Groupasuivre#3 : Angeladorrrm à la sauce catalane

Les habitué.e.s le savent, on n’est pas les derniers ici à évoquer et défendre les musiques indés venues depuis l’autre côté des Pyrénées d’un pays à bien des égards bien plus actifs que le nôtre sur ce terrain et qui plus est avec une certaine longueur d’avance sur la question, pas si anodine que ça, de l’identité culturelle qui s’exprime en particulier à travers l’usage de la langue d’origine. Alors quand on découvre Reis Dura Gaire Estona, le premier EP d’Angeladorrrm que sort le label des environs de Clermont-Ferrand, Les Disques Bleus Enregistrements, difficile de ne pas tomber sous le charme pour ces mêmes raisons. D’un côté, un tout jeune label d’un peu plus d’un an d’existence qui entend consacrer (une partie de) son activité à la promotion de musiciens espagnols. De l’autre, un tout jeune groupe de Barcelone attaché à ses racines et à son identité culturelle, privilégiant donc l’écriture et le chant en catalan. Cela n’est très certainement pas inédit mais il faut reconnaitre que c’est la première fois dans ce long parcours musical qu’on en vient à croiser des artistes à la patte indé s’exprimant dans cette jolie langue légère et chantante, à la croisée du castillan, du français et de l’occitan. Une vraie cousine qui s’aborde pour les non-initiés plus simplement que l’islandais de Sigur Rós ou le russe de Peremotka par exemple, presque comme un jeu de piste linguistique qui livrerait volontiers ses clés aux plus perspicaces : malson > mal songe > mauvais rêve > cauchemar. Vous pouvez ranger Google Trad.

Un Malson Més est d’ailleurs sans aucun doute la meilleure des portes d’entrée dans l’univers d’Angeladorrrm, quatuor mené par la chanteuse et guitariste Àngela Balcells. On tombe rapidement sous le charme de sa voix à la fois intime et affirmée, reflétant une personnalité déjà bien accomplie, de ce joli tempo chaloupé qui commence ligne claire et s’encanaille rapidement sous un déluge noisy de distorsion et de larsen avant d’embarquer tout le monde dans un refrain qui combine la fulgurance de Yamal et la vista de Pedri. Si, comme souvent sur un premier enregistrement, on pourra ça et là pointer les similitudes inspirées, Reis Dura Gaire Estona traduit déjà une jolie qualité d’écriture qui va bien au-delà de la simple originalité catalane et la recherche d’un son personnel, fruit d’influences plutôt variées que le groupe s’attache à faire fonctionner ensemble comme pour mieux les digérer. On passe sans sourciller de la plus twee des pops (Com Un Estrany) à un rock sombre et pesant façon Spiritualized (Reis Dura Gaire Estona en conclusion) alors que l’historique rock américain façon Pixies ou Throwing Muses (On Anirà El Cel) n’est jamais loin de pointer le bout de son nez.

Faire du neuf avec du vieux : la recette est bien connue mais seules les personnalités dégageant un supplément d’âme et la volonté de dépasser ces influences sans les copier ni les renier peuvent aborder sans grandes craintes un avenir musical qui a tout pour s’avérer radieux. Angeladorrrm n’est dépourvu ni de l’un, ni de l’autre et s’attèle déjà à donner une suite à ce premier essai comme en témoignent deux nouveaux titres explorant avec classe et énergie de nouvelles facettes de leur art, d’audacieuses façons de les associer, passant sans grande transition sur Tant Mal de la rondeur d’un Destroyer au désespoir hurlé sans retenue, condensant en moins de 3 minutes sur No Sento l’énergie bruitiste que d’autres mettent parfois 10 minutes à développer. Six titres d’un côté, deux plus récents de l’autre et tout simplement un sans faute : on a connu pires débuts.

Prenant le train un peu en route, on ne sait pas encore si et quand Angeladorrrm passera les caps habituels conduisant au premier album mais il est certain qu’on n’est prêt à les perdre de vue.

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