Mermonte / Variations
[Room Records]

8.8 Note de l'Auteur
8.8

Mermonte - VariationsIl faut parfois, quand on va à la rencontre d’un album, faire abstraction d’éléments contextuels qui viennent parasiter la découverte au risque de brouiller la vision que l’on va s’en faire. Dans le cas de Variations, le 4ème et nouvel album du collectif rennais Mermonte qui sort sur Room records, c’est la très mauvaise surprise au moment de commander ce disque (car oui, on achète aussi ses disques chez Sun Burns Out) de découvrir son prix prohibitif, très largement au-dessus des standards actuels pour une raison qui ne parvient pas à être convaincante. Même la version numérique directement vendue par le groupe sur une plateforme devenue incontournable est proposée à un tarif très au-delà de ces mêmes standards équivalents, peu ou prou au prix d’un CD mais sans qu’il ne soit question pour le coup / le coût d’une quelconque matière première pas plus que d’un objet à poster. Difficile de ne pas se demander où les principaux concernés veulent en venir sans vraiment trouver de réponse à la question d’autant que de façon tout aussi incompréhensible, il suffira alors de se rendre sur la propre chaine vidéo du groupe pour profiter cette fois de l’intégralité du disque absolument gratuitement. Comme s’il n’y avait plus aucune nuance, aucun « juste prix » entre la gratuité compressée et la qualité vendue comme un produit de luxe à une élite audiophile aisée. Mais malgré cela, cette incompréhension à laquelle se mêlent frustration et même une forme de colère et d’inquiétude sur ce que tout cela préfigure, il convient de faire la part des choses parce que Variations est, pour le coup, une bien franche réussite.

En 10 ans et 4 albums, le collectif monté autour de Ghislain Fracapane et d’un noyau de membres permanents présents depuis les débuts s’est imposé dans le paysage musical d’ici par sa capacité à proposer des ambiances climatiques absolument délicieuses, glissant petit à petit d’un format penchant plus du côté d’un post-rock très harmonique et mélodique à des constructions dorénavant beaucoup plus pop, mais une pop dense et exigeante, savamment construite et menée. Ça n’est pas une surprise : le groupe a par le passé su montrer bien des capacités à s’adapter à différents contextes (jouer dans une cour d’école, dans un bus, sur une plage, dans une église, dans un musée, dans des marais salants) et montrer que sa musique savait elle aussi adopter des contours qui s’éloignaient parfois des intentions d’origines. Si le chant a toujours plus ou moins été présent, souvent sous forme de chœurs officiant comme un véritable instrument supplémentaire, il prend depuis Mouvement en 2018 une place nouvelle, à l’époque confiée notamment à deux invités de marque, Laetitia Sadier et Dominique A. Cette tendance s’accentue aujourd’hui sous l’impulsion de Ghislain Fracapane mais aussi d’Eléonore James dont la douce voix ravit déjà les inconditionnels de La Battue ou Bumpkin Island et à l’exception des trois instrumentaux Variation (I, II et III donc), les sept autres titres sont non seulement agrémentés de voix mais adoptent aussi un format chanson assez marqué.

A l’image d’un autre collectif comme peut l’être celui des canadiens de Broken Social Scene, les rennais délaissent donc un peu le post pour se concentrer sur un rock exigeant, à la fois capable de contenter ses fans les plus pointus qui attendent d’eux inventivité et pertinence mais aussi de conquérir un public plus sensible à l’immédiateté mélodique. Le titre Rythme Interdit est d’ailleurs la trace d’une private joke que l’on retrouve sur les réseaux et vidéos de la bande élargie, la traduction de l’idée qu’il est juste impossible de se laisser aller à une quelconque facilité qu’un Poum-Poum-Tchack Poum-Poum-Tchack trop convenu symboliserait. De fait, là où d’un côté Mermonte se dirige vers plus de clarté, de limpidité mélodique, il persiste à maintenir un niveau d’exigence musicale qui se retrouve en particulier dans une rythmique inventive, constamment en recherche de structures nouvelles et audacieuses pour tenir à la baguette des morceaux d’une densité incroyable (Consume, It Won’t Last Long, le tubesque Animals). C’est la force du nombre, le risque aussi : l’équilibre est à trouver entre le trop plein d’empilements inutiles et la justesse de ce que chacun a à apporter à ces compositions de collectif. Mermonte est rompu à l’exercice et ne faillit de nouveau pas sur ce quatrième album.

La densité harmonique, une caractéristique constante chez le collectif rennais pour qui le travail sur les structures et les ruptures ne cesse de progresser touche ici à la perfection. Si chacun a sa place, il n’est pas non plus indispensable d’être tout le temps en mouvement tous ensemble. En cela, Variations porte à merveille son nom tant le groupe parvient à s’octroyer avec justesse et pertinence des moments, micro-moments parfois, de rupture, de respiration qui non seulement allègent le disque mais lui confèrent aussi une incroyable dynamique. Mais de Variations, il est également question lorsque l’on découvre le groupe explorer quelques territoires jusque-là peu fréquentés comme sur ce In Circles, découverte confinée qui exprime sur disque tout sa puissance à coup de basse saturée, d’éclairs synthétiques et d’une batterie complétement saccadée, univers déstructuré et peu engageant s’il n’était porté par une mélodie vocale particulièrement convaincante qui tient le morceau de bout en bout. A l’opposé du spectre, Variation III qui a la charge de conclure le disque est une étonnante balade instrumentale qui n’hésite pas à prendre un Air lounge à la façon d’une vieille BO de film noir français des années 1970, comme une envie d’aller explorer d’autres terrains lorgnant eux aussi vers une musique plus mainstream, mais tout aussi exigeante dans sa construction et ses inspirations.

Avec ses Variations, Mermonte, collectif solide et constant sur lequel on peut compter, livre un album plein et maitrisé, un de ces disques qui témoignent d’une démarche cohérente, à la fois dans l’écriture et la conduite des morceaux et ce malgré la variété des chemins empruntés qui aurait pu lui nuire. On regrettera simplement que cette cohérence ne s’applique pas à l’ensemble de la démarche. Enregistrer un album, un bon tant qu’à faire, est une chose. En produire une édition physique en est une autre. Mais s’assurer qu’elle pourra se vendre en étant accessible à tous, fans mélomanes et collectionneurs en est une dernière qu’il convient de ne pas négliger surtout quand on s’inscrit dans la fragile micro-économie des productions indépendantes.

Tracklist
01. Variation I
02. Consume
03. It Won’t Last Long
04. In Circles
05. Underwater
06. Variation II
07. Animal
08. Promised Land
09. Rythme Interdit
10. Variation III
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