All The Young Droids / Junkshop Synth Pop 1978-1985
[Night School Records]

10 Note de l'auteur
10

All The Young Droids - Junkshop synthpop 1978-1985Il arrive parfois qu’avec un livre (le Freaks qui peut de Luke Haines, récemment) ou une compilation ce soit tout un continent qui s’ouvre à nos oreilles sectaires et habituées, depuis trois ou quatre décennies, au règne des guitares. C’est ce qui nous arrive avec cette exceptionnelle compilation assemblée par le bassiste de Felt et Lush, Phil King, avec lequel nous avions passé un peu de temps il y a quelques mois. All The Young Droids, Junkshop Synth Pop 1978-1985, réunit sur deux disques, 24 morceaux d’époque, de groupes ou d’artistes dont on ne connaissait pour, disons, vingt d’entre eux même pas le patronyme, et qui suffisent, ainsi mis bout à bout, à nous faire réviser un jugement de trente ans sur l’usage des synthétiseurs dans la pop.

Car on aura eu beau faire quelques exceptions prestigieuses (Gary Numan, un peu de Depeche Mode et quelques autres sottises), il faut avouer que cette première moitié des années 80 et la seconde encore plus nous aura appris à nous défier de ces groupes qui abusent des Moog et autres Minimoogs comme de la peste. Trop légers, trop creux, initiateurs des pires heures de la new wave (même si par la suite on aura un peu réévalué…. Duran Duran, Sigue Sigue Spounik et même quelques groupes issus de l’italo disco). Bref, qu’une compilation consacrée aux groupes qui usent de cet instrument du diable nous ait à ce point emballé en dit long sur le travail réalisé par Phil King.

Plutôt que de faire l’article en causant de groupes qu’on ne connaissait pas il y a trois semaines, on va se contenter de quelques illustrations en disant que NOTRE TITRE FAVORI du moment se trouve en place 11 sur le CD1 et se nomme Computer par un groupe appelé The Microbes. Le groupe n’a quasiment plus existé après ça, nous apprend le livret passionnant. Le chanteur s’appele Jeff Chegwin et le producteur/compositeur en chef (celui qui commande les machines) était Oswin Falquero. Vous m’en direz tant. Chegwin est devenu manageur d’artistes et a aussi bossé pour la télé et la radio. C’était à l’origine dans les années 70 un enfant acteur, son premier rôle – qui l’a sans douté marqué – était d’avoir interprété un robot dans un film intitulé Egghead’s Robot. Voilà exactement ce qu’on aime et pourquoi on fait tout ça (écrire ces chroniques, parler de nouveautés), pour ouvrir des dimensions, savoir qu’existent quelque part dans le passé et le futur des dimensions musicales souterraines et qui révèlent des beautés inexplorées.

C’est exactement ce que nous offre Phil King ici tout au long de ces deux CDs. Le morceau de The Microbes est une perfection absolue et il y en a des tas d’autres ici. On pense évidemment souvent à Kraftwerk mais pas que. Il y a des trucs qui lorgnent du côté du rock progressif, Yes, Tangerine Dream etc. D’autres machins qui sont plus radicaux et qui font penser plutôt à Throbbing Gristle. D’autres encore qui précèdent la new wave et évoquent des versions (bien meilleures) de pré-cold wave à la Human League. On pourrait passer en revue les morceaux un par un mais ce serait vous priver de la joie de le faire vous-même. Au hasard, le premier morceau est épatant : Premonition du groupe Design. On est en Belgique en 1982. Un duo composé d’Edouard Janssens et Eric Brusselmans. L’influence OMD, Human League est manifeste, mais on pourrait tout aussi bien dire que c’est un des premiers Simple Minds. Ce morceau est une sacrée tuerie. Le groupe ne s’est jamais produit sur scène d’après ce que rapporte Phil King qui nous apprend que le chanteur est décédé mais que le compositeur a sorti un dernier album en 2022 sous le nom de UpCircle.

Vous en voulez encore ? Nous aussi. Il suffit de prendre les morceaux dans l’ordre. Titre 2. CD 1. Le morceau s’appelle Lucifer’s Friend et le groupe Vision. Toujours 1982. Sheffield cette fois, Lucifer’s Friend aurait rencontré un certain succès à l’époque dans les boîtes au point d’avoir été porté dans un programme en Italie par un groupe local (Discoring) et d’avoir atteint le sommet des charts. Le groupe n’a jamais réussi à sortir le moindre album et s’est sabordé en 1988. Le chanteur Russell Bonnell s’est éteint en 2000.

On peut vous faire la critique de ce double CD rien qu’en traduisant les notes de pochette. Ca ferait notre affaire mais ça ne dirait qu’à demi, la fantastique découverte que constitue la quasi totalité des 24 morceaux réunis ici. Il y en a bien quelques uns qu’on trouve naze mais on est à peu près certains que d’aucuns en feront leur morceau préféré alors on ne décernera de bons et mauvais points à personne. De là à dire qu’il y a une nébuleuse synthpop à réexplorer et à revaloriser, il n’y a qu’un pas à faire. King évoque le rôle central du NME qui dans son édition de Noël 1979 commence à se moquer des groupes qui correspondent à cette émergence de la scène synth pop. Le journal tout puissant met en avant une parodie synthpop nommé Are Trends Eclectic ?, tout en consacrant ensuite un numéro spécial à un guide des musiques électroniques. Bref… il y a toujours eu autour du genre des sentiments mêlés d’attraction et de répulsion/dérision qui en ont détourné des générations entières, comme la nôtre. Est-ce qu’il est temps d’y revenir ? Peut-être. Au moment où l’Angleterre connaît, avec le retour d’Oasis, un emballement britpop inconsidéré, c’est aussi un vrai ballon d’oxygène d’aller se replonger dans un pan d’histoire oublié et décrié de tous.

Ruez vous sur cette compilation, écoutez la sur Bandcamp. Vous en ferez peut-être votre bande-son de l’été. Et ce sera bien fait pour vous.

Note : en vidéo d’illustration, le génial We’re Not Lonely d’un dénommé Ian North (1980), une autre foutue merveille.

Tracklist
Disque 1

01. Design – Premonition
02. Vision – Lucifer’s Friend
03. Richard Bone – Alien Girl
04. John Howard – I Tune Into You
05. Ian North – We’re Not Lonely
06. Selwin Image – The Unknown
07. Harry Kakoulli – I’m On A Rocket
08. Rich Wilde – The Lady Wants To Be Alone
09. Billy London – Woman
10. Alan Burnham – Science Fiction
11. The Microbes – Computer
12. The Goo-Q – I’m A Computer

Disque 2

01. Gerry & The Holograms – Gerry and the Holograms
02. The Warlord – The Ultimate Warlord
03. Die Marinas – Fred From Jupiter
04. Dee Jay Bert & Eagle – I Am Your Master
05. Peta Lily and Michael Process – I Am A Time Bomb
06. Sole Sister – It’s Not What You Are But How
07. Alastair Riddell – Do You Know Me ?
08. Karel Fialka – Armband (The Mystery Song)
09. John Springcase – My Life
10. Incandescent Luminaire – Famous Names
11. Disco Volante – No Motion
12. Dream Unit – A Drop In The Ocean

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1 Comments

  1. says: Alaphasant

    J’avais jeté initialement une oreille distraite sur cette compilation. J’y suis revenu suite à cette chronique . Finalement, c’est tellement bien que j’ai acheté l’album

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