On fait parfois un mystère pour pas grand-chose. C’est peut-être le cas du bonhomme qui se cache derrière l’acronyme E.D.O, à l’origine de ce EP de 7 titres et plus de trente cinq minutes. Le mystère ne dit rien que la musique n’ait déjà dévoilé. On parle ici de musiques souterraines, d’électricité verte et de manipulations technologiques qui se passent sous le manteau. Comme chez Philip K. Dick ou William Gibson, le Mursi d’E.D.O est un album de contrebande. Un disque qu’on télécharge sur son pod et qu’on se branche, entre deux courses, à la base du cou. Cela s’entend, cela se devine. Il est possible que l’auteur soit l’ancien batteur du groupe français (quasi inconnu, disons-le, trois décennies plus tard), Davy Jones Locker – c’était bien avant Pirate des Caraïbes, moussaillon – et qu’il traîne donc son matos de vieux corsaire dans l’Est de la France. Possible que l’album ait été composé il y a dix ou vingt ans, en arrière ou en avant. Mais le résultat est là. Mursi est une énigme jusque dans le titre de ses morceaux.
De quoi parle Kuemado ? Qu’est-ce que le titre signifie ? On pense au brûlé espagnol mais c’est une pièce où les machines se règlent et activent d’étranges ressorts, un titre presque pour rien mais qui fait les présentations. L’électro ambient d’E.D.O fredonne parfois d’évidence numérique. Elle avance comme une electronica de salon (Tripode), une vieille émission de radio, d’écho en écho. Les plages défilent comme un mirage, imposant une forme de cut-up temporel où se mêlent sons industriels, musique d’ambiance et mélodies surnaturelles. Khismet renvoie au destin, inexorable et incertain, comme si l’on descendait une voie de gravier en attendant que le train nous jette dans le fossé. On pense une fois encore à Black Reindeer, mais aussi au drone, aux classiques minimalistes.
E.D.O produit une musique qui respire l’espace et permet à chacun d’occuper le vide qu’il dissimule sous et entre les notes. C’est ainsi l’imagination qui fait le travail et habite le monde avec un enthousiasme et une liberté insolentes. D’aucuns trouveront cette musique morne et sans intérêt, mais on peut y savourer justement cette proposition à habiter l’espace du son avec ce qu’on veut comme une manifestation aboutie de l’art contemporain. La plage 4 s’appelle Donald Duck et ce n’est pas pour rien. Ou si. Est-ce le bruit d’un bec ? Le chant d’un volatile ? Est-ce que les choses n’ont rien à voir ? Il est possible que tout soit le contraire de ce qui semble. Et ainsi de suite. E.D.O, en d’autres temps, aurait eu sa place sur le bûcher. On ne sait pas s’il parle de Dieu comme il faut ou s’il est du côté des hommes. Mesa n’est pas stable du tout et lève une sorte d’angoisse. Artara refuse le mouvement qu’elle semblait avoir trouvé. Rien ne sert de voler, il faut couler à pic.
On pourra faire semblant d’en savoir plus que tout le monde. Mursi fait penser à ces romans de Dan Brown débiles, où des types s’échinent sur des centaines de pages à forcer des énigmes sans queue ni tête. La question est la réponse. Elle ne n’est vraie qu’à travers la répétition. Il faut réécouter le disque cent ou mille fois pour se convaincre qu’on n’y trouvera ni lumière, ni double fond. Juste un geste à la pureté et à la légèreté dévorantes, une proposition parfaite pour l’époque, virale et magistrale. E.D.O ne parle pas. Il reste bouche bée, comme nous. C’est ainsi qu’on émet de nos jours, quand il y a trop de bruit autour.
02. Tripode
03. Khismet
04. Donald Duck
05. Mesa
06. Artara
07. Vol d’Ismail