Dimanches en famille chez les Morente

Soleá Morente- DomingosSi le saucissonnage d’un album en une multitude de singles numériques a de quoi interroger les (vieux) tenants d’une exploitation commerciale plus classique et raisonnée de la musique, il faut reconnaitre qu’il a au moins l’avantage de prolonger la mise en lumière d’une œuvre parfois passée inaperçue. Oui, nous n’avons pas évoqué dans les temps le cinquième album de Soleá Morente sorti en novembre dernier et ce fut probablement une erreur tant il s’avère à la longue absolument magnifique. En sortant ces jours-ci, Domingos, l’ultime single de son exploitation commerciale, Eléfant records lui offre donc une dernière occasion de faire parler de lui qu’il est cette fois impossible de manquer.

Impossible aussi de passer sous silence le CV de la madrilène : fille d’Aurora Carbonell et d’Enrique Morente, figures de la scène flamenca espagnole, elle porte en son ADN le gène d’un flamenco moderne et métissé imaginé par son père, longtemps décrié (et même détesté !) par les orthodoxes d’une culture avec laquelle on ne rigole pas vraiment de l’autre côté des Pyrénées pour ses expérimentations audacieuses avant d’être unanimement reconnu comme le père de ce flamenco moderne. Décédé en 2010, il est avec sa compagne au cœur du cinquième album de leur fille, un disque de deuil et d’amour infini sobrement intitulé Aurora y Enrique. Après des débuts plutôt classiques et une première nette évolution en 2020 avec son premier album pour Eléfant records, Lo Que Te Falta, Aurora y Enrique marque une véritable petite révolution. S’il est difficile pour les non-initiés d’entrer dans l’univers particulier du flamenco, Soleá Morente, en le nourrissant d’incroyables références pop et synthétiques, pousse vraiment loin le métissage initié il y a des années par son père.

Domingos, interprété avec Isa Cea du groupe galicien Triángulo de Amor Bizarro (même les non-hispanisants retrouveront facilement la référence, impeccable), est l’exemple même de ce que ce métissage peut produire. Plus qu’un morceau flamenco saupoudré d’influences synthétiques, il est avant tout un énorme tube synthpop sur lequel plane, au loin, un esprit fortement imprégné de culture flamenca. Tout l’album est à l’avenant, oscillant entre un esprit originel fortement modernisé et des morceaux sur lesquels Soleá Morente fait preuve d’une remarquable ouverture d’esprit stylistique. L’album, tout d’abord surprenant, s’avère au fil des écoutes passionnant et fait frissonner plus d’une fois jusqu’à culminer sur les impressionnantes 7 minutes 32 de Fe Ciega sur lesquelles elle convoque Prefab Sprout et Destroyer pour l’une des plus belles chansons de deuil qu’il soit.

Oui, Aurora y Enrique aurait mérité qu’on y consacre un peu plus de temps et de mots, mais Domingos nous rappelle qu’il n’est jamais trop tard pour feuilleter les albums de familles comme celui qui conclut cette étape importante de la carrière de Soleá Morente.

 

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