Est-ce que les mots suffiraient ? Pour essayer de rendre compte du réel, de l’ineffable ? Du déluge d’avant-hier ? Tentons tout de même. Mercredi dernier donc. Paris 9ème, mont Olympia. Le temps est doux. Les Parisiens, un peu moins névrotiques (on apprend alors qu’ils sont en vacances). Boston Bun x Étienne de Crécy, écrit en rouge carmin, domine la devanture. On y entre, tout sourire. Le pas léger.
La faune est belle. Décontractée du gland. Le spectre de l’âge est large, s’étendant des vingtenaires à quelques soixantenaires, clairsemés comme les cheveux d’un crâne chauve. Les sexes taquinent la parité. Des trentenaires et quarantenaires surtout, blancs – nous nous faisons l’honneur de le dire, depuis que nous avons dévoré tout Ernaux – ils votent cool et sentent bons la cigarette matinale. Des groupes d’amis. Et même des couples et familles, nom de d…! BCBG en t-shirt, mais aussi en joie ! – les promesses du Printemps font cet effet-là… On se déplace librement dans la fausse, on ne se marche pas dessus. En entrée, le menu dit Boston Bun. Parfait, on aime Boston et on aime les buns ; cela faisait longtemps qu’on n’avait pas remis le nez dans leur discographie, d’ailleurs. Le duo est issu de la pépinière Ed Banger – on est en territoire ami. Parfait pour une mise en jambes.
C’est là que cela se complique. Badaboom : lumière zénithale sur le duo, qui tourne et dévisse les potentiomètres des machines. Le mix est serré, bien amené; ramassé, mais bien tressé. Les titres s’enchaînent sans fausse note; on les suppose provenant exclusivement du répertoire du duo. Très french touch, générations 2.0. et 2.5, celle de Molécule, Birdy Nam Nam (bien que plus génération 1.5), Grand Soleil, Baka G, Darius, etc., etc., toutes ces pousses qui ont percé dans les années 2010 – avec ici un petit côté new-yorkais originel, plus proche d’une culture hip-hop tout en étant plus club encore (dans le tempo rapide). La source américaine de la French Touch, celle techno (DJ Sneak, Van Helden, prière de se référer à la liste des DJs énumérés dans Musique des Daft Punk), mais aussi quelques antennes plus récentes de l'”école Diplo & Friends” (Destructo, etc.). Qui n’a pas peur de taper dans les tréfonds d’une basse dansante, d’aller un peu plus loin qu’une tête qui hoche en deux mouvements. Bref, on se comprend.
L’accueil est… très engageant, bien loin des enfantillages de marbre qu’on peut avoir en France où le public n’a que faire de la première partie et s’efforce (!) de le faire sentir. Ici, le public est bien secoué comme un soda. Puis entracte et murmures dans la brume : un certain Busy P serait là. Excitations. Quelques jeunes femmes tremblotent ; des jeunes garçons montent dans les aigus, en sueur. C’est le moment French Tuches (les Parisiens liraient Public aussi ?). À l’étage : un Boombass (là encore, les crânes lustrés sont détectables). Un robot en t-shirt. DJ Falcon (que le public, dans un oubli culturel mimétique, choisit de nommer… Saroumane – sic). Pour couronner le tout, Afida Turner. Ne nous demandez pas pourquoi – nous sommes restés les yeux magnétisés par la scène, les jeux de lumière qui s’amorçaient.
Bref, la papauté French Touch est là pour Étienne, comme témoin, copain et juge devant l’éternel. Et c’est le feu de dieu. L’Armageddon. Le soulèvement de la Terre. Un séisme de facteur 4, qui n’a tué que quelques centaines de rats – que les Parisiens dorment tranquilles ! Et ce n’est que le commencement, le Warm Up, très solide dernier album – très pop, d’où notre surprise de l’orientation techno prise du concert – que de Crécy a adapté à une scène club – un club plus qu’un concert, c’est comme cela que l’Olympia a été envisagé. Ou alors c’est l’effet des chars de basses qui fait cela, mais on en doute. La foule est folie. Le mix est un spectacle, et plus encore que la musique (dont la texture est amoindrie par un sound system assez vieillissant – problème là encore exclusivement français), c’est la lumière irréprochable qui achève de rendre celui-ci iconique, rangeant alors ce spectacle pas bien loin des Jean-Michel Jarre ou des plus récents Eric Prydz et The Chemical Brothers, à qui on a surtout pensé (ceux de Rock en Seine). Rideau carmin de l’enfer, halos stroboscopiques, murs de fumeroles violettes… on en a pris plein les mirettes, entrouvrant une Porte des Étoiles nous les avalant. Vers le milieu, la scène s’agrémente d’Alexis Taylor de Hot Chip, pour leur titre World Away, pas le meilleur moment pour les raisons sonores et techniques évoquées précédemment. Mais Karma et We Can Have Fun, les deux meilleurs morceaux du petit dernier, sonnaient présents. Progressivement, le mix lorgnait vers les classiques Super Discount (Smile, etc.) et autres titres phares du DJ, toujours rhabillés pour l’occasion. Deux-trois fausses fins, un rappel puis des regards souriants une fois que les lumières se rallument – c’est comblés que nous étions ! Après réflexion, avec recul, nous n’aurions jamais imaginé à un tel déploiement visuel et artistique au début de l’artiste, même après ses hauts-faits et succès d’estime, il y a cela vingt-cinq ans. À une époque où la concurrence musicale est au plus haut, le monde a besoin de lumières, d’une expérience sensorielle au zénith. Les dieux ont donc tremblés.
Pour les plus fanatiques d’Étienne, la suite se jouait au Rex Club le soir même, bien accompagné (avec Louisaaah, Maggy Smiss, etc.) autre haut lieu de cette touche française. Repus, nous sommes rentrés.

