Comme l’année 2023 n’a eu de cesse de charrier son lot de mauvaises nouvelles et de crises diverses et variées, mieux valait-il fermer les écoutilles quant au raz-de-marée informationnel pour partir à la découverte de nouveaux artistes. La musique aura été un plus encore une valeur-refuge qui flambe en bourse. Parmi les grosses cotes, beaucoup de nouveaux et uniquement des petites entreprises artisanales, dont la plupart ont définitivement abandonné les partenariats avec les labels. Après tout, cela ne sert à rien de recourir aux intermédiaires quand on peut avoir une boutique numérique ouverte sur le monde. Considérez donc cette sélection partisane comme un parcours de chalandise pour remplir vos besoins de mélodies mélancoliques.
01 – Wings of Desire – Life is Infinite (WMD Recordings)
Certains se sont essoufflés en dilapidant leur meilleure saillie avant le grand soir. Mais après avoir égrené les singles comme autant de roucoulades, Wings Of Desire convertit les préambules en folle nuit d’amour. On passe du sourire qui pince le cœur à l’orgasme qui vient de loin, au fil de ces treize chansons qui conjuguent les charmes et les atours d’une bonne partie de ce qu’on apprécie, de New Order à The Jesus and Mary Chain, en passant par les points hauts du catalogue Factory et le meilleur des Doves, pour aborder sur les rivages d’Arcade Fire et la scène new-yorkaise des 2000. Oui, c’est plantureux, terriblement érogène, et le duo composé par James Taylor et Chloe Little est bien le meilleur coup du moment.
02 – Johnny Dynamite And The Bloodsuckers – The Tale of Tommy Gun (Born Losers records)
Il a tout : de la posture au talent pour recycler en pervertissant, de la coupe de cheveux et look ringard à la capacité pour bâtir des hymnes à la mélancolie poisseuse. Si le troisième album de Johnny Dynamite And The Bloodsuckers compte moins de singles immédiats que son prédécesseur, c’est qu’il s’inscrit peut-être plus dans la durée en s’astreignant au mid-tempo et le dépouillement qu’impose l’économie de moyens (des synthés, une rythmique rachitique, une guitare aigrelette ou du moins maigrichonne). Johnny ne scande ni coup de foudre ni rupture violente, mais égrène juste l’amour qui s’étiole et laisse s’infiltrer les doutes. Au-delà de ces 12 bluettes synthpop, l’Américain a aussi fricoté avec brio auprès des petits nouveaux de Social Order ou son compère de longue date Cameron Castan.
03 – The Reds, Pinks and Purples – The Town That Cursed Your Names (Sub Pop)
On ne sait plus si on doit saluer d’abord la qualité de ce nouvel (le huitième ?) ou si c’est la créativité de l’ultra-prolifique Glenn Donaldson qui aura le plus marqué cette nouvelle année. Car au-delà de cet album complet, l’Américain a balancé par ailleurs une bonne 30aine d’autres compositions (et dont certaines fameuses). On pourrait craindre que The Reds, Pinks and Purples s’essouffle jusqu’à la tachycardie. Mais non, ce faux-groupe soutient la répétition de l’effort et tient sur la longueur autant que Dean Wareham (Galaxie 500 puis Luna puis pas mal d’autres projets !). Donaldson n’a pas son pareil pour décrocher la note qui décroche, flotte dans l’air et tournoie au-dessus d’une guitare électro-acoustique et d’une autre gentiment shoegaze. Pourvu qu’il ne sorte jamais de sa cuisine où il imagine ces chansons aussi humbles que charmeuses.
04 – Daughter – Stereo Mind Game (4AD)
Ce monde frénétique est décidément injuste : le quatrième album de Daughter sorti en avril ne se sera jamais éloigné bien loin de la platine durant toute l’année et pourtant, au moment du bilan, on oublierait presque les longs moments passés à son chevet ! Des moments où les pensées vagabondent. Des moments pour se ressourcer, se recentrer. L’armure ne résiste pas longtemps aux charmes de la voix d’Elena Tonra, tout en retenue. Dans ses respirations, ses silences, la guitare a tout loisir de bâtir des cathédrales d’arpèges soutenue par une batterie économe qui introduit une dose de tension. Avec quelques arrangements et sans fioriture, c’est juste ce qu’il faut.
05 – Body of Light – Bitter Reflection (Dais Records)
Si on a appris à nos dépends qu’il fallait vérifier la qualité de la came avant de faire un chèque en blanc à DAIS, n’en demeure pas moins que la structure écartelée entre NYC et Los Angeles héberge quelques projets excitants. Ainsi, les frangins Alexander et Andrew Jarson qui œuvrent sous le nom de Body Of Light ont livré un album rétrofuturiste super excitant. Ce n’est probablement pas un hasard si Joshua Eustis (Telefon Tel Aviv) fait partie du casting de Bitter Reflection qui transcende la synthwave du Depeche Mode d’avant sa mue des années 90’s mieux que Drab Majesty et Cold Cave.
06 – Motorama – Sleep and I Will Sing (I’m Home Records)
En cette apocalyptique année 2023, est-on encore en droit de se targuer de s’être délecté de la musique d’un groupe russe ? Ce n’est pas certain et d’ailleurs, après un début de succès, les deux derniers albums de Motorama sont restés dans la confidence, avec une réalisation uniquement en digital via leur propre structure (ou pour le précédent en tirage vinyl très limité qui se négocie entre 200 et 500 € sur Discogs). Mais dans un bel élan de bravoure, Vladislav Parshin emmène ses pistoleros du pop-punk derrière l’étendard de l’insouciance, pour poursuivre un bucolique chemin qui n’hésite jamais à prendre la tangente.
07 – Bewilder – From the Eyrie (Tiny Engines)
Si la pochette de leur premier album attire l’œil au milieu des productions artisanales de Tiny Engines parce qu’elle fait penser au Yawn de Bill Ryder-Jones, l’album s’ouvre sur une mélodie chaloupée comme du epic45. Peut-être il y a-t-il ici les influences de ces chantres de la pop bucolique, mais Thom Wilkinson et George Brooks ont plutôt les yeux rivés outre-Atlantique. Bewilder file sur les traces de L’Altra au gré de mélodies électro-acoustiques portées par une solide rythmique qui laisse place à des envolées vocales à la Pinback et de beaux arrangements de cordes. Au fil de ces huit chansons, le duo aime à varier le rythme pour emmener l’amateur de mélodies à la fois douceureuses et nerveuses s’égayer dans des territoires ensoleillés.
08 – Tanlines – The Big Mess (Merge Records)
Il aura fallu attendre 8 ans pour que Tanlines donne enfin de ses nouvelles. C’est le temps qu’il aura fallu pour que Jesse Cohen et Eric Emm dégagent un peu de temps le week-end ou pendant les vacances pour se retrouver après le boulot. Et ce n’est pas le moindre plaisir que de constater que ces deux gars ordinaires ont préservé intacte leur passion de la musique après avoir titillé le succès il y a plus de 10 ans. Et une bonne dose d’inspiration ! Les compostions sont puissantes, avec une rythmique appuyée, et si les gimmicks accrocheurs de guitares ponctuent chaque instant de l’album, les mélodies suivent des chemins tortueux pour emmener les chansons loin de leur point de départ. Finalement, on se demande seulement pourquoi The Big Mess n’aura pas été plus souvent cité.
09 – Death And Vanilla – Flicker (Fire Records)
A l’heure de la fonte des glaces et des tremblements de terre, la Scandinavie risque de disparaitre de la carte de l’International Pop. Mais Death And Vanilla a déjà pris le large, dérivant depuis belle lurette loin de Malmö. Les amateurs de Broadcast les ont déjà repérés sur la ligne d’horizon depuis plus de 10 ans – tout comme Vanishing Twin qui croise dans les mêmes eaux – pour leurs capacités à allier Krautrock, musique de film et pop sixties. Au choix, c’est une affaire de recyclage ou un charmant anachronisme, certes, mais depuis leurs illustres prédécesseurs précités, on n’a guère entendu plus justes et inspirés que le sixième album du trio.
10 – Deathcrash – Less (Untitled (Recs))
En 2023, l’engouement suscité par Less a tout de l’anachronisme difficile à faire partager. A l’heure où la frénésie l’emporte sur le recueillement et que la morosité ambiante incite à se procurer coute que coute de la joie de vivre par procuration, deathcrash reprend le sillon creusé en un temps complétement révolu, où écouter Codeine et Bedhead pouvait paraitre « cool ». La lenteur et l’économie de notes qui s’agrègent autour de la batterie en guise d’ossature est ici érigée en qualités suprêmes et quand l’émotion a besoin d’un exutoire cathartique, les Anglais le font selon le même mode (mineur) que Slint ou Built To Spill en sautant sur la pédale de distorsion et en éructant leur rage.
11 – Deceits – If There’s no Heaven (autoproduction)
Ceux-là mise tout sur le microcosme « post-punk » pour se faire un nom et écouler leur camelote. En même temps, Deceits ne fait pas dans l’originalité, ne revendique d’ailleurs rien à ce sujet et cela ne les empêche pas de besogner. Leur bandcamp regorge déjà de chansons millésimées alors que le trio n’existe que depuis 2 ans et leur premier album était sold-out en un rien de temps. Il faut dire que si Kevin « Puppy » Moreno ressemble à un américain juvénile grimé en Robert Smith, il a également une capacité hors du commun à incarner ses chansons. Le power-trio de Los Angeles (ne pas confondre avec le groupe hardcore allemand du même nom) livre un album tendu et frénétique, parfait exercice de style et comprenant quelques singles à écouter ad-libitum.
12 – The Drums – Jonny (ANTI)
Sur la foi du single prophétique I Want It All, on aura attendu le retour de Jonathan Pierce comme celle du messie (même cul nu et prostré dans la maison de son enfance). Malheureusement, si le sixième album de The Drums compte quelques chansons bien tournées, le tout est méchamment bancal et laisse un goût amer en bouche. Cette désagréable sensation se dégage du sourire de surface, de l’insouciance feinte qui habillent la plupart des mélodies pop de Jonny alors que les blessures sont profondes, la blessure de l’âme irrémédiable. Il faut réussir à écouter cet album comme les confidences d’une vie à jamais brisée pour en comprendre la teneur.
13 – The Ruments – Abuser (autoproduction)
Si on dit que Vancouver est l’une des villes les plus agréables à vivre, il n’empêche qu’elle a enfanté l’implacable groupe post-punk The Ruments. Une boite à rythme martiale, des synthés vintages et des arrangements bien 80’s ne suffisent pas à juguler la volonté de tout chambouler, les certitudes comme les convictions, de vous prendre par la main pour vous entrainer dans une danse syncopée au fond d’une cave moite qui sent la sueur. Abuser s’applique à magnifier la noirceur qui se dégagerait en rectifiant des Depeche Mode encore juvéniles par la noirceur The Sisters Of Mercy.
14 – Beach Fossils – Bunny (Bayonet Records)
C’est presque une déception de reconnaitre qu’on s’est assez vite lassé du quatrième album de Beach Fossils. C’est aussi un peu sévère, car somme toute, Dustin Payseur et ses deux nouveaux copains (depuis que Zachary Cole Smith s’est barré pour fonder DIIV) ont bouclé un bon album de noisy-pop, gentillette et confortable. Si Bunny ne réserve pas de surprise, il ne cache pas non plus de déception. Les mélodies prennent l’ascenseur émotionnel lorsqu’ils collent le pied sur la pédale (d’accélérateur et d’effets). Ca s’écoute aussi facilement que de descendre un verre de rosé un soir d’été.
15 – Youth Valley – Lullabies For Adults (Make Me Happy / Shelflife Records)
C’est toujours chouette de se faire surprendre par un groupe venu de nulle part sur la carte de la hype. A fortiori lorsque ledit groupe s’adonne à un style musical jugé mineur mais qui se refuse à s’éteindre. Donc les jeunes gens de Youth Valley viennent d’Athènes, en Grèce, et livrent un premier album clairement estampillé indie-rock / shoegaze qui aurait pu trouver sa place sur le catalogue de Slumberland dans les 90’s. Des guitares jangly, une voix vaporeuse, une rythmique qui trépigne et rebondit, il n’en faut guère plus pour nous procurer un bon moment de nostalgie rêveuse à vil prix.
16 – Nation of Language – Strange Discipline ([PIAS])
Passés de l’anonymat au statut de « next big thing » en quelques mois à peine, Nation Of Language n’a pas tardé à donner suite à son deuxième album. Les New-Yorkais ont un peu plus encore évincé les guitares new-wave, bannissant les sonorités acoustiques pour tendre vers une épure synthétique absolue. La voie de tête du chanteur flotte en apesanteur sur ces compositions dépouillées qui prennent des atours volontiers dramatiques – mais sans virer dans le pathos. Orchestral Manoeuvres in the Dark aura beau être revenu aux affaires en 2023, la place était désormais occupée.
17 – Fearing – Destroyer (Profound Lore)
Chaque album s’apprécie à sa juste valeur lorsque les circonstances sont réunies. Pour ce qu’il s’agit de Fearing, c’est en solitaire les jours où la mauvaise humeur nous pousse à nous renfrogner. Autant se dire dans ces cas-là qu’on va se souhaiter de ne pas écouter trop souvent le second album des Californiens ! Malheureusement l’année écoulée a offert beaucoup d’occasion pour qu’on l’apprécie. Leur post-punk repose sur une rythmique martiale pour constituer des complaintes d’outre-tombe vrillant sur elles-mêmes, à faire passer les chansons de Drab Majesty et Soft Kill pour des comptines de boy-scout. Parfois pourtant, le quatuor invite à une danse macabre.
18 – Soft Kill – Metta World Peace (Cercle Social Records)
Malgré la dévotion que l’on peut porter au groupe, il faut bien reconnaitre que ce 10éme album studio, court en bouche, constitue une petite déception en comparaison de ses prédécesseurs malgré Molly, single millésimé. On y entend Tobias Grave emmener ses camarades dans son mal-être vicié en empruntant un chemin de crête électronique inédit, poussant même le numéro d’équilibrisme à inviter des artistes de la scène hip-hop. Un peu dérouté par cette nouvelle inflexion, il faut aller chercher Fuck Boy en toute fin d’album pour s’assurer que quelques que soit la forme de l’exutoire les blessures du leader de The Soft Kill sont irréversibles.
19 – Romy – Mid Air (Young)
Si on a suivi de loin en loin, les productions en solo de l’ultraprolifique Jamie XX, sa partenaire au sein de The XX, Romy Madley Croft, avait disparu des radars. Et on n’attendait pas grand-chose de sa part – très certainement par flemme, parce qu’il est plus facile de se laisser porter au rythme des algorithmes qui font la sélection pour nous. Pourtant son premier album est un très bon disque de boom-boom, avec des montées technoïdes qui font lever les bras et se déhancher, des breaks dans lesquels on plonge volontiers et des longs tunnels sombres qui débouchent dans une lumière éblouissante. Surtout, il y a toujours la voix de Romy qui distille une mélancolie à laquelle on succombe comme au premier jour.
20 – Wild Nothing – Hold (Captured Tracks)
Le parcours de Jack Tatum, depuis ses débuts aux confins de la pop anorak et du shoegaze, conduit Wild Nothing à mieux s’affranchir de ces influences pour s’émanciper. Ici, seul maitre à bord, de l’écriture à la production en passant par à peu près tous les instruments, il s’adonne sans retenu à ses amours 80’s. Il ne renonce à aucun artifice ni effets de studio : des faux-cuivres, le chant haut perché digne de George Michael aux plus heure de Wham!, des synthés qui se prennent pour un piano ou s’élancent dans des Arpeggio que n’aurait par renié Tear For Fears. Le résultat est complétement démodé mais diablement séduisant pour les quinquas nostalgiques.
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