Il fut un temps pas si lointain, mais définitivement révolu, à l’ère pré-Révolution Numérique, où la découverte du visuel précédait celle de la musique. En essayant de se rappeler des réflexes de l’époque, on se demande vraiment si on aurait eu envie d’aller plus loin en découvrant la pochette de Won, le premier album de Lina Tullgren. Longtemps, on pourra chercher ce qu’il faut comprendre de la personnalité de l’Américaine, dont une main anonyme extrait une étole (un vieux slip ? un napperon ?)… de la bouche… On aura eu beau écouter les dix morceaux et farfouiller sur les supports de communication de l’artiste, ça nous échappe. Selon nos informations, pourtant le centre d’interprétation culturelle sur la dentelle d’Alençon n’est pas dans le coup. Le fait est que cette pochette compte parmi les plus ésotériques et affreuses du catalogue Captured Tracks. Elle pourrait même figurer au palmarès de l’année.
Heureusement, la caution du label new-yorkais permet de passer outre cet a priori qui n’a plus trop lieu d’être alors que la musique est dématérialisée et que de moins en moins d’artistes conçoivent leurs albums comme une œuvre globale. Or, lorsque Mike Sniper signe un artiste, de deux choses l’une : soit on est à la pointe de la hype de la vague rétro-futuriste, soit il s’agit d’une réédition d’un obscur groupe des 90’s promu au rang d’artistes cultes. Lina Tullgren réussit le prodige de rentrer un peu dans ces deux catégories. En effet, si les guitares carillonnantes façonnent le son d’aujourd’hui en recyclant les gimmicks d’hier, Won n’en compte pas une seule note. Les chœurs emphatiques sont monnaie courante dans les productions actuelles ? Il n’y en pas non plus. La recherche de la boucle bien troussée qui servira de bande sonore à une publicité, elle n’en a cure. Non, la seule parenté qu’on a trouvé à la jeune (23 ans) Lina, c’est Mecca Normal, le duo canadien qui œuvre depuis 1984 et a longtemps incarné le son de K Records (ils se sont depuis quelques années exilés chez Matador puis Kill Rock Stars). Un groupe qui aurait pu être réhabilité par Captured Tracks comme leur contemporains Medicine : les compositions de Lina Tullgren sont aussi rêches et fuyantes. A croire que Lina exècre les refrains. Ses chansons finissent avant qu’on ait eu le temps de se mettre la mélodie en tête. Elles sont dépouillées, juste portées par une batterie rachitique, une guitare qui prend à rebrousse-poil et un chant en équilibre instable au dessus du précipice de la justesse de ton. C’est pour le moins bancal, voire carrément casse-gueule et, pour qui aurait déjà les nerfs en pelote, Won n’est pas le disque à conseiller. Il n’en reste pas moins que cet album est attachant, si ce n’est fascinant, pour la fêlure qu’il laisse entrevoir chez son auteur.e.
Lina Tullgren – Asktell
02. Perfect
03. Face Off
04. Red Dawn
05. Fitchburg State
06. Slow
07. Get Lost
08. Summer Sleeper
09. Fate
10. Static Burn