Suite à un échange de tweets furieux et menaçants il y a quelques années au sujet de sa contribution à l’album de Vanessa Paradis, on s’était promis de ne plus écrire un mot sur Benjamin Biolay, chanteur par nature controversé et dont l’engagement ambigu et ambivalent sur les réseaux sociaux mériterait à lui seul un essai. On avait ainsi ignoré (ce qui n’était peut-être pas plus mal) Palermo Hollywood, ode à la lenteur et à la sensualité argentines dont les diffusions radiophoniques répétées et les critiques plutôt dithyrambiques nous avaient intrigué. Motus encore sur le deuxième extrait du nouveau album, Volver, dont la sortie est programmée le 19 mai. Le titre éponyme (comme on dit) présentait le chanteur en majesté de bord de mer, dans un registre chanson pop plutôt somptueux où la qualité du texte l’emporte assez largement sur la mélodie. Volver, le morceau, revenait sur un itinéraire de vie, comme ces publicités au long cours qu’on voit parfois et qui retracent la vie d’un type ou d’une nana de la vie à la mort pour susciter une émotion factice. Avec Biolay, cela fonctionnait parfaitement, malgré une « langueur monotone » et un chant à plat qui constituaient encore une fois des handicaps. Le maniérisme du chanteur (d’aucuns appelleront ça sa limite naturelle) en est devenu insupportable pour certains qui l’accusent non seulement de ne pas savoir chanter mais aussi d’être un imposteur… à la solde du pouvoir socialiste.
C’est dans ce contexte de désamour national et de fracture artistique qu’a déboulé le troisième extrait de l’album, Hypertranquille, déclenchant un concert de moqueries, de condamnations et d’insultes d’une violence rarement vue pour un artiste français. Les pages de commentaires ont été fermées presque partout et la vidéo a fait son chemin de page en page accompagnée de sourires narquois ou de dénigrements insensés. Il faut dire que cette Hypertranquille a tout pour se faire battre : la scénographie est la même que sur le clip de Volver. Biolay est seul cette fois et balade sa nonchalance et son spleen sur la plage. L’homme est beau, tennis blanches, petit blouson de cuir près du cœur et jean serré. Sa coupe de cheveux est impeccable. Le choc ne provient pas tant de la mise en scène que de la musique elle-même. Le rythme est lent, extrêmement lent, délicieux et langoureux. La mélodie et les arrangements sont soyeux et minimalistes, pas fracassants et ramenants tout l’intérêt du morceau sur le chant. Et c’est évidemment là que le bat blesse. Biolay rappe et enveloppe son organe d’effets mixés qui surprennent : la voix semble autotunée puis passée, sur certaines séquences, dans un filtre vocoder. L’effet est saisissant, libérant des accusations selon lesquelles l’artiste lorgnerait sur PNL – autant dire que ce n’est pas un compliment. La séquence slammée/rappée est elle-même sidérante. Le texte rime et s’énonce simplement, comme si chaque mot, pourtant léger comme l’air, était posée avec défi et application. Les critiques s’en donnent à cœur joie et pourtant : jamais Biolay n’est apparu aussi crânement cool, décontracté et badin.
Lui reprocher de ne pas rapper comme Eminem est une aberration, une stupidité sans nom. Le bonhomme n’a jamais caché son goût pour le hip-hop, présent dans le premier extrait de ce nouvel album révélé il y a quelques semaines et intitulé Roma (amor). Le Biolay d’Hypertranquille est en compétition avec le Houellebecq de Burgalat, avec un Gainsbourg éteint, évoluant en apesanteur dans un registre de suspension qu’il se bâtit depuis quelques années. Ni chanteur, ni prince des nuées, croisement incertain d’une évocation poétique et d’une versification populaire post-adolescente où la maladresse côtoie la pureté d’intention. Hypertranquille est évidemment un morceau de rap tout pourri si on l’aborde sous ce seul angle. Le chanteur n’y est pas et n’évolue pas dans le registre technique de la concurrence. La production est détournée des canons R’n’b du temps pour produire un effet d’étrangeté, de distance et d’évaporation qui est à la fois bien trouvé, curieux (une autre des qualités de la chanson) et d’une certaine manière critique. La coolitude est absolue. Le propos et l’à-propos servent à merveille le détachement qu’évoque le texte. L’adéquation est parfaite : extraterrestre et absente au monde, détachée et décontractée du gland, follement originale (même si à la limite du ridicule). Biolay est aujourd’hui le plus subtil des brasseurs d’air et des illusionnistes. A l’échelle de la composition, c’est un talent rare et plus que précieux.
C’est dans cette coïncidence stupéfiante entre le propos et les moyens avec lesquels elle s’énonce que cette chanson est grande à sa manière et une réussite exemplaire. On peut la moquer pour le plaisir mais certainement pas pour de bonnes raisons.
Sur scène le morceau hypertranquille est hypercool.
Ce mec a tellement à apporter, si on se laisse aller. Ceux qui résistent encore ont bien, bien tort…
Merci 🙂
Je crois qu’on est hyper d’accord avec vous en fait. 🙂
très drôle