Babybird / I Was Born A Baby Original lo-fi recordings (1990-1995)
[Autoproduit]

9 Note de l'auteur
9

Babybird - I Was Born A BabyA force de fouiller dans ses vieux dossiers, Stephen Jones a fini par retrouver, dans son garage, une multitude de cassettes qui précédaient la sortie en 1995 de ses fameux lo-fi recordings qui ont lancé sa carrière. A l’époque, Babybird sortait cinq albums incroyables en moins de deux ans qui allaient percuter la britpop en pleine poitrine, avant que l’oisillon (enrichi d’un groupe et d’un contrat juteux) ne saute dans le train en marche avec un Ugly Beautiful gonflé en pop et surtout transfiguré par la présence en son sein de You’re Gorgeous.

Fort de ce trésor retrouvé, Babybird semble décidé, entre deux ou trois ou quatre parutions contemporaines, à reprendre son travail d’excavation en lançant une nouvelle série en 5 disques consacrée à ces cassettes perdues qui rassemblent des enregistrements lo-fi capturés entre 1990 et 1995. I Was Born A Baby, édité en CD dans une série ultra-limitée qui reprend les codes graphiques des originaux, est le premier de ces cinq disques et une petite merveille pour ceux qui apprécient ce genre de fantaisies. Avec ce travail, on touche en effet à ce qui se fait de mieux en matière d’assemblage basse fidélité : un mélange d’instrumentaux joués avec des instruments de fortune, de cassettes qui craquent et grésillent, de tubes pop avortés, d’expérimentations délirantes, de chansons drôles et tragiques, de refrains perdus et de motifs imparables. Le disque est magique, comme si on replongeait plus de 25 ans en arrière à l’âge d’une « pop en chambre » composée entre le lit et le lit, gravée au magnéto à cassettes, et qu’on assemble ensuite avec du ruban et un effaceur. Il n’y a aucune nostalgie spécifique à développer par rapport à cette période mais juste le plaisir infini qu’on peut éprouver à pénétrer dans cet univers intime et universel où les grands morceaux (il y en a quelques uns, inspirations sublimes et définitives), cotoyent des plaisanteries, des reprises (ce qui est plus rare chez Babybird) et des motifs évanescents.

Entre le joli Male Poonlight (jeu de mots), gratté sifflé à la mandoline, le psychédélique Joe Ashton’s Boulevard of Crime et le rugueux instrumental Ruddy Good Trashing, Babybird donne un aperçu de ce qu’il sait faire de mieux : tout. On sent ici l’angoisse, l’aspiration à l’amour, la rudesse et le le romantisme. Even If You Hate Me est une chanson d’amour déglinguée et unilatérale qui précède le GRAND MOMENT du disque représenté par l’hilarant et irrésistible When A Lad Loves A Lady. Variation bas de gamme sur le chef d’oeuvre de Percy Sledge, le titre parle d' »entrer dans la culotte de la fille, sans faire de bébé », de sexe et de contraception. C’est une pochade vulgaire et brillante qui donne à voir le génie pop du bonhomme et son esprit de dérision. Ceux qui ont fréquenté les lo-fi recordings de 1995-1996 et les tiennent en haute estime seront heureux de constater que ce nouveau disque est exactement au niveau des anciens. Il ne s’agit pas de chutes de studio ou de machins montés à la petite semaine mais bien d’un nouvel épisode. On tient là de grandes chansons comme Happiness ou Love Letters mais aussi quelques curiosités bien senties comme la version originale de Bug In A Breeze (magnifique et déchirante) ou d’Aluminium Beach (moins réussie que celle qu’on connaissait).

Par delà l’approche titre à titre, le mouvement dessiné par ce I Was Born A Baby, qui sort en digital adossé à I Was Born A Man – PLUS (le premier des 5 disques originaux), est ce qui fait la valeur de cette « compilation ». Ecouter ce disque équivaut à entrer dans un univers singulier, qui passe du coq à l’âne et dans lequel notre oreille est ballotée comme dans un roller coaster. Est-ce du jazz, de la pop, de l’électro, de l’ambient ? De la variété ? Oui et non : l’esprit lo-fi est exactement là, comme chez Dan Treacy ou Syd Barrett, une version lad, normale et carrément meilleure de Daniel Johnston dans cette folie domestique, dans cette impression de composer sur le pouce des titres ou des séquences qui dureront toujours. Slide Under The Grass est un instru de 2 minutes et trente secondes qui dégage plus de densité, de tristesse et d’émotion que les 3/4 des productions contemporaines. On sent dans ces compositions l’âme de celui qui les produit, les interprète, le caractère décisif et en même temps totalement superflu et dérisoire de la démarche.

Stephen Jones explique dans le livret qu’il a écrit tout ça alors qu’il était au chômage, pour ses amis, et en n’ayant pour tout souci que de savoir comment trouver l’argent pour acheter des cassettes vierges. On sent cette désinvolture et cette urgence sur chaque mesure, ce mélange de joie de vivre et de peur du lendemain s’exprimer dans le terrible Frigid Air. La peur de l’abandon, la peur de perdre est au moins aussi forte que l’espoir d’être aimé et d’entrer dans la tête des gens. Babybird aura eu la chance de connaître les deux, dans un mouvement singulier, qui l’a porté au sommet des charts avant de retomber dans un oubli presque total. Le mouvement ascendant/descendant n’est rien d’autre que la prolongation de cet état d’origine sous une autre forme.

Si le disque est si puissant et convaincant aujourd’hui, c’est qu’en 25 ans, rien n’a vraiment changé. L’incertitude et le risque, la peur et l’espoir sont toujours au coeur du dispositif. Ce sont eux qui constituent la richesse et la force unique de cette musique, eux qui lui donnent son prix inestimable.

Tracklist
01. 1991 tape static interlude
02. Male Poonlight
03. Joe Ashton’s Boulevard of Crime
04. Ruddy Good Trashing
05. Even If You Hate Me
06. When A Lad Loves A Lady
07. Happiness (inspired by Ken Dodd)
08. Love Letters
09. Knuckle Wave
10. Tripping on the World’s edge
11. In Heaven (inspired by Eraserhead)
12. Bug in A Breeze (original)
13. From Behind
14. Slide Under The Grass
15. Frigid Air
16. Dreams of Never Dreaming Again (short edit)
17. Aluminium Beach 2
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2 Comments

    1. Il y a des tas d’albums en écoute voire en téléchargement gratuit sur bandcamp qui permettent d’explorer sa phase actuelle. Quelques compilations intéressantes. J’ai un petit faible pour ses instrumentaux sous le nom de Black Reindeer.

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