Miss Grit / Follow The Cyborg
[Mute]

7.7 Note de l'auteur
7.7

Miss Grit - Follow The CyborgPrénom : Margaret. Nom : Sohn. Pseudonyme : Miss Grit.  Espèce? Androïde. Nous ne sommes pas à l’abri de surprises quand on apprend l’identité fictive avancée par de nouveaux artistes. Elles en disent long sur les motivations de leur musique, et l’époque nous gâte en surprises. La confusion des genres s’insinue tellement qu’elle rebat les cartes, inséminant le doute même chez les plus irréfragables sur la question. Et donne lieux à des interrogations existentielles rejaillissant en musique. Après deux petits formats sortis, Talk Talk (2018) et Impostor (2021), Miss Grit se jette dans l’arène rock électro-pop chez Mute avec son premier album, et nous enjoint secrètement à sonder la voie de la machine.

She, Robot

Ce qui nous frappe d’entrée, ce sont les dosages que Miss Grit concocte entre un épiderme purement synthétique et un cœur de guitares vibrantes. En résulte une véritable force émanant de la composition. Alors qu’il s’agît ici d’une pop indie et crémeuse, on est surpris de se prendre en retour quelques rafales de guitares cinglantes sur Your Eyes Are Mine, tantôt brutales et imposantes, tantôt plus amples et aériennes. Autour, donc, une paroi de bruits d’embranchements, d’électrodes et autres appareils, tout cela dans un univers pourtant nacré, parfait, rond. Une dream pop (mais, est-ce que les androïdes rêvent vraiment?) dont la chambre serait déserte et de la taille d’un entrepôt, avec une décoration à la Musée Gugenheim, et dont la télévision serait éternellement allumée sur un épisode d’Armitage III l’après-midi et un film de Mamoru Oshii pour s’endormir. N’oublions pas le livre d’Isaac Asimov posé au coin du lit, cela aide à se comprendre quand on est étranger à la « normalité », donc. Et puis il y a l’organe de chair qui s’anime, la voix, l’élément humain.

Il y a de multiples artistes auxquels on pense en contact de Miss Grit, mais s’il y en a bien une à laquelle on pense depuis le début c’est bien la jeune Nilüfer Yanya, particulièrement à l’écoute de l’éponyme Follow the Cyborg. La voix est envoûtante, belle, et l’effet légèrement granuleux de la voix, comme si celle-ci nous sortait d’un orifice artificiel da un courant d’air, ne diminue en rien sa puissante nature. Sur cette surface synthétique évoquée, se voient souvent brodés des motifs, rythmes et autres sonorités, certaines provenant d’instruments matériels, d’autres exclusivement des entrailles de la machine, comme ces notes évoquant des technologies obsolètes et jouets d’un autre temps. Ici, l’arpège de piano joue à égalité avec l’ordinateur V-Tech. Perfect Blue (référence, on le suppose, au film de Satoshi Kon) et sa robe presque orientale nous rappelle Kiss Them From Me de la grande sœur Siouxsie and The Banshees. Le motif du rapprochement dépasse de loin celui-ci, mais on ne peut s’empêcher de dresser quelques digues avec la transformation de Björk en « autre chose » que l’humain ; plus récent encore, on pensera au dernier album de Nehl Aëlin, Erase My Memory. Il faut toujours écouter les femmes, il y a des signaux faibles émanant d’elles : c’est par elles qu’arrive le changement, chaudron d’humeurs complexe en cycle libre.

Mauvais genre

Ce n’est pas parce qu’on est conscient de la non-binarité revendiquée par la chanteuse, mais sur The End, Miss Grit n’est pas sans évoquer la voix de Dorian Electra, les effets de transmutation en moins. L’avant-dernière position de la piste, le fait qu’elle n’achève pas l’album malgré ses airs conclusifs, nous échappe ; comprendra qui pourra. Cela nous fait penser que l’album est bien court, et le court est le pire ennemi de la répétition. C’est ce fameux grillage de guitares qui se manifeste un peu trop souvent de la même manière, un nombrilisme que l’on peut adresser à de nombreux groupes comme Blushing. L’arrière-plan électronique, plus variant, change la donne, mais lui aussi court ce risque. C’est dès le troisième titre que l’on se fait cette réflexion, juste avant de l’oublier à l’écoute du super pêchu Lain, d’une puissance rock balançant son jus.

La musique, c’est du bruit qui pense disait Hugo. 사이보그를 따라와, second entracte instrumental, indique à Miss Grit qu’un avenir délesté de voix lui serait parfaitement possible. Le brouillard new wave rappelle des sonorités entendues au Working Men’s Club dernièrement. On se sent étrangement en confiance, dans un univers plein de câbles et de filins, mais cette fois ordonné à l’asiatique. On remercie l’Annie Clark de St. Vincent d’avoir, par sa musique, poussé la jeune femme à se lancer dans l’aventure. Juste avant, celle-ci étudiait diverses technologies musicales, ce qui explique l’inattendue touche DIY fissurant ce doux caractéristique de la bedroom pop, de même pour les guitares éreintant la musique. Il y a comme une étrangeté. Plus rien n’est binaire, tout semble infinité des (désirs) possibles. On aimerait juste en voir plus se manifester dans sa musique.

Dans ses morceaux, Miss Grit parle intangibilité du réel, dissolution de l’être dans l’écran et crise d’identité digitale : « And what’s the point of being so profound / When all l’ll be is contained in this so vague membrane […] / Hold up your hands if your two lives overlap / Hold up your hands if you want your memories back / Hold up your hands and let go of your phone clone« . Des thèmes vertigineux, mais qui méritent d’être traités plus en profondeur. C’est un peu comme si cette jeune génération se rendait compte qu’elle ne s’appartenait plus ; de cacher en soi des masques que la conscience ne soupçonnait pas ; musicalement, ces questions constituent un gisement. Like You est un des morceaux les plus plaisants, et le crépitement de clavier aura l’air des violons de M83 dans son Outro. Miss Grit apparaît à la fois comme un modèle analogue à Mitski et une petite cousine à Chairlift, dans ce même indie rock américain d’une fraîcheur renouvelée mais campant sur ses acquis. Hâte de voir comment la musique de Margaret Sohn échappera à l’obsolescence programmée de cet autre genre.

Tracklist
01. Perfect Blue
02. Your Eyes Are Mine
03. Nothing’s Wrong
04. Lain (phone clone)
05. Buffering
06. Follow the Cyborg
07. 사이보그를 따라와
08. Like You
09. The End
10. Syncing
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