M83 / Fantasy
[Mute / Other Suns]

7.5 Note de l'auteur
7.5

M83 - FantasyC’est un album attendu au tournant. Après des années de fignolage et quelques fuites sur d’obscurs forums du net, Fantasy suit DDVII (2019), la tentative de dégraissage vidéoludique incomprise de M83 et le mal-aimé Junk (2016). M83 va-t’il enfin sortir de la trop grande lumière des tubes de Hurry Up, We’re Dreaming (2011) qu’il déplore avec ce Fantasy ? Il faut dire que cet album de 2011 et son succès interplanétaire auront pourtant bouleversé sa musique, s’éloignant du son ambiant DIY de sa première décennie de carrière pour mieux déterminer la finalité spectaculaire que constitue cet album.

Ailleurs et hier

Si l’on essaie de carotter cet album pour mieux en comprendre les sédiments, il faut remonter à loin, très loin. Anthony Gonzales est un « enfant 80 ». Il explose au début des années 2010 en même temps que ces groupes non dénués de talent mais inégaux tels Tame Impala, MGMT ou encore Arcada Fire, connus pour les fâcheux pics hyperglycémiques qu’ils causent à leurs adulescents, mais aussi, sur le ponton dance, des artistes comme Eric Prydz, issus de la même génération et tous hantés par la même décennie : celle des guitar heroes flamboyant du Pink Floyd commercial de Syd Barrett, celle de Supertramp et U2, mais aussi de la pop sucre glace des débuts de MTV, puis de la lo-fi reproduisant ceci par l’entremise des jeux vidéo, nouvelle technologie, et des animés japonais pour ados, expulsion définitive vers l’âge adulte. Voilà la frise encadrant les décennies 80/90 précédant l’arrivée de M83 dans l’arène, et c’est ce spectre d’influences (se suivant, s’enchevêtrant) que M83 va ici rendre centripètes au sein de cet album. Quitte à déborder d’un trop-plein.

Cette musique est faite non plus pour soulever un stade, mais toute une humanité. Nous sommes sur le l’ambiant XXL : tout s’est massifié ici, la couche musicale étant de l’épaisseur d’une atmosphère. Et quand on sait que Gonzales vivait mal le succès de Midnight City et voulait composer une musique sans impératif, on se demande s’il n’y a pas un acte manqué avec Fantasy. L’album semble tailler pour un blockbuster intimiste qui s’emparerait de la naïveté d’un Karaté Kid, une sorte de prière mondiale de la confrérie des zélotes geek. On ne peut s’empêcher, à l’écoute de Oceans Niagara, de penser aux fanions FM du Space Age Love de A Flock of Seagulls, au Yes de Owner Of a Lonely Heart et au Brian Eno de Always Returningles trois influences majeures de cet album, ce sont celles-ci. M83 a toujours frôlé ce type de musique follement lyrique sans tomber dans la mousseline. Il faut néanmoins concéder que, malgré l’évitement, cette musique ne peut être tolérée par tout le monde. Elle est si accueillante qu’elle laissera sur le bas-côté ceux n’ayant plus rien d’enfant ; c’est une musique emplie d’enthousiasme, faite pour les belles âmes encore à l’abri des blessures de la vie, mais voulant la croquer. Pourtant, à trop rembourrer sa musique, M83 la rend parfois liquoreuse. Us And The Rest enferme ce qu’il y a de meilleur, mais surtout de pire. Avec ces échos de voix à Phil Collins et ses élans mimant les élucubrations lyriques de la chanteuse Lisa Gerrard pour Gladiator, le morceau devient connement candide comme chez Empire of The Sun, parfait pour accompagner un mauvais spectacle de sons et lumières comme Crescend’O ou du Cirque du Soleil. Le titre est une horreur dégoulinante de l’enthousiasme impur de CHVRCHES, et de démagogie imméritée à la Coldplay faisant tort au disque. Alors qu’on surfait sur un arc-en-ciel en faisant les fous, on tombe de cloud-planning.

Service après fan

Pêchant par excès de confiance, Gonzales se sent obligé d’étaler sa voix sur un nombre incalculable de pistes. Elle n’est pas insupportable, même si elle n’est pas une voix à chant, mais sa récurrence engendre une moindre variété et griffe certaines pistes qui s’en passerait, comme le contemplatif Deceiver, sorte de reboot de l’album Cosmos 2043 de Bernard Fèvre à la sauce J-RPG. Et quand il invite enfin la chanteuse Kaela, M83 la fait jouer en mode PNJ de Jeanne Birkin dans un enrobage un peu écœurant. Pour autant, on le constate… l’album marche bien malgré tout. On a l’impression d’être immergé dans le monde de Dark Crystal, avec ses zones de paix ici, ces créatures malfaisantes là-bas, ou de lever le voile de notre monde vers un ailleurs secret, avec nos copains des Goonies. M83, c’est à la fois le Giorgio Moroder de L’Histoire sans fin et Limahl… sans le chanteur britannique et sa coiffe, mais avec une voix tombée du ciel. La musique est optimiste sans pour autant l’être idiotement, et même si l’on sait qu’il existe la pointe d’une possibilité d’échec au bout du chemin, on y va en se mentant, à pied ou à dos de dragon, yeux rivés vers un horizon de confiance.

Ça ne date pas de Fantasy, mais la musique de M83 est une invitation héroïque aux cavalcades bras au vent, une musique appelant à la découverte du monde et au dévoilement intérieur face aux forces contraires. Sur Sunny Part. II, on se sent aussi bien plonger dans le Grand Bleu, dans la petite lucarne d’Il était une fois la vie (années 80, vous nous tenez dans vos mains), que n’importe quel documentaire exotique diffusé sur l’écran de la Géode. C’est de la musique qui dessine en notre for intérieur nos contrées du rêve, comme si ce monde là ne pouvait avoir une fin. La rencontre avec la magnifique Laura est en soi admirable, et on pense aux débuts de l’écossais Grum, mais aussi, pour des raisons différentes, à Mogwai. Elle emportera les suffrages des enfants d’Icare ayant encore la tête plongée dans l’éther.

Cet album est une course constante vers une pure communion des enthousiasmes, quitte à devenir pompier. Il y a deux ans, Gaspard Augé avait exploré cette thématique avec Escapades, avec de meilleurs résultats. Mais bien qu’excessivement lumineux, Fantasy est un album d’initiation pour les plus et moins jeunes. Il faudra néanmoins songer à fermer sans larmes son adolescence pour changer l’ici et maintenant, ou, du moins, explorer cette nostalgie éternellement perdue sous un nouveau prisme.

Tracklist
01. Water Deep
02. Oceans Niagara
03. Amnesia
04. Us And The Rest
05. Earth To Sea
06. Radar, Far, Gone
07. Deceiver
08. Fantasy
09. Laura
10. Sunny Boy
11. Kool Nuit (Ft. Kaela)
12. Sunny Boy Part 2
13. Dismemberment Bureau
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