Dans une rédac’, on peut vite se partager avec un groupe comme Korine. D’un côté, il y a les auditeurs occasionnels, curieux mais détachés, de l’autre les passionarias d’une toute petite niche, défendant bec et ongles jusque dans la fange leurs héros, peu importe l(‘)a (im)posture de ces derniers. Le tandem, composé de Morgy Ramone au micro et Trey Frye à la compo, est le parfait élément susceptible de provoquer un remue-ménage – et, par la même occasion, de remuer nos méninges sur le pourquoi du comment. Après New Arrangements (2018) et The Night We Raise (2020), Korine nous délivre Tear, un album sentant les lingettes hygiéniques et notre premier déodorant.
Larmes d’eau
Nous avions apprécié sans plus les deux premiers albums, sans pour autant éprouver quelques agréables soubresauts réveillant nos élans adolescents. Depuis, nous avons vieilli ; eux, n’ont toujours pas changé. Toujours cette foutue synthpop FM infantile qui en fera rire plus d’un de « ceux qui y étaient », alors que cette synthpop « de niche » là n’est plus, en soi, diffusée en radio depuis belle lurette, remplacée par une autre tout simplement appelée pop généraliste, ce macro-genre fourre-tout généralement encore plus fienteuse. Comment a-t’on pu laisser le post-punk à des gars ne rêvant ni de révoltes ni de larmes (des vraies), à des mecs nommant leur album Tear, écrivant des paroles avec des pleurs et éructant « Let’s burn the world! » et qui, lorsqu’ils fantasment, s’aiment à s’imaginer en héros de mangas, franges au vent? Burn the World n’est rien d’autre qu’une dream pop Intermarché avec une ligne de basse house dessous. Rien de plus. C’est fonctionnel, carré, écoutable, certes, mais lorsque la mécanique est répliquée à l’échelle d’un album, cela use. On en a soupé, de ces minots voulant mettre le monde à genoux alors qu’incapables de regonfler un pneu. On l’a dit : pas sur le physique!
On a l’air vieux cons, de mauvaise foi, mais ne nous mentons pas : cet album relève soit d’un cynisme ou, au mieux, d’une pathétique naïveté. C’est mal de faire cela ; plus encore, c’est mal de laisser se perpétuer l’incendie. On pourrait attendre plus d’un groupe jouant la posture confidentielle du « cercle des rockeurs romantiques disparus ». Tear n’est pas mauvais, loin s’en faut. Dans ses meilleurs moments, comme Lost in the Dark, notamment à cet instant pendant lequel la voix de notre adonis (en parlant de papillon, regardez la laideur de cette pochette, nom de dieu!) se superpose à l’accord de synthé, il fera fondre la banquise et humidifiera les deux uniques pom-pom girls les écoutant. Mais Tear n’est jamais bon non plus : « I have to know you and be you / Why you waisting time when you know / It’s you and I / My world is falling apart« . C’est toujours cette même recette mal dosée en pleurnicheries, excessivement sucrée (l’euphorie, la juvénilité, cette même colorimétrie de clavier), recyclée d’un titre à l’autre, pire : d’un album (The Night We Raise) à l’autre. On a pas encore dépassé la moitié de l’album qu’on le connaît déjà.
On loue souvent la juvénilité d’une musique, de même que sa possible maturation. Mais tout comme il y a de belles manières de vieillir, il existe de tristes façons de rester jeune. Korine est atteint d’une grave psyrose, alors que les membres semblent seulement (là n’est pas la question, mais quand même)… trentenaires, et encore! À l’écoute de Crystalline, celle-ci nous enferme dans une bulle d’adolescence. C’est beau, en soit, le romantisme, d’autant plus que les guitares aèrent la chambre. Mais la bedroom pop n’a pas vocation à nous enfermer hors du monde. Elle se doit de romantiser l’existence!
Poule mouillée
La synthpop se laisse trop souvent cadenasser par ses glorieuses références 80’s – des groupes fondateurs ayant déroulé les codes du genre : O.M.D., Depeche Mode, The Cure et d’autres, des modèles auxquels on avait pensé sur leur premier New Arrangements, et qu’on ne cesse de repérer dans un album sur deux du genre – sans vraiment les dépasser. Tout du moins, elle les utilise d’une manière conservatrice, comme un hochet figuratif à destination du vieil adulescent venu chercher sa dose de nostalgie. Mais cette fois, pour Korine, c’est encore plus grave : alors que le groupe porte encore un survêtement 80’s au son du jour, plus de trace de cette new wave des premiers âges ; c’est tout comme s’il l’avait dépassée par le bas, en l’oubliant. À la place, le groupe voltige dans le vide, tout du moins ce qu’on tient pour : une hargne noisy et infantile nous rappelant le pire des groupes de pop punk gueulards des années 2000, ceux en sweats et t-shirts sales type Thirty Seconds To Mars ou Hoobastank. Sur le ridicule Train to Harlem, ce même punch pathétique et cet idéalisme dégoûtant de jeunesse se voient dégainés dès la première seconde.
La véritable faute de Korine est de s’extirper de ses racines 80’s (en soi, c’est courageux…) pour se raccrocher à la juvénilité du plus bêta des rock pop (ça, c’est mal…), tout en gardant le revêtement le plus factice des premières (…doublement mal). Un morceau comme Chimera est sympa : c’est gazeux et ça fait du bruit. Mais encore? La véritable question est : pourquoi Korine s’obstine-t’il à faire une musique si vieillote avec une telle naïveté? Enlevons le romantisme de fard à paupières et les grilles éreintantes de guitares, et l’on obtient un groupe métrosexuel américain parfaitement calibré pour la scène pop-rock de plus en plus dominée par le marché asiatique : leur vraie place est dans le domaine de la musique facile! Gardez cette insupportable candeur, marchandez-là, et le reste en découlera!
Écouter ce genre d’album d’une traite devient difficile, les plages ne se distinguant jamais. À l’écoute de Dreamdancer, on se dit qu’on est loin de la tenue de Johnny Dynamite & The Bloodsuckers ou de They / Live du même label Born Losers. Tout est une question de dosage, de la manière de rendre hommage, ou mieux, de détourner des codes éculés. Dans cette obstination autistique et sans classe – même si Korine se situe à l’opposée du spectre post-punk – on est plus proche de Dame Area et de Minuit Machine. Sur Forevermore, on a une petite pensée pour The Stone Roses, avant que la piste se trucide. Il n’y a plus une once d’intelligence dans cette musique, Tear nous exténuant de pauvreté. Korine ne fait qu’occuper confortablement un sillon nostalgique, se rêvant pour ce qu’ils ne sont jamais ; ne seront jamais.