Guillaume Belhomme / My Bloody Valentine Loveless
[Discogonie]

Guillaume Belhomme - My Bloody Valentine LovelesL’idée qu’un éditeur français puisse prendre le pari de publier un ouvrage de 80 et quelques pages d’un auteur français sur un sujet aussi pointu et spécialisé que l’album Loveless de My Bloody Valentine est en soi une excellente nouvelle. Les éditions Discogonie, dont il s’agit du quatrième titre après notamment deux ouvrages assez chouettes consacrés au Pornography de The Cure et à OK Computer de Radiohead (on n’a pas lu celui consacré au Harvest de Neil Young), sont à féliciter d’emblée pour cette initiative. L’idée selon laquelle il y aurait « un marché » de trentenaires et quadras probablement pour ce genre de camelote nous titille et nous donne du courage. A moins de 10 euros l’ouvrage, on ne doit pas être le seul à avoir envie de se payer une tranche d’histoire et, peut-être, à vouloir se replonger dans sa propre jeunesse. Car autant dire la chose : on voit mal qui pourrait lire ce bouquin sans avoir une connaissance préalable du sujet ou a minima avoir entretenu un embryon de « relation » personnelle avec le disque dont il est ici question. On ne sait pas trop en fait, et c’est le principal reproche (et aussi le principal compliment) qu’on lui fera, si l’ouvrage de Guillaume Belhomme est fait pour apprendre des choses ou s’il vise plutôt à nous faire part d’une expérience d’écoute à partager ou à commenter.

Les deux mon commandant ! C’est à coup sûr ce qu’on nous répondrait. My Bloody Valentine Loveless se présente comme une sorte d’essai commenté et personnel portant sur l’environnement, la genèse, l’attente et finalement sur les chansons qui composent l’album le plus célèbre du groupe emmené par Kevin Shields et qui devait, plus ou moins, disparaître pendant plus de vingt ans après sa sortie en 1991. Loveless, c’est le Graal incertain d’une époque révolue (mais aussi maintes fois revenue par la grande porte des guitares à pédales) : l’Angleterre morne (et triomphante) des shoegazers, des guitares électriques et de la modestie pré-brit pop. L’époque Loveless, c’est une redéfinition du rock par le bruit blanc et les visages juvéniles dont on oublie les traits jusqu’aux chaussures, la mort des idoles et un appétit de déconstruction par le bruit et la mélodie, qui provient d’une volonté de fusionner les différentes chapelles rock, l’avant-garde et les musiques populaires. C’est surtout l’expression, au cœur du rock indépendant dès son invention, d’être seuls au monde ou presque et d’avoir en découdre avec un univers qui ne nous appartient plus dès l’origine. C’est, en quelques mots, ce qu’évoque l’excellent Guillaume Belhomme, à travers ces pages. Et il le fait sacrément bien. L’homme a écrit pour les Inrocks et surtout pour Jazz Hot. On le connaît aussi pour son blog, le son du grisli, essentiellement pour ses écrits sur le jazz. Ce My Bloody Valentine est vraiment très bien mené : extrêmement bien documenté, construit comme une mini-enquête rétrospective et pas seulement limité au seul Loveless puisqu’on arrivera très vite à évoquer toute la carrière du groupe jusqu’à son retour, et surtout parfaitement équilibré entre apports sociétaux (disons, la description du contexte de production) et purement culturels et artistiques (les chansons, le parcours du groupe, la « personnalité » de Shields).

Cet équilibre entre l’engagement personnel (ce que Belhomme partage avec le groupe, avec la musique dont il cause) et l’histoire de Loveless est évidemment ce qui fait tout l’intérêt du livre et de ce genre de projet. Belhomme échappe au travers qui consiste à prendre toute la place et à négliger l’objet du délit. Sa plume est bien, comme celle d’Assayas (en pire, ou en meilleure) quand il se laisse aller, envahissante. Le style est un peu trop fleuri et enluminé à notre goût mais cela ne fonctionne pas si mal lorsqu’il s’agit de décrire l’indescriptible. On ne sait pas trop ce qu’on aurait pu écrire d’intelligent et d’expressif pour décrire les pièces qui composent Loveless. Belhomme tente même, à un moment, une sorte de track by track héroïque dont il se sort avec les honneurs, tant pour la plupart des auditeurs, Loveless est toujours apparu comme un monolithe insondable et à même de désamorcer tout commentaire critique. Le disque se présente, pour ceux qui le connaissent, plus comme un bloc de marbre blanc, crépitant et électrique, que comme un gentil commentaire trait à trait des Beach Boys. Belhomme rend à la perfection ce désir de chansons qui anime Kevin Shields en même temps qu’il le travestit en une sorte de glissement de terrain (pop) permanent et palpitant. On aime aussi, pour son audace, l’examen des paroles du groupe, si peu évoquées d’ordinaire et qui ont pu (même si Mark Gardener a fait bien mieux sur Ride, disons le en passant) ajouter à la séduction d’ensemble – si tant est que quelqu’un ait pu… les entendre derrière les guitares.

En bref, on s’y croirait et c’est l’une des grandes réussites du livre que de nous faire toucher du doigt le sens, et l’émotion, attachés à cette cathédrale sonique.
On n’en dira pas plus sur l’ouvrage qui repose sur une documentation estimable : interviews de l’époque, coupures de presse on l’imagine conservées dans des boîtes à chaussures (ou glanées sur le net), magazines, etc. C’est une belle réalisation qui rend à merveille par la qualité de son approche (on parle look comme on parle pochette, influences comme marque de la guitare utilisée), l’objet pop dans sa globalité, en tant qu’objet et œuvre d’art à part entière. Pour cela et pour la légèreté avec laquelle il s’applique à faire ça, on ne peut que louer Guillaume Belhomme et se féliciter qu’une telle collection existe en français.

Il est probable que, comme avec son équivalent en anglais 33 1/3, il y aura dans le genre des ratages et des livres qu’on aimera détester. Il faudra se souvenir alors qu’on pratique la même religion.

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