Avec son premier véritable album, Hospice, sorti en 2009, The Antlers est devenu presque instantanément l’un de nos groupes préférés. La tournée qui a suivi nous a permis de découvrir un collectif foncièrement original et qui exécutait les titres plombants mais cristallins de cet album concept incroyable avec une grâce, une aisance et une force qui étaient assez fascinantes, ouvrant une voie assez extraordinaire entre agilité jazz, pop baroque, space-rock et ambient. La musique de The Antlers réussissait sur les albums suivants, Burst Apart et Familiars, à creuser ce sillon avec une vraie maestria, évoluant pas à pas vers plus de sophistication et des visées moins neurasthéniques. Les sept années qui ont suivi la sortie de Familiars ont été particulières pour le groupe. Peter Silberman a traversé un certain nombre d’épreuves personnelles et surtout failli perdre sa voix. Il a déménagé en dehors de New York et trouvé une sorte de rédemption dans un parcours personnel d’ordre quasi-sacré, qui tient de la conversion panthéiste ou d’un mouvement que d’aucuns qualifieraient de transcendantal et néo-hippie. Impermanence, son album, renvoyait directement à ce mouvement qui imprègne assez fortement ce que propose aujourd’hui le groupe, réduit désormais à son duo nucléaire Silberman/Cicci.
Green To Gold est, à cet égard, un album qui étonne par la paix et la sérénité qu’il dégage mais déçoit, à parts égales, par sa prise de hauteur et son côté contemplatif. La musique de The Antlers, portée par la voix sublime de Silberman, a la beauté des images de cinéma d’un Terrence Malick période Nouveau Monde, une perfection plastique (sonique, ici) qui éblouit, époustoufle même, transporte souvent mais a tendance, dans la répétition, à désincarner et à tomber dans l’abstraction. Silberman met en avant le caractère quasi thérapeutique de la musique désormais, ses vertus curatives. Le disque offre ce réconfort des musiques du dimanche matin qui soignent les aigreurs, accompagnent les réveils difficiles et les gueules de bois, mais aussi permettent de voir le monde sous un meilleur jour. L’ambition du disque est d’apaiser et d’étendre la perspective, de bercer et de réconforter, d’amener vulgairement à ouvrir ses chakras. Le disque est produit avec une belle profondeur et incorpore des sons captés par Silberman dans son jardin ou lors de ses balades dans la campagne près de chez lui. On attend des criquets qui font le criquet, des oiseaux l’oiseau, des rayons de soleil qui discutent de tout et de rien, des arbres qui bruissent et des fleurs qui pleurent. The Antlers fait causer les éléments avec un savoir-faire assez bluffant sur Strawflower (morceau silencieux) et Wheels Roll Home avec sa luxuriance et sa grâce habituelles. On pense aux travaux de Brian Wilson sur Smile ou That Lucky Old Sun en version new-age.
Les chansons capturent des instants précieux, des épiphanies où l’attention et le coeur sont saisis sur le vif dans une forme de contemplation qui relève parfois de l’extase ou de la béatitude. Sur Solstice, Silberman chante :
The week went slow, the year flew by
From the end of June back to last July
When I lost my coat swimmin’ underneath
Heavy everything, an oppressive heat
Sayin’ whoa-whoa, whoa-whoa
Whoa-whoa, whoa-whoa
Keeping bright, bright, bright
… dans un instant de poésie et de communion élégiaques. Stubborn Man sonne comme un examen de conscience, une sorte de bilan intime tourné vers l’amélioration et le développement personnel.
I’m a stubborn man with a fickle plan
Given lots of thought, but no attention span
I can change my mind, turn on a dime
I can strike me down at anytime
Par delà la beauté formelle des morceaux (It Is What It Is est sublime), cette veine qui mêle contemplation des éléments naturels et analyse de soi semble moins fructueuse que les sujets du passé. Cela ne se traduit pas par un manque de variété mais tout de même par une dilution/propagation des effets et un vague ennui suscité par l’absence de perturbation et de trouble. A l’écoute de Just One Sec, on s’en trouve presque gênés de souhaiter être bousculés, malmenés et accablés, alors que The Antlers ne pense qu’à notre bien-être. Mais c’est un fait : devant tant de beauté, on réclame quelques claques dans la gueule, des larmes et des coups de poignards. Green To Gold sonne comme un paradis sans enfer, ni purgatoire, un disque incroyablement lumineux mais qui finirait par éblouir et tourner la tête par manque de contraste. Critiquer Volunteer est une injustice véritable mais à laquelle on n’échappe pas.
Green To Gold est sans conteste l’un des plus beaux disques faits de bons sentiments qu’on a jamais écoutés. Ce n’est pas un petit compliment mais cela le situe tout de même un brin derrière les précédents albums du groupe et tous ceux qui nous ont rudoyé ces dernières années. La chanson-titre est indépassable, le meilleur antidote contre la tristesse qu’on a jamais croisé. Porchlight retranscrit au delà des espérances la sensation d’infini bien-être qu’évoque son titre.
So, summer’s on the outs
Cicadas swim around the house
Crickets clicking down the block
We are on an early morning walk
No one’s up, and no cars on the street
Hiding from an unrelenting heat
Sun is climbing out from underneath
Lighting up and roasting tired leaves
Green to gold, going green to gold
Green to gold, going green to gold
A breeze blew in and autumn came to town
Branches bare, the leaves rest on the ground
All that summer worked to bud and bloom
Only to be swept up by a broom
Il faut remercier à genoux Silberman et Cicci pour ces instincts de grâce et de bonheur pur. Mais le monde frappe malheureusement à la porte et il ne ressemble pas toujours à ça.
02. Wheels Roll Home
03. Solstice
04. Stubborn Man
05. Just One Sec
06. It is What It Is
07. Volunteer
08. Green To Gold
09. Porchlight
10. Equinox
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