Les Instantanés d’Imara #22 – Chris Spedding

Chris Spedding par ImaraDepuis que j’ai terminé le lycée, j’aime le mois de septembre. Il fait moins chaud mais encore bon, l’automne arrive, on apprécie à nouveau les plaisirs du thé et du chocolat chaud, la vie reprend et les commerces rouvrent…entres autres les disquaires. Et rentrée oblige, leurs bacs se remplissent de nouveautés et de rééditions parfois bienvenues. Parmi ces récentes parutions, le nouvel album de Tav Falco, artiste que j’avais déjà évoqué auparavant (voir les Instantanés n. 4). Ce nouveau disque qui a d’ailleurs fait l’objet d’une chronique dithyrambique méritée par mon estimé confrère Benjamin Berton, comporte une belle brochette d’invités. En fait, ce n’est pas une brochette mais carrément un barbecue. Voyez plutôt: Kid Congo Powers, Reverend Horton Heat, Jon Spencer, Bubba Feathers (le fils de Charlie Feathers, légende du rockabilly de Memphis), Bertrand Burgalat, Charlie Musselwhite et Chris Spedding à qui cette rubrique est consacrée aujourd’hui.

Plus qu’un grand guitariste, cet anglais est un guitar hero. Et c’est même un des rares guitar heroes qui ne soient pas chiants, ce qui relève de l’exploit. Loin des démonstrations techniques, de la frime et des feux des projecteurs, Chris Spedding est plutôt un homme de l’ombre, un musicien de studio (un session man comme disaient les Kinks) qui a fait ses armes auprès de pointures du rock et de d’autres noms que l’on qualifiera de plus étonnants, disons.

Chris Spedding est né en 1944. Il grandit à Sheffield et Birmingham auprès de ses parents adoptifs, Jack et Muriel Spedding. Le garçon apprend à jouer du violon dès l’âge de 9 ans, mais malgré ses aptitudes précoces, il déteste la musique classique dont on lui impose l’apprentissage.

À l’adolescence, il découvre le rock’n’roll à travers ses pionniers que sont Gene Vincent, Eddie Cochran ou encore Buddy Holly. C’est par cette révélation que tout commence vraiment: il achète sa première guitare à 13 ans. Chris Spedding débute sa carrière de musicien dans les années 60 en jouant dans quelques groupes. Grâce à son jeu de guitare différent des autres guitaristes de son temps, il se fait repérer à la fin de la décennie. En effet, Spedding tient résolument à s’éloigner du British Blues Boom: “C’était l’époque du Blues Boom et je n’aimais pas jouer dans ce style(…) j’étais sûr que je n’irai nulle part en sonnant comme Eric Clapton.” 

Jack Bruce, bassiste de Cream (groupe dont fait partie ce même Clapton) l’invite toutefois à jouer sur son premier album solo, Songs for a Tailor en 1969.

C’est dans les années 70 que Chris Spedding se fait vraiment connaître en devenant un musicien de studio très demandé. En 1971, il assure les parties de guitare sur le deuxième album d’un certain Sixto Rodriguez, chanteur folk latino-américain de Detroit. Ce dernier tombera dans l’oubli pendant des années avant de revenir sur le devant de la scène en 2012 grâce à un documentaire, Searching for Sugar Man. Mais c’est une autre histoire…

Chris entame parallèlement sa carrière solo avec un premier disque instrumental, le bien nommé Songs Without Words en 1970 puis Backwood Progression en 1971, sur lequel il chante. Des coups d’essais sortis dans l’indifférence, sans grand succès.

1975 est une année charnière pour Chris Spedding. L’immense John Cale, (ancien membre du Velvet Underground, faut-il le rappeler?) l’engage sur son excellent album Slow Dazzle et dans son groupe de tournée. On le retrouve aussi sur son album suivant, le moins connu mais tout aussi remarquable Helen Of Troy. Cet album est non seulement un des points culminants de la carrière de John Cale (dont la discographie des années 70 atteint la perfection) mais aussi le seul album où l’on tolère la présence de Phil Collins. Quoique: l’énervant futur champion des hits-parades des eighties apparaît aussi sur Another Green World de Brian Eno.

1975 est également l’année où Chris Spedding sort son quatrième album éponyme, et là, patatras: un tube ! Un 45 tours qui passe à la radio, comme ceux qu’il a aimé durant son adolescence. Le morceau s’appelle Motorbikin’ et est un hymne à la gloire de la moto (comme son nom l’indique), soit un des grands symboles de l’imagerie du rock n’roll. Un univers qu’il célèbre aussi à travers la pochette de son album: en costume rose fifties comme en portait Elvis, devant une Cadillac verte, probablement brand new.  Le titre en lui-même est tout à fait sympathique, (de même que Guitar Jamboree, où il cite plusieurs guitaristes reconnus en imitant leurs riffs) et figure dans le top 20 des ventes de singles en Angleterre. John Peel, l’incontournable DJ de la BBC lui fait enregistrer des Peel Sessions, d’abord comme musicien de John Cale puis en solo. Chris Spedding passe même à Top of The Pops: classe en cuir noir, le rocker dans toute sa splendeur. Il faut bien admettre que Chris Spedding a tout ce qu’il faut pour devenir une star: beaucoup de talent, un jeu de guitare exemplaire, virtuose mais sans chichis et du charisme. C’est l’image même que l’on a du rocker, dans le meilleur sens du terme. Mais cette montée vers les hauteurs de la gloire et de la célébrité ne seront qu’un intermède dans la carrière du guitariste, qui ne connaitra plus un tel succès par la suite.

1976. Avec l’explosion de la bombe à retardement qu’est le punk-rock (comme on le sait, ce mouvement n’est pas apparu du jour au lendemain), le rock n’roll retrouve son dynamisme, sa spontanéité et sa sauvagerie. Un groupe de petites frappes londoniennes dont le chanteur se fait appeler Johnny le Pourri va vite faire parler de lui. Leur nom ? Sex Pistols. Chris Spedding produit leurs démos, trois titres sont enregistrés sous sa direction: Problems, No Feelings et Pretty Vacant. Un autre groupe punk, The Vibrators lui sert de backing band. On lui doit même quelques démos des Cramps (Tv Set, Rockin’ Bones, Teenage Werewolf), mais sa production n’étant pas au goût de Lux et Ivy, ces démos ne se trouvent que sur des enregistrements pirates. Spedding se tient cependant à l’écart de cette nouvelle scène, dans laquelle il ne se reconnait pas tellement:

“Quand j’étais enfant, je ne me suis jamais senti en phase avec la société. Ensuite le peace n love est arrivé, et c’était une réaction contre la guerre du Viet-Nam. Je n’ai jamais fait partie de ce mouvement non plus, comme je ne me sens pas non plus impliqué dans le mouvement punk”

Hurt, paru en 1977 est un album solide et bien rodé, probablement son meilleur disque. Très rock, musclé sans être bourrin qui commence avec une reprise tout en biscotos de Wild on the Streets de Garland Jeffreys. La géniale Lone Rider constitue une vraie alternative à la trop entendue Born to be wild tant la guitare et les choeurs retranscrivent à merveille cette sensation de liberté sur les routes, autant en voiture qu’à moto. Ain’t Superstitious, tout en tension avec un solo bien rockab’ à la Link Wray est l’une des grandes réussites de ce disque. Get out of my Pagoda est une incursion dans le punk rock suivie par Hurt by love et son riff qui termine l’album en sonnant un peu comme les New York Dolls

À la même époque, Bryan Ferry loue également ses services. Le guitariste apparaît sur deux albums du gentleman du rock anglais, Let’s stick Together (1976) et In Your Mind (1977).

Spedding sort ensuite Guitar Graffiti, un opus plus étonnant..Video Life sonne très sixties avec ce riff de guitare acoustique répétitif, tandis que Time Warp est un exercice de style post-punk avec sa ligne de basse retirée et poisseuse et son solo de guitare strident en sourdine. Midnight Boys incarne ici la face dansante du post-punk, une ligne de basse hyper accrocheuse, presque disco, mais en plus inquiétant: meilleur titre de l’album. Ce morceau aurait dû envahir les ondes mais on s’est retrouvés avec les Bee-Gees.. Retour au rock plus traditionnel avec Walking, simple et efficace. Frontal Lobotomy est un morceau live reposant entièrement sur un solo de guitare même pas pénible, ça c’est de la folie. Hey Miss Betty est un rock fifties à la Chuck Berry plein d’entrain.

Chris Spedding s’envole en 1978 pour les Etats Unis, la patrie du rock n’roll où il rencontre Robert Gordon. Ce chanteur est l’une des figures du revival rockabilly à la fin des années 70. Il a enregistré deux albums aux côtés du légendaire Link Wray et des Jordanaires, les choristes attitrés d’Elvis. Gordon et Spedding parlent donc le même language et le guitariste joue sur ses deux albums suivants. Passer après Link Wray n’est pas une mince affaire, mais Chris Spedding s’en sort admirablement, comme sur Love My Baby (Junior Parker) ou I Just Found Out (Johnny Burnette).

Cette collaboration fructueuse durera d’abord le temps de deux albums (Rock Billy Boogie, 1978 et Bad Boy, 1980) avant le retour du guitar hero qui se met à la production en plus de la six-cordes dans les années 90.

Le début des années 80 s’annonce avec un nouvel album, I’m not like everybody else reprennant le classique des Kinks. Outre cette reprise de bonne facture se trouve aussi derrière cette belle pochette noir et blanc à l’écriture japonisante Musical Press, critique envers la presse musicale de l’époque, Box Number et The Crying Game, montrant que notre Chris est tout aussi à l’aise dans les ballades et mid-tempos. Malgré leurs qualités, les albums solo de Chris Spedding restent plutôt négligés.

A l’instar de Wilko Johnson, ses disques solo manquent peut être d’un quelque chose en plus..? Et encore, ce défaut concerne davantage l’ex-fine lame de Dr. Feelgood, dont les disques en solo manquent de brio, ou plutôt de Brilleaux..

Chris Spedding joue aussi sur scène avec les Pretenders lors de leur tournée américaine au printemps 1980, la chanteuse Chrissie Hynde étant une amie à lui.

Au cours de la décennie, le guitar hero ne chôme pas et reste très sollicité. Il retrouve John Cale sur Music for a new Society (1982), joue pour Paul McCartney, apparaît sur Rain Dogs, chef d’oeuvre de Tom Waits dont on peut qualifier la discographie de (quasi?) sans-faute ou encore…Johnny Halliday, sur Rock’n’roll attitude.

Il n’est d’ailleurs pas le seul français à avoir fait appel à ses services, puisque Chris Spedding a également joué avec Dick Rivers, le loser sympa des yéyés, (qui l’accompagnera en tournée dans les années 90) et Mylène Farmer (?!). Même les rockers doivent payer leurs factures.

Spedding sort ensuite plusieurs albums chez New Rose, le fameux label français qui avait le chic pour réhabiliter de grands rockers plus ou moins oubliés, et dénicher quelques perles de leur temps. On ne remerciera jamais assez Patrick Mathé.

Les années 90 et 2000 sont plutôt synonymes de discrétion pour notre virtuose anglais. Il joue en 1995 sur Loup-Garou, un album de l’esthète mésestimé Willy Deville et continue de sortir quelques disques sous son nom. En 2001 il retrouve le toujours suave Bryan Ferry, en studio comme sur scène, d’abord pour la reformation de Roxy Music puis pour plusieurs albums de Ferry. En 2006, il joue sur un disque d’Eddy Mitchell, Jambalaya, (sur lequel figure également ni plus ni moins que Little Richard, Monsieur Eddy ne se prive de rien !), ainsi que sur plusieurs albums de la chanteuse Katie Melua.

Depuis le dernier disque solo de Spedding en 2015, notre guitar hero continue de tracer sa route dans une certaine confidentialité, apparaissant plus ponctuellement sur scène ou sur les disques des uns et des autres, comme Glen Matlock, l’ancien bassiste des Sex Pistols ou dernièrement sur le superbe nouvel album de Tav Falco, un autre grand artiste dont on ne parle pas assez. Qui se ressemble s’assemble…

Par son talent, sa virtuosité et sa surprenante capacité à s’adapter à des musiciens de différents styles (il avait déclaré en 1989 chez Thierry Ardisson que la diversité de ses collaborations améliore son jeu), Chris Spedding aurait pu, aurait dû mettre tout le monde d’accord: les blousons-noirs, les hippies, les punks, les snobs, les branchés, les fans de hard rock et les papas rangés pour qui le rock FM et les tubes de leur jeunesse étaient quand même “de la bonne musique, pas comme maintenant”. Pourtant Chris Spedding n’a pas la reconnaissance qu’il mérite et n’est jamais cité dans les listes de meilleurs guitaristes. Mais comme il l’a dit lui-même: “ Il n’y a rien de plus ennuyeux que d’être respecté. Ce n’est pas ça le rock n’ roll.. Je ne respectais pas Eddie Cochran, je le trouvais juste super. Je ne veux pas que les gens me respectent”.*

* Les citations sont extraites de la rubrique Biography du site de Chris Spedding.

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