Motorama / Sleep, and I Will Sing
[I’m Home Records]

9.8 Note de l'auteur
9.8

Motorama - Sleep, and I Will SingDeux ans après Before The Road, Motorama revient avec un nouvel album qui, comme le précédent, n’est disponible pour le moment qu’en format numérique, sur le site Bandcamp du groupe et sous l’étiquette de son label maison, I’m Home Records. Que ce disque n’ait pas les honneurs d’une sortie physique n’a plus aucune importance tant la musique des Russes a pris le pas sur tout ce qui l’entourait et ne demande plus aujourd’hui qu’à être écoutée, seulement écoutée. Sleep, and I Will Sing pourrait tout aussi bien être le meilleur disque du groupe qu’il ne lui rendrait pas le soupçon de gloire que lui ont valu ses premiers pas. Les disques servent les tournées qui servent les disques qui servent les fans qui servent le groupe. L’économie circulaire est en place et procure à Vladislav Parshin et sa bande le carburant nécessaire pour poursuivre leur œuvre, de manière régulière et imperturbable. L’indifférence règne mais tant pis pour les sourds.

Ce septième album est le plus beau, le plus lumineux, le plus joyeux, le plus grandiose de tous. Le groupe prolonge l’éclaircie du précédent qui avait déjà allégé l’atmosphère et donnait le sentiment que le bonheur était au bout du chemin. Cette fois-ci, il se tient là, à portée de guitare gracile et smithienne, brandi à bout de basse et littéralement irradiant sur chaque titre. Two Sunny Days pose le décor en offrant au chanteur une retraite mystérieuse et ravie proche des ambiances rousseauistes des Rêveries du Promeneur Solitaire. Bucolique, onirique et pastoral, le titre nous plonge dans un rêve éveillé, beau et sidérant. « I spent two sunny days/ Not so far away/ A concrete castle of steel and clay/ Simple melodies and walk again/ Two sunny days on my own… »

C’est dans cet état proche de l’extase qu’on va évoluer tout du long, promené d’émotions en émotions, en se frottant aux parois fines d’un existentialisme inquiet ou réjoui. La force de And, Yes est remarquable. Le texte l’est encore plus :

Clear sky, a quiet beauty
Cold magic on this side of the Earth
Fresh winds ring purely
In little sparks, the morning bursts

And, yes
Not everything comes easily
And, yes
Not everything goes quite right

La pop de Motorama est rayonnante, sublime, proche de la perfection absolue. Next To Me fonctionne comme une élégie, mi-plainte, mi-ode, où l’on se demande si le corps allongé près de nous, simplement allongé et pressé contre nous, est bouillant de vie ou mort. Alors que la guerre fait rage, le groupe russe contemple les fumées au loin et puis se tourne vers la lune. Les arrangements sont flûtés et futés comme chez Nick Drake, comme s’ils voulaient nous soustraire au réel et l’oublier tout en le (dé)considérant. Toute cette agitation et ce coeur qui ne tremble plus. La Rimbaldie vous remercie.

The dead and the living are everywhere nearby
In labor, love and enmity
The shine of the moon comes from the sun
Do you hear the cry?
It’s a bird of history

Sleep, and I Will Sing est un disque aussi intense que bref (8 titres, 28 minutes), un disque dont on peut supposer qu’il a été volontairement allégé et diminué pour que les forces y soient concentrées (Twilight Song évoque les liens entre la liberté et l’écriture). Le narrateur se tient à l’abri et a trouvé refuge dans ses pensées, dans les nourritures intellectuelles. Il lit un livre sur Not Really et cela fait une des plus belles chansons du disque. Lorsqu’il reprend le chemin du monde, Parshin fait résonner en écho baudelairien la fin de l’angoisse et la curiosité retrouvée : « There’s no more fear of the unknown/ Farewеll anxiety/ Fear of the unknown ». Le motif est répétitif mais si clair : voici la plus belle chanson du lot, une chanson bâtie pour l’éternité et qui, à l’image de ce que nous donnaient les chansons des Smiths, est là pour durer et nous accompagner sur ce qui nous reste à vivre. Un disque pour affronter le monde et le dépasser sur la voie la plus folle.

Motorama n’a jamais été aussi décisif, aussi précis et intelligent. Cela ne s’entend presque pas tant on a d’abord le sentiment de retrouver les motifs musicaux, les tics, les accents qui caractérisent leur son et qu’on aime tant. Mais ce disque se situe un cran au dessus par sa tranquillité, sa sérénité, la sagesse qu’il inspire. La prise de hauteur est vertigineuse sur le final Dreams, tout en ne quittant pas le lit du dormeur/rêveur/amant. La poétique à l’œuvre est de haute volée, simple comme pop, mais pourtant si riche et inspirée. Pour le moment, c’est juste le disque de l’année.

Tracklist
01. Two Sunny Days
02. And, Yes
03. Next To Me
04. Another Chance
05. Twilight Song
06. Not Really
07. Unknown
08. Dreams
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1 Comments

  1. says: Guillaume

    Oui meilleur album du 1er semestre 2023… avec ceux d’Italia 90, Protomartyr, Ulrika Spacek, bar italia et les Lemon Twigs pas si loin !

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