David Freel (Swell) reconnaît le chemin (1958-2022)

Swell - The Trip« No sign of luck, no yes, had a f***** up time
Mostly feeling something nervous
And something less than right
Just sort of wade into the sky
Just sort of feed into the ground
Just sort of lying in the sound
Just sort of failing to get by
And it’s all that you got »

Pour une raison qu’on ignore, plutôt que de se replonger dans la noirceur de 41, leur chef d’œuvre de 1994, on a, à l’annonce de la mort de David Freel hier, pensé à (I Know) The Trip, leur single de 1997. La faute à ce premier vers « No sign of luck, no yes, had a f***** up time » qui faisait écho à la situation mais nous renvoyait aussi à la question qui demeurait après avoir fréquenté David Freel toutes ces années : qu’est-ce qu’il(s) voulai(en)t ? Un peu plus haut sur le disque Way Too Many Days Without Thinking, on s’était heurté à la principale question posée par le groupe : pourquoi ? Ou pour quoi faire ?

I always went in the lake and now i sit the shore
I notice the time, the place, the booze, the heat, the score…
I sleep when the sun goes down, might rise on it’s return
I think about everything and nothing’s what i learn
I wanted to pray alone i name you in this prayer
I wanted this day alone i blame you in this prayer
The gift that i’m choosing is a gift for changing light
Who cares if this day proceeds through wrongness or through right
Whatever was in the lake will wash up on the shore
I found all the days i lost and never lose no more
I sleep… o.k., there’s time for this

Même dans leurs moments les plus électriques et les plus sonores, il n’y a jamais eu de colère dans la musique de Swell, jamais de violence ou de haine. David Freel n’aura jamais exprimé autre chose qu’une sombre indécision quant au sens de la/sa vie. Que voulait-il faire de ce groupe ? Quel plaisir y trouvait-il ? Rarement un groupe/type aura trahi aussi peu ses intentions à travers ses textes. On n’a jamais su ce que David Freel voulait faire d’autre que de s’asseoir autour du lac et d’envisager tous les possibles impossibles, de contempler les jours perdus étalés à ses pieds, de les regarder s’abîmer et prendre le frais. Il y a toujours eu chez lui une forme de sérénité dans la contemplation du temps qui passe et de la vie qui s’échappe, comme si le laisser filer entre les doigts et en sentir la caresse était ce qui pouvait lui arriver de mieux.

i hope for peace, i hope your well
i know it’s painless as hell
all those bills
and the cars and those groovy sad bars
can you wait if i’m late
if i’m traveling straight
any warning back, storming back
famous black day we can start
…going up is easy

Déménager à Portland ?, s’interrogeait-il encore plus loin, toujours sur ce même disque qui leur avait fait tutoyer le succès. David Freel aura rendu à merveille le sentiment de vanité du monde. C’est ce qui se détache de 41, cette idée que le foisonnement du monde (ce Tenderloin, quartier de San Francisco grouillant et vibrant qu’on retrouve aussi chez l’écrivain William Vollmann, ce centre du monde bohème et fracassé) est aussi fascinant qu’inutile. Freel rêvait d’autre chose. Sa voix agissait sur nous comme si elle était une voix de ventriloque ou dissimulait un double fond. La différence entre le grain et le timbre était un gouffre existentiel. Il y a toujours eu chez Freel un espace béant entre la voix et l’intention, entre le texte et la pensée, comme si l’homme, le chanteur par sa tessiture même avait la tête ailleurs, comme s’il était appelé, sur chaque instant, par quelque chose de plus profond ou de plus intense que le fait de chanter ou d’être sur scène. Swell dégageait une intensité étrange, voire étrangère, l’impression d’y être sans y être tout à fait, assez semblable à ce qu’exprimait au même moment le Morphine de Mark Sandman, l’autre pôle fraternel d’un rock alternatif solaire et esquinté. La sensation était palpable, engagé pleinement dans l’exécution des tâches rock (la guitare, le chant, la batterie somptueuse) mais aussi en train de fuguer et d’espérer mieux, le groupe poursuivait quelque chose qui se défilait sans cesse. Les voir sur scène nous emmenait dans cette quête, perdue d’avance, de dénicher le truc mystérieux qui était au cœur du cœur et qui nous assemblait. Etait-ce l’amour ? Etait-ce le succès ? La mort ? Le voyage ? La vie de pop star ? La paix ou cette tranquillitas romaine que les textes de Freel semblaient désigner du doigt depuis toujours. Le communiqué annonçant sa mort nous rassurait à cet égard, supposant que Freel avait fini par trouver ce machin là : une famille, l’Oregon, le lac sûrement et que cette supposée plénitude l’avait conduit (peut-être) à se retirer des affaires courantes et du monde de la musique. Si on est bien content pour lui… mais pourquoi mourir à cet âge dans ce cas ?…. sa disparition ne nous avance pas tant que ça.

Au fil des années et des disques, le propos s’était allégé. On y voyait le signe d’une sérénité gagnée contre l’âge et les rêves adultes. On aurait aimé savoir ce qui s’était passé, mais Freel n’y était plus pour grand monde. !!Greasy!! sorti en 2014 sous le nom de Be My Weapon n’avait rien à envier à 41. Cela reste le meilleur conseil qu’on donnera aujourd’hui : se jeter sur ce disque passé inaperçu alors et aller cueillir la réponse de la bouche même de Freel sur From Sea To Shining Sea :

There should have been a light on somewhere
there could have been a light on everywhere
but there should of been one light on somewhere
in thee dark of your heart
I begin to talk about a light
i know i’d seen…

Tout ça pour une foutue lumière. On y est. Le dernier disque de Freel a été édité à 181 exemplaires CD. Il en reste quelques uns sur le site de pSychoSpecificMusic, son label compagnon. Toutes les réponses sont là. Il suffit d’écouter et de réécouter. D’écouter et de réécouter.

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