C’est le moment du grand rattrapage de fin d’année. Est-ce que Eels a enfin fait mieux que Beautiful Freak ? Vous plaisantez ? Mieux que The Deconstruction en 2018 ? Peut-être. A moins que… On avait alors mis une note de 8,2/10 au disque comme si on redécouvrait les talents et les qualités du groupe après sept ou huit LPs passés en hibernation. On pourrait écrire la même chose aujourd’hui : Mark Oliver Everett est devenu un gars bien dans ses baskets, presque joyeux, toujours dingo dans sa tête et sujet à des dépressions mais un bonhomme de 57 ans qui a survécu à tout et principalement à lui-même. Earth to Dora est le treizième album studio du groupe. La pochette est hideuse et ressemble à une boîte de chocolats. C’est sans doute fait exprès. Dora est le nom de l’ingénieur lumière du groupe, qui souhaitait partir en tournée juste après la sortie de cet album. La sortie de Dora était prévue pour janvier 2021 avec une tournée à suivre au premier trimestre. Avec le confinement, Everett a accéléré la cadence pour apporter un peu de réconfort à ses fans. Les concerts viendront plus tard.
Son disque est épatant, pop en diable, parsemé de mélodies remarquables, de belles intentions, de chansons à pleurer. C’est un album plein d’espoir, de lumière, de tubes potentiels mais qui n’en deviendront jamais. Eels ne semble plus travailler dans cette optique. Pour les esprits chagrins, Eels fait du Eels et ne se renouvelle pas assez. On ne sait pas ce qu’il leur faut. Et puis qui a besoin de changement quand tout va aussi mal que possible ? Comme on l’avait dit en 2018, 90% des songwriters tueraient père et mère pour écrire l’une des 12 chansons de ce disque. Il y a plus de pop ici que dans toute l’oeuvre de Muse et Blur réunis. Alors certes, ce n’est pas la révolution de palais : Anything But Boo est chanté comme à peu près 80% des morceaux de Eels, d’une voix un peu paumée et qui raconte son histoire de façon nonchalante. Il y a un clavier délicat et des guitares qui enquillent les couplets-refrains comme si on prenait le thé dans le cabinet de Paul Mc Cartney. Les chansons font 3 minutes et quelques et se ressemblent toutes. Mais encore ? Chaque composition est un petit miracle d’intelligence et d’équilibre. On voudrait être fait prisonnier pendant les vingt prochaines années dans le petit monde de Are We Alright Again ? On voudrait tomber amoureux à nouveau sur Who You Say You Are et aussi gambader au son d’Earth To Dora.
L’album est une sorte de bréviaire feel good, généreux et faussement (dés)enchanté, l’équivalent d’une intraveineuse d’humanité et de vitamines, d’un shoot de jus d’orange aux bais de goji. Les textes sont ciselés avec amour, et la production est précise. On ne rencontre aucun grain de sable, aucun virus mangeur d’homme, aucun trouble notable. Earth To Dora ressemble au monde idéal du Truman Show. Il y a des jardins bien verts, des inquiétudes réelles mais immédiatement circonscrites (Dark and Dramatic). On peut trouver ça nul et facile, répétitif et sans grand intérêt, mais on peut aussi trouver intérêt à s’y réfugier pour y passer un bon moment. On imagine ce qu’Arab Strap aurait fait du génial Are You Fucking Your Ex et on se dit que ce n’est pas plus mal de voir les choses de cette façon, une fois dans sa vie.
Avec ses guitares jouet et ses jolies ritournelles, ses faux airs de Oui-Oui au pays des abeilles, Earth to Dora est peut-être l’album qu’il nous faut pour passer l’année. La finir sur Of Unsent Letters n’est pas le pire truc qu’on pourrait faire car Eels n’oublie jamais qu’il a été un jour sombre et plus bas qu’à terre. Sa pop n’a jamais été mièvre et ne sombre jamais dans le procédé.
Years falling by
Like the leaves dead in the cold
I’ve got a desk full of unsent letters
That I should have sent long ago
Dear, long lost love
It is me
The one who gave up
And I couldn’t blame you for cursing my name
And damning the thought of my love
Acheter des timbres, se fourrer dans l’enveloppe et voguer au vent sans laisser d’adresse. C’est un beau projet.
02. Are We Alright Again
03. Who You Say You Are
04. Earth To Dora
05. Dark and Dramatic
06. Are You Fucking Your Ex
07. The Gentle Souls
08. Of Unsent Letters
09. I Got Hurt
10. Ok
11. Baby Let’s Make It Real
12. Waking Up
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