Cate Le Bon / Michelangelo Dying
[Mexican Summer]

9.1 Note de l'auteur
9.1

Cate Le Bon - Michelangelo DyingÀ l’écoute du Flying Wig de Devendra Banhart, qu’on tient aisément pour un des albums les plus impressionnants de la décennie, il était impossible de ne pas s’intéresser à la personne aux commandes de sa fascinante texture sonore : la chanteuse et instrumentiste galloise Cate Le Bon. Depuis, on a écouté Pompeii (2022), dernier album pour sa propre personne, sans pour autant retrouver ce même éclat. Ensuite, Cate s’est mise à travailler en tant comme productrice pour des groupes américains comme Wilco, Horsegirl et d’autres à la vitesse grand V. La grande nouvelle arrive : quelques minutes suffisent pour comprendre que Michelangelo Dying, septième album, se situe dans la prolongation du troublant Flying Wig (2023). Que s’est-il donc passé entre ce dernier album et celui-ci, pour expliquer un tel déclic, l’acquisition d’une telle signature musicale ? Il semblerait que notre bonheur s’explique banalement par une rupture amoureuse dont l’album se veut le récit.

La Dolce Morte

L’entrée dans l’album est incroyable. Bon, est-ce vraiment Jerome qui est à incriminer ? On s’affaire un peu trop avec ce lien corrélatif, mais il y a bien une raison à trouver dans cette fenêtre temporelle. Michelangelo Dying est de ces albums qui ouvrent un panorama à son auditeur. On n’a jamais entendu un tel écheveau de guitares et de synthétique, à quoi s’ajoute ce fameux saxo sec si reconnaissable (le même que pour Devendra, celui d’Euan Hinshelwood), le tout cadencé par un battement et enveloppé d’une voix minérale, superbe. Love Unrehearsed enchaîne coup sur coup, nous évoquant autant l’Always Returning de Brian Eno que les cordes folles de Funkadelic ; on a la fièvre, et c’est du délice. L’effet sur le corps est indéniable, conférant un effet d’hypnose parfois syncopée, d’épuisement dans la beauté.

Nous nous trouvons dans un univers soyeux et de mystères. Et il est à pleurer de ravissement. Alors que l’album de Banhart était sépulcral et lynchien, Michelangelo Dying s’impose comme une variante lumineuse, s’offrant à des espaces ocres enveloppés du soleil tendre et impassible d’Amérique. Adieu le désert bleuâtre, bonjour les tissus et la ouate s’entremêlant les pinceaux. Les guitares se voient découpées en motifs de la plus fascinante manière, comme une polyphonie instrumentale. On est dans ses ateliers arty et de respiration typiques comme ceux du film Showing Up, où les artistes se cherchent, pêchant au gré du hasard en eux l’inspiration. Et bien que protégés, les tourments intérieurs ne sont jamais bien loin, n’excluant pas les peines de cœur ; c’est donc une guerre intime qui a déjà fait feu. Ce lainage sonore et méticuleux traduit à merveille l’embrouillamini amoureux.

À chaque entrée de piste, le plaisir d’un nouveau parfum. Alors que le désamour dont est victime Cate s’expose pour mieux cicatriser et se transformer en don, c’est nous qui (re)tombons sous le charme. Sur Pieces of My Heart, on entend un clapotis magnifique, spirituel et animiste. “Love is a mountain“, comme une évidence poétique. Puis un peu plus tard : “My body as a river / A river running dry“. Il y a dans cette musique une gravité et une teneur écrasant tout, de l’ordre de l’ensorcellement. L’envie d’écouter scrupuleusement tout ce qu’elle produira nous saisit ; tout ce qui nous a encore échappé aussi, et avec entrain.

Renaissance terminale

Comme chez John Maus et Jenny Hval mais d’une manière toute autre, on devine une étude méticuleuse et théorique de la musique, de même qu’une dimension sacramentelle à celle-ci ; un travail de piété vers le beau. Les professeurs sont nombreux – un, John Cale, est venu pour l’occasion. On sent l’influence profonde des terres de Roxy Music. Un morceau comme About Time évoque le Change de Big Country, en plus voluptueux et peaufiné encore, nous démontrant cette implacable ingéniosité anglaise à évoquer des climats audio en quelques notes ; merci, mauvaise météo du royaume d’Avalon. Ici, ce sont des paysages pierreux et orangés qui nous épuisent de leur regard de silence, indifférents mais ô combien curieux en nos vies. Sur Heaven Is No Feeling, on s’amuse presque à entendre des réminiscences de Myd ou Metronomy, pour ensuite penser au Fool’s Gold de Johnny Hates Jazz, preuve que l’inspiration se cueille en tous lieux et époques. Évidemment, Kate Bush, Laurie Anderson et plus encore Cocteau Twins constituent des influences indéniables. Et face à ces noms, Le Bon ne démérite jamais.

Les pistes sont longues, s’étirent, n’ayant aucunement l’intention de nous ménager. L’album s’épuise tout de même dans son dernier quart, avant de se reprendre dans une étincelle finale d’abstraction. Il s’agira aussi de se méfier de ne pas transformer la martingale en formule, le prochain album de Dry Cleaning produit par Le Bon semblant la partager ; le renouvellement est vital. Pourtant, il suffit de quelques notes, même d’une piste un peu plus faible, pour nous cueillir. C’est comme si Michelangelo Dying faisait l’effet de ce liquide révélateur utilisé sur les photos argentiques, dévoilant les distorsions insoupçonnées du cœur. Bref, on a un secret ; que cela reste entre nous… Il se pourrait que Cate Le Bon soit la meilleure productrice du moment. C’est dit…

Tracklist
01. Jerome
02. Love Unrehearsed
03. Mothers of Riches
04. Is It Worth It (Happy Birthday)?
05. Pieces of My Heart
06. About Time
07. Heaven Is No Feeling
08. Body as a River
09. Ride (ft. John Cale)
10. I Know What’s Nice
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