Umberto / Archenemy Original Motion Picture Soundtrack
[Milan Records]

8.8 Note de l'auteur
8.8

Umberto - Archenemy Original Motion Picture SoundtrackLa transition/translation d’Umberto depuis son territoire dominant, horrifique post-70s vers le rôle de compositeur de musiques électroniques, progressives, instrumentales et au champ plus diversifié est en marche maintenant depuis plusieurs années. Le compositeur américain évolue formidablement bien autour de sa nouvelle polarité, symbolisée par la fausse bande-son constituée par son dernier album en date Helpless Spectator. Son nouveau projet est à cet égard un accélérateur épatant, le compositeur se frottant pour une première fois (hors formats courts) à une bande originale d’un film de cinéma, qui plus est un vrai film de super-héros, genre codifié s’il en est, même si Archenemy est indépendant et ressemble plus à une version alternative de Hancock qu’à un remake d’Avengers.

A mi-chemin entre le film policier et le film de super-héros, Archenemy raconte la rencontre entre un adolescent et un type mystérieux supposément venu d’une autre dimension et réduit à l’état de clochard sans pouvoirs. Les deux héros sont confrontés, au fil de multiples péripéties, aux agissements d’une sorte de Caïd entouré de sbires impliqués dans le trafic de drogue. Sur une base assez archétypale, Archenemy réussit un joli travail d’ensemble grâce à notamment une réalisation dynamique et à un casting frais et astucieux. Le film questionne évidemment la réalité des pouvoirs du clochard qui s’anime au fur et à mesure et finit par emprunter le charme finissant de Hugh Jackman dans l’excellent Logan.

Sur cette trame, Umberto propose une bande son dont l’intérêt repose dans sa complexité et son absence de manichéisme. Entre ambient, tentation orchestrale et musique électronique, le compositeur évolue, comme le film, entre les genres avec un redoutable sens de l’illustration sonore qui surprend pour une (quasi) première tentative dans le genre. L’ouverture Our Towers Pierced The Clouds donne assez bien le ton, en réussissant à la fois à être délicate, solaire et solennelle. Umberto situe parfaitement l’action, comme suspendue entre le bas monde terrestre et une perspective galactique qui repose sur la supposée mythomanie du clodo. Est-ce qu’Archenemy est un film sur la folie d’un homme, la crédulité d’un adolescent ou un vrai film de héros luttant à mains nues contre la pègre (façon Kick-Ass)? La BO entretient le suspense entre plages contemplatives et moments de tension formidables. Le disque est découpé en une vingtaine de séquences qui témoignent d’une belle maîtrise de ses effets. Hamster City Motherfucker est un titre joueur quasi parfait qui fait penser à du Console. La progression de Some Kind of Kid Reporter est exemplaire, traduisant à la fois la fraîcheur du personnage et sa détermination à changer son propre destin. Les deux minutes racontent une histoire et se réécoutent avec un bonheur complet qu’on soit ou pas devant le film.

Les textures synthétiques mises en place par Matt Hill sont profondes et souvent assez économes. Il y a une belle délicatesse qui s’exprime dans des mouvements aériens comme The Highest Building In Chromium ou le plus angoissant et expérimental The Agony of Self. Ce qui frappe ici, comparativement à des compositeurs pour musiques de film plus binaires (Zimmer, dont on parlait il y a peu par exemple), c’est bien dans le caractère ambigu des compositions et leur capacité à défier la monotonie. Archenemy est un film qui interroge nos croyances mais aussi la confiance qu’on peut avoir en ce qu’on pense. C’est un film sur la foi, sur la défiance et sur les apparences. Exactement ce qu’a toujours fait Umberto, à savoir souligner l’écart entre la représentation et le son qu’elle produit. Entre ses faux films d’horreur et ses reconstitutions fantastiques, Umberto n’a jamais fait qu’interroger les codes du spectacle musical et cultiver cette petite distance, cet écart qui subsiste entre ce qu’on entend et ce qu’on croit entendre.

Il faut saluer ainsi la fantaisie lugubre de An Irresistable Urge qui ébranle avant de s’engager dans le mouvement incroyablement puissant d’A Scent, A Memory, A Molecule. Umberto, ce n’est pas une surprise, est à son aise dans cette musique de genre qui s’amuse de ne jamais savoir si elle se situe dans le polar, le fantastique ou la science-fiction. Un grand nombre de plages constituent une vraie plongée en eaux profondes correspondant au trouble mental du personnage principal. Dans ce registre là, Umberto est imbattable et enchaîne les séquences marquantes. Il ponctue les scènes violentes avec une force, une noirceur et une énergie qui ne sont jamais statiques et rappellent la virtuosité d’un James Newton Howard sur Incassable ou le Village. On mettra en avant la confusion extrême qui se dégage d’une séquence telle que All of The Timelines All At Once, prodige d’éclatement mental et de distorsion du réel.

Cela n’empêche pas l’auteur de ralentir le tempo et de s’élever avec son sujet lorsqu’il s’agit de tutoyer les étoiles. La BO n’est pas dominée par les morceaux atmosphériques mais se tire plutôt bien de ses temps de repos et d’évasion, réussissant, par exemple, avec Eleven Dimensional Space, à dessiner un espace d’harmonie bienvenu et crédible. Produit par le même type à qui on doit Mandy et la Couleur de l’EspaceArchenemy évolue finalement dans un registre qui n’est pas si différent et fait écho aux mêmes angoisses lovecraftiennes et psychédéliques. Le crescendo final sonne ainsi comme un sommet de fantaisie où le réel et son fantasme se confondent, où les époques et les temporalités se mêlent. Le règne du mensonge et de la vérité advient avec le surnaturellement bruyant A Black Hole The Size of Twelve Billion Times, morceau complètement déstructuré et fascinant d’audace.

Umberto s’impose avec cette BO comme un artisan de génie capable, sans trahir le film qu’il illustre, de créer 10001 (fausses) pistes par la seule densité de son écriture. Archenemy est un film qui passera probablement inaperçu dans le contexte actuel. C’est doublement dommage car il concentre sur lui tout ce qu’on peut attendre d’un bon film indépendant.

Archenemy trailer

Tracklist
01. Our Towers Pierced The Clouds
02. Nutty Broad With The Hair
03. Hamster City Motherfucker
04. Some Kind of Kid Reporter
05. Building A Golden Nest
06. The Highest Buildings In Chromium
07. Sugarplum Fairy Interstellar
08. The Agony of Self
09. An Unresistable Urge
10. A Scent, A Memory, A Molecule
11. The Square Root of Negative One
12. Punching Your Way Through Gunfire
13. A Dimmer Fucking Universe
14. Annihilate All Flesh
15. All of The Timelines All At Once
16. I Can See Between Worlds
18. Threat Level Assessment
19. Eleven Dimensional Space
20. The Silence Between Space and Time
21. A Black Hole The Size of Twelve Billion Times
Écouter Umberto - Archenemy

Liens

Lire aussi :

Umberto / Black Bile
La coquille vide d’Umberto est bien pleine (de bile)

Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Ça vaut le coup d’écouter encore Simple Minds ?
A priori rien de moins excitant qu’un nouvel album de Simple Minds....
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *