n’est pas sans rappeler les travaux de l’album After Hours d’un certain The Weeknd, cet alliage pop aux sonorités vintage et à la voix hip hop, même si la voix de Clay n’en est pas aussi marquante. Renegade rappelle également la collaboration du chanteur avec les deux robots pour l’album Starboy. Si on les a écouté, c’est tout comme si on connaissait déjà Renegade ; ce qui n’empêche en aucun cas d’apprécier la cambrure zébrée du morceau. Mais, cela ne serait pas d’ailleurs le contraire? Ou alors serait-ce le serpent qui se mangerait la queue?
Les souvenirs nous reviennent dans un claquement de baffe : si The Weeknd est une star, c’est probablement parce que le driver de l’ombre l’a pris en stop pour l’amener d’un point inconnu vers ce chemin des étoiles. Eh oui! Car en 2013, alors que The Weeknd avait encore ses dents de lait, c’est avec une seconde version de Odd Look, offerte sur un plateau pour le premier album, Kiss Land – version qui remplaçait la voix de l’ami producteur SebastiAn – que le mercenaire à mis les pieds de The Weeknd à l’étrier, plaçant la jeune pousse sur les starting-blocks. Kavinsky n’aura été rien que sa nitro.
Renegade sera probablement le morceau le plus passe-partout de ce second album, mais le mieux à même de passer sous les ondes des radars. Les français de la french touch ont toujours limité leur grande intelligence à des postures nonchalantes d’esthètes, privilégiant la qualité à la quantité, pour, certaines fois, n’en délivrer aucune des deux. Même son potentiel d’acteur sauvage, quand il campait royalement le rôle principal du moyen-métrage Nonfilm du copain Quentin Dupieux, ou un plus secondaire pour Steak, ne fût prolongé. Soit. Qu’a fait notre conducteur des ténèbres lors de la dernière moitié de décennie, si ce n’est tracer la route et botter des culs? Nul nous le dira. Après 8 ans de silence radio, dire que Reborn est attendu serait euphémistique. On souhaite donc se prendre une raclée. Même si Renegade est une piste un peu douce de la pédale, nous attendons pied au plancher le second album de notre justicier de la nuit pour qu’il nous revienne chargé de carburant. Tout en espérant qu’il nous redonne envie de remuer du châssis dès la réouverture des clubs.