Slumb / Plague
[Banzaï Lab]

8.9 Note de l'auteur
8.9

Slumb - PlagueQuatre ans presque jour pour jour après leur premier album, Play Dead, qui avait fait partie de nos disques favoris sortis cette année là, le duo Slumb revient avec un disque très attendu (par nous du moins) et qui réussit assez vite à s’imposer comme le digne successeur de son prédécesseur. La pochette signée Eddy Loukil est remarquable et nous resitue d’emblée dans l’univers futuriste et graphique de Senbeï et Julien Marchal, les deux hommes qui se cachent derrière ce nom de groupe ensommeillé.

Plague est un disque inquiet, immersif et qui, s’il n’est pas accompagné à notre connaissance par un narratif particulier, nous projette assez vite assez loin de nos repères musicaux et référentiels habituels, comme si on passait le seuil d’une société alternative, peut-être sur une autre planète ou dans un avenir proche mais différent. Le premier morceau, Adagio, donne le ton et ne s’organise pas du tout autour du piano fétiche de Marchal, ce qui en soi est déjà une surprise. Les cordes (un violon, synthétique peut-être) déblayent le terrain et installent une ambiance mi-oppressante mi-crépusculaire qui rappelle fortement les travaux les plus réussis d’Archive. Le développement prend son temps et finit de nous égarer avec des vocaux compressés et distants qui s’énoncent en langue étrangère et nous sont donc largement incompréhensibles (le très beau Lagoon). Ça grésille, ça crépite, mais ça brille par la clarté mélodique et l’agilité des beats qui dessinent de délicieuses progressions dépaysantes et aux résonances exotiques.

On connaît le goût de Senbeï pour les textures asiatiques et les influences cosmopolites. C’est ce sentiment de décentration qui emplit l’espace avant qu’on entre avec l’excellent Overload dans le premier morceau chanté et véritablement hip-hop du disque. Le titre est puissant, galactique, virtuose. On pense cette fois à Deltron 3030 ou au Black Elvis de Kool Keith. Dans un scénario à la Matrix, une armée de clones travaillent à l’usine dans l’oppression et l’ignorance de leur destin esclave. L’un d’entre eux tente de se révolter et lance une sorte d’insurrection qui sera anéantie par “l’administration centrale” dans un reboot/effacement des travailleurs négligeables. Overload nous offre un scénario complet ramassé de manière assez émouvante et convaincante en moins de quatre minutes. Il se prolonge dans cette ambiance assez sombre et spatiale sur l’excellent instrumental Saturn Ghost avant que The Letter ne vienne nous rappeler, avec délicatesse et tendresse, qu’un ancien monde a dû exister avant cette sortie dans le futur. Le simple crissement d’une plume sur la papier, constitué en son et en musique à part entière, vient suggérer la disparition d’une pratique qu’on imagine résiduelle mais qui, pour cette raison, nous emplit de regret et de nostalgie.

Il y a un effet Blade Runner, une lumière pâle et étoilée qui éclaire la pénombre de Plague, comme s’il s’agissait de dire au revoir à nos dernières traces d’humanité. Le chanteur réunionnais Aurus (aka Bastien Picot) sublime Bricks In A Wall, le grand morceau du disque, de sa voix qui n’est pas sans rappeler, dans sa capacité à bouleverser et à monter dans les aigus, celle de notre chouchou David Mc Almont. La prestation d’Aurus est vertigineuse et les arrangements sont splendides de modestie et de discrétion. Le piano de Julien Marchal qu’on n’avait pas beaucoup entendu jusqu’ici s’associe à la voix d’ange pour interroger rien moins que le sens de nos vies. Faut-il se battre ? Faut-il résister ? A quoi et pour quel but ? Les questions sont vagues mais les réponses universelles. Le morceau inspire une grande tristesse en même temps qu’il porte l’espoir d’une résistance mélancolique et répond à notre besoin de consolation.

Le disque rebondit sur un final plus énergique et quasi boom-bap avec le presque classique Left Over, chanson de renaissance et d’insurrection. L’humanité se redresse et la vie reprend. Les basses singent et signent le battement des cœurs qui explosent un peu partout sur la planète imaginaire qu’on abandonnera bientôt sur un délicat Where The Lions Weep, lumineux et harmonique. Plague est une odyssée spatiale simplissime et dont on épouse le mouvement avec beaucoup de plaisir et de grâce. C’est un conte autant qu’un disque, un récit mythologique autant qu’une collection de chansons, une succession de vignettes, de sensations qui nous sont proposées. Slumb travaille comme on composerait un cocktail à la Boris Vian, en utilisant les touches et les notes, les samples et les voix, pour enivrer, dessiner et peindre. C’est superbement fait et d’une lisibilité assez extraordinaire. On recommande de mettre le son à fond et d’écouter ça les yeux fermés pour se laisser gagner par le rêve et vivre au mieux l’expérience.

A dire la chose, Plague est le voyage le plus stratosphériquement cool qu’on a fait depuis plusieurs années sans prendre l’avion et quitter son fauteuil ou sa chambre. C’est le disque qu’on voudrait écouter jusqu’à la fin des temps si on perdait l’usage de nos jambes et de nos yeux.

Tracklist
01. Adagio
02. Lagoon
03. Overload ( x Miscellaneous )
04. Saturn Ghost
05. The Letter 04:36
06. Bricks in a Wall ( x Aurus )
07. Left Over
08. Where The Lions Weep
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