Le label WeWantSounds avait déjà réédité l’année dernière l’un des chefs-d’œuvre de l’artiste, le classique Wahdon (1979). Il récidive dans une période propice et trouble à la fois en redonnant une seconde vie à Maarifti Feek, disque oublié interprété par la diva libanaise la plus belle et flamboyante Fairuz en 1987.
On ne se prétendra pas expert en musiques orientales, ni en art libanais pour l’occasion mais la réputation de Fairuz alias Nouhad Haddad (85 ans cette année) a franchi les frontières du petit pays de longue date. La vieille dame est une institution mondialement connue et qui ne rivalise guère qu’avec Oum Khoultoum en matière de rayonnement international. Cette dernière étant décédée (il y a 35 ans), Fairuz est peut-être la dernière voix marquante et historique à avoir franchi les frontières du monde oriental et à dire vaguement quelque chose aux « occidentaux ». Le disque dont il est question ici est une curiosité à la modernité enchanteresse, un disque (en 11 plages) dont on ne comprend pas un traitre mot évidemment, mais qui repose sur une orchestration jazz et funky absolument remarquable et enthousiasmante. Difficile de dater le produit qui aurait tout aussi pu bien venir du milieu des années 70 et d’une écurie cachée à Beyrouth de la Motown. Maarifti Heek est composé et arrangé par le compositeur jazz Ziad Rahbani qui met ici en situation idéale la voix de la diva.
Les chansons sont éblouissantes et s’ouvrent comme des poèmes en même temps qu’elles nous révèlent les charmes cuivrés et circonvolutions d’un Liban des 1001 nuits, apaisé, amoureux et tranquille. Comment est-ce que ce disque majestueux, ample et à l’élégance aussi radicale a pu émerger d’un pays en guerre et ravagé à ce point ? La question se pose évidemment et renvoie à toutes les ambiguïtés du pays, déchiré mais capable de productions insensées. Chanter sous les bombes. Danser sous les décombres. Les artistes libanais n’ont fait que ça, pour célébrer, continuer à vivre mais aussi protéger leurs semblables.
C’est cette sérénité, cette allégresse qu’on imagine relative, cette sophistication quasi divine qu’éveillent en nous les pièces qui composent cet album et la voix incroyable de Fairuz. On ne suit évidemment ça que de très loin et de très distant, mais on imagine que c’est ce genre de productions qui fait la richesse du pays et dans cette musique même que ses habitants ont pu trouver au fil des années l’envie de rebâtir et de vivre encore avec le sourire aux lèvres. Parler plus longtemps de la musique libanaise et de Fairuz aurait sans doute un côté indécent dans la période actuelle. L’écouter encore et encore est, en revanche, ce qu’il y a de mieux à faire, pour compatir, découvrir et rêver à des jours meilleurs.