Lana Del Rey / Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd
[Polydor / Interscope]

5 Note de l'auteur
5

Lana Del Rey - Did You Know That There's a Tunnel Under Ocean BlvdSaturé d’émotions et sursignifiant, le nouvel album de Lana Del Rey est un beau disque d’interprétation et d’écriture pop qui, comme les précédents, nous passe par dessus la tête. Did You Know That There’s a Tunnel Under Ocean Blvd a reçu depuis sa sortie des critiques dithyrambiques qu’il nous aurait plu de partager. Mais on se heurte à chaque fois avec la chanteuse américaine à un mur émotionnel bâti sur son esprit de sérieux et son interprétation affectée et perpétuellement affligée d’une Amérique fantasmée jusqu’au délire. The Grants, la chanteuse d’ouverture, résume assez bien ce qu’on ressent tout du long : c’est un titre mélancolique, long et exagérément émouvant, qui présente la lamentation d’une jeune femme qu’on imagine « obligée » de quitter la communauté après une liaison avec un homme marié. Lana Del Rey chante merveilleusement bien et incarne à la perfection ce personnage assez irréel et antimoderne qui ira jusqu’à citer « son pasteur » dans un couplet qui se présente comme suit :

My pastor told me« When you leave, all you takeUh-huh, is your memories »

A l’image de cette séquence, on a toujours le sentiment que Lana Del Rey chante depuis une époque lointaine, aussi fraîche et généreuse qu’ennuyeuse, nimbée d’un brouillard sentimentalo-historique qui fait ressembler son travail à une reconstitution millimétrée d’un truc qui n’a jamais existé. On se souvient qu’à son arrivée sur le marché la jeune femme avait représenté une forme de modernité ordinaire, une variation bizarre de la ordinary girl/girl next door, engluée dans une mythologie presque extraterrestre venue de l’Americana des années 50. On n’en perçoit plus du tout aujourd’hui les éléments d’actualité. Le morceau éponyme mentionne un titre d’Harry Nilsson des années 60 qui est une vraie curiosité dans la bouche d’une fille d’aujourd’hui. Sur Sweet, Lana Del Rey incarne une « bouleversante » Pénélope moderne qui rêve de courir le marathon avec son prince charmant. C’est soyeux, sublimement interprété mais chanté comme si la seule perspective de cette jeune femme sentimentale était d’attendre tranquillement chez elle, en jouant de la harpe/lyre, qu’un gaillard sportif vienne la cueillir.

I’m a different kind of womanIf you want some basic bitch, go to the Beverly Center and find herI’m sweetBare feetIf you wanna go where nobody goesThat’s where you’ll find meIn the sweet north countryIf I’m not there, come to my house on Genesee

Notre sentiment de rejet provient à la fois de cette posture féminine de créature morbide et préraphaélite dont on ne parvient pas à saisir la modernité et de cette interprétation finalement uniforme et tellement répétitive dans sa façon de « passer pour bouleversante » qu’elle nous ennuie au plus haut point. Les chansons se ressemblent toutes, les textes sont bien meilleurs quand on les lit que quand on les écoute, même si se dressent à quelques reprises des contre-exemples flagrants de notre jugement biaisé. A & W en fait partie. L’arrangement est clairement inédit, dépouillé, presque hip-hop sur sa basse/base ramassée, et en phase avec ce portrait pour le coup formidable d’une jeune femme victime d’un viol et qui passe pour une pute aux yeux de la communauté en raison de ses tenues provocantes. C’est sur plus de 7 minutes, le grand titre de cet album et peut-être le seul qu’on réécoutera avec plaisir, qui dit quelque chose de l’Amérique d’aujourd’hui. Lana Del Rey s’amuse à mettre en miroir deux interludes : le premier d’un pasteur enflammé Judah Smith, appliqué et réac, l’autre du chanteur Jon Batiste, sensuel et qui pourrait tout aussi bien célébrer un réveil sensuel en chair et au soleil.

Ces astuces de montage distraient un peu de chansons qui sont trop belles pour nous et finissent par nous engluer dans une torpeur charmante mais lassante (Candy Necklace, Kintsugi, Paris, Texas). Les arrangements dominés par un piano classique contribuent à ce que le disque émeuve mais n’emballe pas tout à fait. On est un peu plus sensible à la guitare qui mène le coquin Let The Light In, chanson où la jeune femme exprime la dépendance de son amant à ses charmes qu’elle promène nue sous son manteau. On préfère cette Lana Del Rey là, ambivalente et mutine à la chanteuse qui campe des femmes affaiblies et simplement attentistes ou carrément naïve (le médiocre Fishtail). On a conscience de passer probablement à côté de la modernité d’un final qui est arrangé « à la façon d’aujourd’hui » (Taco Truck x VB) mais tout ça nous parle à peu près autant qu’une version costumée d’Aya Nakamura.

Tracklist
01. The Grants
02. Did You Know There is a Tunnel Under Ocean Blvd
03. Sweet
04. A & W
05. Judah Smith Interlude
06. Candy Necklace
07. Jon Batiste Interlude
08. Kintsugi
09. Fingertips
10. Paris, Texas
11. Granfather please Stand On the Shoulders of My Father While He’s Deep-Sea Fishing
12. Let The Light In
13. Margaret
14. Fishtail
15. Pepper
16. Taco Truck vs VB
Écouter Lana Del Rey - Did You Know That There's a Tunnel Under Ocean Blvd

Liens

Lire aussi :
Lana Del Rey / Chemtrails Over The Country Club
Lana Del Rey / Norman Fucking Rockwell

Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Interview événement : Al’Tarba lance son cabinet de curiosités
A l’isolement comme tout le monde et condamné à donner des concerts...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *