Les Instantanés d’Imara #23 – Holly Golightly et les filles de Medway

Thee Headcoatees par ImaraLa sortie d’un nouvel album d’Holly Golightly et la reformation des Headcoatees est l’occasion idéale d’évoquer la scène de Medway, et plus particulièrement ses groupes féminins. Mais au fait, qu’est-ce que c’est la scène de Medway ? La scène de Medway, ou Medway Scene est un ensemble de groupes de garage rock provenant du comté du Kent dans le sud-est de l’Angleterre. Leurs influences puisent principalement dans les sixties (au sens large, de Bo Diddley aux Sonics en passant par les Kinks ou les Beatles des débuts) et dans le punk-rock. La Medway Scene tourne essentiellement autour de Billy Childish, dont il est la figure de proue. De son vrai nom William Hamper, cet artiste aux talents multiples (musicien, peintre, poète..) fonde en 1977 son premier groupe, The Pop Rivets, dans le sillage du punk.

Mais c’est au début des années 80 qu’il commence à faire parler de lui. Aux côtés de ses comparses Russell Wilkins et du batteur Bruce Brand déjà présents au sein des Pop Rivets, et du petit nouveau Mickey Hampshire, ils forment The Milkshakes en 1980. En marge des modes et des tendances de l’époque, ce groupe est complètement tourné vers le début des années 60. Leurs pochettes comme leur son sont plus vrai que nature: ces gars-là sont bloqués en 1963. En fait, les Milkshakes sonnent comme si les Beatles n’avaient jamais quitté Hambourg. L’un de leurs albums s’intitule d’ailleurs Milkshakes In Germany, un clin d’œil aux débuts des Fab Four. Billy Childish est aussi connu pour être un artiste prolifique et un travailleur acharné: les Milkshakes sortiront dix albums entre 1980 et 1984 (!). Ils sont tous aussi bons les uns que les autres, Fourteen Rythm n’beat Greats, Nothing Can Stop These Men (1984), et The Milkshakes In Germany sont toutefois particulièrement réussis. 

Entre la séparation des Milkshakes et la formation des Mighty Caesars, Billy Childish fonde un autre groupe, mais cette fois il choisit de mettre en avant  ses choristes, qui sont aussi les compagnes des musiciens. Sarah J Crouch, Louise Baker et Hillary Bockham sont les chanteuses de cette formation nommée The Delmonas, relèguant Billy à l’écriture des chansons et à la guitare, et ses copains Bruce Brand et Russ Wilkins aux autres instruments. Leur premier album, Dangerous Charms sort en 1985. Loin d’être une simple féminisation des Milkshakes, le choix des reprises comme des morceaux originaux est taillé sur mesure pour nos trois filles. Et elles assurent ! Leur chant est plein d’enthousiasme, d’un amateurisme charmant, dans le plus pur esprit punk/garage. De Comin’ Home Baby à Lies ou encore CC Rider en passant par la relecture Kinksienne de Hello I Love You des Doors qui achève le Roi Lézard, tout est génial. He Tells me he loves me sonne plus sixties que les sixties, ce sont les Shangri-Las avec des guitares. L’innocence et la légèreté de l’époque sont retranscrites à la perfection sur ce morceau qui est une composition originale de Childish.
I’m the one for you évoque plutôt les Ronettes qui auraient eu les Beatles comme backing band dans une cave, de même pour Chains.

Louise Baker quitte les Delmonas. Hillary Bockham, qui se renomme Ida Red continue avec Sarah Crouch qui se rebaptise Ludella Black. John Gawen remplace Bruce Brand à la batterie. Delmonas5!, leur deuxième album sort l’année suivante. Le disque est plus garage, plus brut que le premier. Là encore elles brillent pour les reprises, comme Heard about Him, mais surtout l’excellente version de Why Don’t You Smile Now, un obscur morceau de Lou Reed et John Cale d’avant le Velvet, d’abord repris par Downliners Sect avant de devenir plus tard un standard des groupes de Medway. La mystérieuse Delmona, presque cinématographique est un des autres temps forts de ce disque, ou encore I feel like Giving In, morceau des Mighty Caesars. Et quand elles se font plus douces sur When I want you, elles sont d’une réjouissante maladresse qui les rend encore plus sympathiques.

Billy et ses drôles de dames repartent dans leur noble mission qu’est de préserver le véritable rock n’roll avec un troisième album, simplement intitulé The Delmonas. Cet opus est un peu une synthèse des deux précédents: il y a à la fois ce côté pop sixties (Can’t sit down, Kiss me honey) et des titres plus rock (Uncle Willy et ses rappels à Bo Diddley) Farmer John est l’esquisse de Davy Crockett, un morceau phare des Headcoats, le groupe de Childish dans la décennie suivante. On a même droit à deux titres en français: Jealousy et surtout I feel like giving in, encore mieux que la version en anglais. Et cerise sur le gâteau, elles terminent avec une reprise à tout casser de 1970 (I feel alright) des Stooges qui vaut au moins celle des Damned. 

L’aube des années 90 voit la création d’un nouveau groupe pour Billy Childish, The Headcoats. Leur rock se fait plus dur, plus punk et plus déglingué, avec une touche de blues. Les Headcoats seront un des groupes majeurs de rock garage de la décennie, et une source d’inspiration pour Jack White. Comme les Mighty Caesars, les Headcoats sont un trio qui se constitue de Billy Childish, du toujours fidèle Bruce Brand à la batterie et de Johnny Tub Johnson à la basse. Ils sortiront pas moins de 19 albums (!) en dix ans. En parallèle, un autre groupe féminin apparaît: The Headcoatees.
On retrouve Ludella Black avec de nouvelles copines: Kyra, Debbie Green et Holly Golightly. Leur premier album, Girlsville paraît en 1991. S’en suivront huit albums jusqu’en 1999, dont deux en collaboration avec leurs homologues masculins aux chapeaux de Sherlock Holmes. Bien que les filles posent avec des instruments sur les pochettes, ce ne sont pas elles qui jouent… Ce qui est un peu décevant puisque ce n’est pas précisé dans les crédits, contrairement aux notes de pochette des Delmonas où l’on savait à quoi s’attendre.
La recette est donc la même que pour les Delmonas, à savoir Childish et son groupe aux manettes accompagnant trois chanteuses.

Si musicalement, le son des Headcoatees est très similaire à celui des Headcoats (puisque ce sont eux), les filles donnent toutefois beaucoup de personnalité à l’ensemble, par leur voix et leur énergie. Elles sont plus agressives, plus fofolles que les Delmonas. Comme si une bande de copines avaient décidé de former un groupe pour le fun, juste histoire de s’amuser et de faire du bruit. Les Headcoatees comme les Delmonas ont ce côté “filles du quartier”; elles ont l’air normales, elles pourraient être vos amies ou même vos voisines. Elles incarnent une féminité simple qui est la bienvenue dans l’univers du rock. On peut s’identifier à elles. Elles ne cherchent pas à être sexy ou à séduire, ce sont juste des nanas sympas, normales qui aiment le rock et c’est ce qu’il y a de vraiment plaisant dans les groupes féminins de Medway.
Les albums des Headcoatees se ressemblent et se valent tous. Leur contenu se partage entre reprises et morceaux de Childish, comme avec les Delmonas. Dans leur discographie, citons entre autres le single Davy Crockett et ses “Gabba Gabba Hey” empruntés aux Ramones, l’album Have Love Will Travel (1992) avec Gotta Get Inside that boy’s mind et You know you can’t resist ont des accents surf/psyché, et My Boyfriend’s learning Karate. Signalons aussi une curiosité sur ce disque: une variation de Louie Louie en hommage à Louis Riel, un homme politique canadien. Encore une idée de Billy… La pochette de troisième album, Ballad of the Insolent Pup (1994) est amusante: on y voit nos quatre Headcoatees prenant le thé avec un chien en pleine nature. Ici, mentionnons Pretend avec son riff cacophonique et répétitif, le morceau éponyme (avec des aboiements à la fin), It’s bad ou encore You’ll be sorry now qui n’a rien envier aux Mighty Caesars.

Parmi leurs nombreuses reprises, notons aussi une version négative et très drôle de I wanna hold your hand des Beatles, intitulée ici Don’t wanna hold your hand, ainsi qu’une reprise de Ça plane pour moi, sur l’album Punk Girls (1997). Ce n’est pas franchement le meilleur choix mais les anglaises s’en sortent bien.

Les Headcoatees se séparent à la fin de la décennie, et les filles sortent des albums solo. Kyra ne publiera qu’un seul LP: Here I Am Always Am, dont le titre provient d’un titre de Captain Beefheart qu’elle reprend dessus. Dotée d’une voix atypique, la flamande nous livre un disque à la furie lo-fi qui s’ouvre sur une reprise des Electric Eels (groupe proto-punk de Cleveland contemporain de Pere Ubu) ça ne pouvait pas mieux commencer. Anna K. , Do Things Right, Organic Footprints et le rockabilly rigolard de Laughing Song sont d’autres points forts de l’album. Par la suite, Kyra et Ludella Black apparaissent de temps à autres au sein des Shall I Say Quois. Ludella Black enregistre deux albums solo et chante de temps à autres aux côtés des excellents Masonics, qui comptent dans leurs rangs Mickey Hampshire, ancien chanteur des Milkshakes et Bruce Brand, l’homme à tout faire de Medway.

Holly Golightly (oui, comme l’héroïne de Breakfast at Tiffany’s– c’est son vrai nom) quant à elle, a enregistré une dizaine d’albums, dont un en duo avec Billy Childish qui mériterait d’être réédité (Step Out, 1999). Sur le plan musical, Holly Golightly ressemble à une Nancy Sinatra de tous les jours, sans le glamour et toutes ces conneries. Ses chansons sont douces-amères mais en même temps cosy, avec un son de guitare mid-sixties, parfois surf. Ce qui est intéressant avec les groupes de Medway, c’est qu’ils ont tous des sonorités années 60, mais sans se ressembler. Truly She Is None Other (2003) est peut-être son meilleur disque, le plus représentatif de son style avec des titres comme Walk A Mile, It’s All Me et There is an End, son titre le plus connu puisqu’il a servi d’ouverture au film Broken Flowers de Jim Jarmusch. Holly Golightly a également collaboré avec les White Stripes. 

A noter qu’il existe un livre retraçant la carrière des musiciennes de Medway: Girlsville: The Story of the Delmonas and the Headcoatees, écrit par Saskia Holling (qui joue actuellement avec Lord Rochester, un trio aux fortes influences Bo Diddley/Chuck Berry aux côtés de l’ancien Milkshakes Russell Wilkins). Les Headcoatees se sont reformées cette année pour un nouvel album, Man-Trap, prévu pour le mois prochain. En consultant la tracklist sur le site du label Damaged Goods, cet album s’annonce dans la même veine que les précédents. On y trouve d’anciennes compostions de Billy Childish du temps des Mighty Caesars, une reprise des Ramones ( The KKK took my baby away), et Walking on My Grave..s’agit-il de la chanson de Dead Moon ? Voilà qui est prometteur…

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