Qu’est-ce qui fait qu’un album trip-hop est excellent ou juste cool et pas désagréable ? Après des décennies à fréquenter le genre, on n’est jamais vraiment venu à bout de cette question. Le premier album des français de Staplin présente, sur le papier, toutes les raisons de faire un super album, un truc marquant et dont on recommanderait l’achat (remboursé) à tous nos amis avant l’été, sauf qu’on le trouve plus parfait et séduisant que complètement emballant… ce qui n’est déjà pas mal me direz-vous.
Staplin est un groupe de Rouen, organisé autour de Norman Langolff et Arno Van Colen. Pour ce premier album, le duo a réuni un casting de collaborations assez exceptionnel et VIP pour poser des voix un peu partout. On retrouve la magnifique Halo Maud, sur trois morceaux, April March sur un titre, Sacha Sieff itou et également Mark Kerr de Maestro, le groupe franco-écossais. Neon Shades est un album élégant et référencé qui renvoie de manière égale à la veine lounge du trip-hop et à une forme de sophistication française estampillée années 60 nourrie aux BOs de François de Roubaix et consorts. C’est sans doute cette double filiation qui tend à théâtraliser les enjeux émotionnels et musicaux du trip-hop qui constitue le meilleur atout du disque et en même temps sa limite.
L’album démarre ainsi avec un impeccable Starlight, classieux et soyeux, interprété de manière magique par Halo Maud, qui inscrit d’emblée l’album du côté irréel et un brin embourgeoisé des musiques instrumentales. Staplin aime la sophistication et ne crache pas sur l’idéal french touch. Le son est clair et harmonieux, l’air est frais et les choses parfaitement agencées. Let’s Go Crazy remue sur un beat inoffensif et faussement insolent. La folie annoncée n’est pas au rendez-vous, le morceau s’accompagnant plutôt de sonorités jazzy bien ordonnées et tout à fait domestiquées. Mais on ne fera pas à Staplin ce procès un peu idiot de la lutte des classes, d’autant que la suite n’en relève pas. The Mass est le meilleur titre du disque. Staplin penche un peu plus vers le hip-hop et semble proposer un écho joueur et ralenti au pétillant Ring Ring Ring (Ha Ha Hey) de La Soul. Ce qui en sort est à la fois classe et imparable, ouvrant un espace hédoniste que le groupe n’investira malheureusement pas par la suite.
Neon Shades est en effet plus classique et conservateur qu’il en a l’air. The Neon Shade est une pièce instrumentale magistrale qui renvoie à l’univers des bandes originales de film des années 60-70. Le mouvement est ample et vigoureux, comme si l’on assistait à une virée nocturne ou à un embryon de poursuite en voiture. Androïd Dreams qui suit n’aurait pas dépareillé sur notre album chouchou de l’an dernier, le Rare Birds de Kid Loco. On peut trouver chez Staplin ce même sens du détail et cette précision maniaque dans la production que chez le natif de Belleville. Ici, les arrangements sont impeccables et la rythmique mi-jazz, mi-pop située comme hors du temps. From The Fire prolonge le mirage/miracle avec un retour gagnant d’Halo Maud qui sonne comme un morceau perdu de Mazzy Star. Staplin se contente d’enrober le chant de la jeune femme dans une orbe de brouillard et de rosée qui dissimule malgré tout la relative faiblesse de la mélodie.
On est moins fan des morceaux qui suivent et qui reviennent à cette facture easy listening/lounge des années 60 pour laquelle on éprouve finalement assez peu de nostalgie. La texture du son est riche et la production irréprochable mais on n’a jamais partagé le besoin de revisiter cet héritage droitier en musique. Mother Midnight est assez ennuyeux, ce qui n’est pas le cas d’un Epsilon qui mêle pulsation bristolienne et arrangements rétrokitschs. La balade est agréable mais ne nous empêche pas de penser qu’il manque de ressort là-dessous et d’âpreté dans le traitement global. On pourrait faire à Staplin les mêmes reproches que Portishead. La vision de la même période par un Senbeï pour Smokey Joe and The Kid a moins de cachet mais plus de peps et de relief. Les années 60-70 auxquelles renvoie Staplin sont moins incarnées et violentes qu’elles ne l’étaient ce qui donne le sentiment qu’on ne fait jamais ici que se confronter à un reflet lisse et superficiel du passé ou, pire, à sa parodie (l’affreux et gainsbourien Celluloïd). On aurait aimé que Staplin joue plus des dynamiques et rentre plus directement dans ses tempos et dans son sujet. Secret Silence n’est pas hors de propos à cet égard et constitue un excellent moment du disque. Le mouvement est vif et on ressent une tension véritable pour une des premières fois. La musique est plus sombre et rappelle les échos lugubres des Pressure Drop.
Neon Shades constitue au final un très bel exercice de style et un très bon disque d’ambiance. C’est un album technique et bien mis en son, un disque distrayant, agréable et estimable mais qui peine à laisser une impression plus profonde que cette idée d’avoir vaguement remonté le temps et revécu des heures de gloire d’une France disparue. Sans doute est-il assez difficile de regarder vers l’avant en ayant les yeux tournés vers hier. Entre trip-hop d’hier et trip-hop du futur, on ira plutôt voir du côté de Drab City pour lire l’heure. Staplin doit pouvoir faire mieux que ça. On en est persuadé.
02. Let’s Go Crazy
03. The Mass (feat Sacha Sieff)
04. The Neon Shade
05. Androïd Dreams
06. From The Fire (feat Halo Maud)
07. Mother Midnight (feat Halo Maud)
08. Epsilon (feat Mark Kerre)
09. Secret Silence
10. Celluloïd (feat April March)
11. Harry Palmer
12. Tuco