On a eu d’emblée un petit faible pour Back Street Girl parce que c’est une chanson perverse cynique et étrangement douce des Rolling Stones qui va parfaitement au phrasé, à la décontraction désabusée et un poil ironique de Kid Loco.
Please don’t you call me at home
Please don’t come knocking at night
Please never ring on the phone
Your manners are never quite right
Please take the favors I grant
Curtsy and look nonchalant, just for me
Don’t want you part of my world
Just you be my backstreet girl
Il sonne parfois plus comme Liam Gallagher que comme Mick Jagger et c’est tant mieux. La reprise est une tuerie. L’aristo de l’original est devenu une pop star sans coeur. Mieux que l’original d’un certain point de vue car Jagger en faisait trop. C’est ainsi que fonctionnent les albums de covers : succession de madeleines/propositions qui s’enchaînent sans ordre de manœuvre évident et qu’on reçoit pour ce qu’elles sont : des relectures brillantes ou foireuses de standards ou de coups de coeur obscurs dont on ne questionne même pas la provenance. Généralement, cela ne fonctionne pas complètement. On a des préférées, des trucs qu’on ne supporte pas. On a même dit du mal du California Son de Morrissey (en partie à tort). Cat Power ne fait pas mieux selon nous. Il y a une mode autour de ça qui renvoie directement aux hypothèses sur la fin du rock : pas la musique elle-même, non… la fin des gens qui écoutent du rock. Ces types là sont vieux et ventripotents. Ils se nourrissent à la nostalgie. Ils n’en ont plus pour longtemps.
Ancienne Vague
Lorsque d’aucuns en font un business, cela nous hérisse le poil. Lorsqu’ils adoucissent la potion, ça nous horripile. On a dit tellement de mal de Nouvelle Vague qu’il nous faut faire la part des choses. En quoi est-ce que ce Born in the 60s est différent ? Les deux n’évoluent-ils pas dans un registre un peu « lounge » et trip-hopé inventé par le Kid ?
Rien à voir. Ce qui est brillant ici, c’est que Kid Loco s’y croit. On peut appeler cela l’incarnation. Il n’impose pas un son uniforme, n’applique pas une méthode de (re)lecture comme le fait Nouvelle Vague. Il n’étouffe pas les chansons. L’appropriation, pas la profanation. Ses reprises se font à hauteur de chansons. Il regarde les originaux d’en bas et les rejoue avec les yeux d’un gamin et le talent d’un vieux musicien. On bouffe du 1967 : Arnold Layne, un des premiers extraits qu’on avait remarqué, est joueur. Kid Loco est Syd Barrett jusque dans ses travestissements. L’album respire l’amusement, la joie de jouer, jamais l’obligation ou l’exercice de style. Cela se sent dans la sélection : le Help Me de Sonny Boy Williamson opère dans le même registre que le morceau des Rolling Stones. Il est odieux, conservateur, sexiste au possible.
« I may have to wash
May have to sew
I may have to cook
I might mop the floor but you help me babe
You know if you don’t help me darling
I’ll find myself somebody else »
Le rock de Kid Loco est un truc de salaud, de cowboy et de séducteur… romantique. Il remet ça avec Little Doll des Stooges (une chanson sur l’étrange attraction du chanteur pour une jeune fille aperçue dans le public d’un concert?). Voilà la vérité : on peut s’amuser à réécouter les riffs, à singer les anciens ou à s’extasier sur la musique de ces années là mais ce que raconte Born in the 60’s, c’est l’apparition historique du « vieux rockeur anglo-saxon », une version coeur brisée de Dean Martin qui s’incarne dans un avatar sexy et abîmé de Marlon Brando, qui s’empoudre, s’enivre et s’embaise comme un lapin. Si l’on regarde la tracklist à cette aune, le disque n’est pas tant un hommage au rock des années 60 qu’un portrait du rockeur en jeune homme. Ce que Kid Loco, qu’on avait laissé sur son formidable The Rare Birds, explore c’est comment il est né lui-même à sa propre figure, à sa propre représentation. C’est un autoportrait splendide et c’est bien ce qui fait la différence.
Pas étonnant qu’on retrouve ici une description magnifique du bonheur amoureux (The Turtles), l’épiphanie Sunny, un train/rail de coke (Casey Jones), une scène de gueule de bois sexy saisie le jour d’après (If It’s Monday Morning) ou encore un chef d’oeuvre du doute et de la jalousie (Suscipicous Minds) : Born in the 60s est un film de bad boy, un récit autobiographique (l’équivalent musical d’une biographie orale, soit la façon dont un type est raconté par… ses proches) par le truchement des chansons. C’est cette dimension qui confère à l’ensemble une allure extraordinaire et une classe absolue. Kid Loco ne chante pas, il raconte une mythologie et s’impose lui-même comme le héros de « ceux qui savent », canaille, revêche et rebelle. C’est James Dean et Gainsbourg (ce chant écrasé) dans le même slip, soit le mélange du bon/mauvais goût à la française, du flair pop et de l’art mineur.
On n’a pas même besoin de s’extasier sur le son, le montage des chansons et le savoir-faire à l’oeuvre ici. On adore Happy Together et Help Me qui sont taillés au millimètre, un poil moins la reprise de The Stooges. Le final composé de Suspicious Minds et du standard du Mississipi tiré des archives d’Alan Lomax, When The Train Comes Along, est tout bonnement magistral, à l’image d’un disque de pur plaisir. Kid Loco n’a pas la plus grande voix du monde mais il nous rappelle que tout ceci est très sérieux et léger à la fois. Possible qu’on tienne là un des meilleurs albums de reprises de tous les temps. Le plus cool assurément.
02. Back Street Girl (Rolling Stones 1967)
03. Casey Jones (Grateful Dead 1970)
04. Happy Together (The Turtles 1967)
05. Help Me (Sonny Boy Williamson 1967)
06. If It’s Monday Morning (Lee Hazlewood 1971)
07. Little Doll (The Stooges 1969)
08. My Girl (The Temptations 1965)
09. Sunny (Bobby Hebb 1966)
10. Suspicious Minds (Elvis Presley 1969)
11. When the Train Comes Along (Traditionnel – Alan Lomax Collection)