Il y a des albums qui vous tombent des mains. Et d’autres qui restent accrochés en leur creux, comme un fruit, simple et précieux à la fois. Le mois d’août est généralement un mois de disette, mais on a tenu nos oreilles fermement accrochées à ce joyeux The Weight of a Wave, affalé en cette période de chaleur. La guitariste d’Au Revoir Simone nous a hydraté à sa manière, avec ce sachet de chansons douces. Ce disque est le quatrième album d’Annie Hart en six ans.
Passer au macro-onde
On ne sait pas si le titre de l’album fait implicitement référence aux décennies ayant vu ces chaînes de radio et de télévision se multiplier, mais ce The Weight of a Wave a un son résolument FM 80’s et 90’s, et pas de la manière à laquelle on pense le plus communément. C’est la pop de Blondie et de Belle and Sebastian, une pop fraîche comme un jus d’orange pressé, supplément pulpe indé. À son écoute, on a comme l’impression de côtoyer ces quartiers proches et ensommeillés de facs américaines d’arts, ces pâtés de maisons libertaires où on fabrique son art à soi, avec deux trois bouts de ficelle, comme ceux du dernier film de Kelly Reichardt, Showing Up, ces foyers où sonne un carillon quand la brise se lève. Les cordes ondulent, les guitares nous caressent de rayons solaires. A Crowded Cloud, par exemple, est doté d’un schéma de synthé semblant tout bonnement ferré chez Depeche Mode, crû 1981, et plus loin encore, on entend chanter dans la voix d’Annie le souvenir des New Kids in America de Kim Wilde. Plus enjoué que les précédents albums, on se sent rassénéré, frais comme un gardon, empli de pêche pour affronter une journée pleine de travail et de cris d’enfants.
La voix d’Annie Hart est pleinement mignonne, car tout bonnement perfectible, sans artifice, à hauteur de femme et du beau commun. Les paroles rappellent l’obsession du petit détail, ces petits rien anodins qui font le tout de la vie, la tintant de ses belles couleurs ordinaires : « What makes me, me? I am too ordinary. I have nothing more to offer than my wide-eyed wonder at the world. Curved moss, birdsong, the soft skin of birch bark, the kindness of strangers, pink stones and warm sand.« , avoue-t’elle sur What Makes Me Me. Un appel des Keith, un verre avec l’amie Jenna, quelques aquarelles avec les enfants : c’est peu de chose que la vie, somme toute. On a envie de faire d’Annie notre confidente, notre oreille attentive, cette bonne copine va-t’en-guerre donnant tort aux apparences. Nous abordons ici les vertes contrées de la twee et de l’anorak pop anglaises, celles de ces chanteuses, de Heavenly à The Cananes en passant par Talulah Gosh, trompant leur ennui à la fenêtre du foyer. On mange nos biscottes devant la pelouse, et nous viennent des sourires.
Hart attack
Puis, à la suite de la vision étrange du clip de Boy You Got Me Good, nous revient son apparition lors de la dernière saison de Twin Peaks. On ne pense pas être si influençable, mais Hart, par sa voix accessible mais paradoxalement insaisissable, parfaite dans sa perfectibilité, apparait presque comme une cousine germaine de la lointaine Julee Cruise, fantomatique interprète de chansons phares pour David Lynch. En juste un peu plus tangible : « […] well, you got me where you want me but I’m not even here« . Si proche et pourtant si lointaine de nous…
The Weight of a Wave doit se concevoir comme un sac de chansons légères mais non à même de nous donner les dents creuses, se dévorant sans entrave. La compositrice délaisse ici sa veine ambient (explorée dernièrement avec l’EP Everything Pale Blue) pour un pur hymne à la vie quotidienne, sans esbroufe mais suffisamment généreux pour ne pas nous laisser sur notre faim. Le synthé grésillant de morosité matinale de Falling, s’éveillant d’une nuit un peu difficile, rappellera ceux des productions Lil’ Chief Records, comme chez Jonathan Bree ou Princess Chelsea. Cet album est de cette excellente facture que seule une époque sophistiquée comme la nôtre permet au DIY, lui conférant tout d’un grand. Il ne ressemble pas, au détail près, à d’autres, ni à une collection de titres, l’album s’ouvrant sur des débuts fanfaronnants et s’achevant de manière plus intimiste et évanescente ; mais de multiples albums dormant dans les limbes de la toile et dans quelques passionnées bibliothèques ont été construit avec ce même humble amour artisanal. C’est la qualité principale… et l’unique défaut de cet album. Celui de nous faire passer un bon moment, peut-être même de nous marquer, mais de ne pas vouloir nous marquer plus que cela, ne permettant pas de se distinguer radicalement de la masse de ces autres très bons albums sortant chaque année. Reste que celui-ci est une mignardise sans sucre ajouté. Plus besoin d’attendre la nouvelle canicule pour vous rincez les oreilles avec Annie Hart.