Babybird / King of Nothing Part 1
[autoproduit]

8.4 Note de l'auteur
8.4

Babybird - King of Nothing Part 1Par charité (pour le lecteur), on ne rend pas compte ici de toutes les productions de Stephen Jones, de Black Reindeer et de Babybird, même si chacune des livraisons du bonhomme, réfugié depuis plusieurs années maintenant dans l’ombre de son Bandcamp, est souvent digne de plus d’intérêt que la plupart des disques qu’on évoque. Aucun journaliste ne prenant plus le temps de s’intéresser à ce musicien, il nous appartient toutefois une ou deux fois l’an de mettre en avant l’un des disques de cet artiste pour redire au monde qu’il existe et donner envie d’y aller refaire un tour.

Cela tombe bien car après cinq années à habiter les limbes du rock anglais, Stephen Jones est en train (discrètement) de ressortir de l’ombre. On ne sait pas où cela l’emmènera mais il est possible que 2017 se termine en fanfare pour lui alors que l’année avait fort mal commencé. Quadragénaire vaillant, l’homme a subi au printemps une attaque cardiaque sérieuse qui lui a valu en plus d’un régime sévère une angoissante confrontation à l’idée de sa propre mort. Est-ce cela qui lui a redonné envie de passer à nouveau la surmultipliée ou simplement une question d’opportunité ? On n’en sait rien mais Babybird vient de sortir l’un de ses meilleurs albums depuis un bail intitulé King of Nothing et de se produire les 14 et 15 décembre, après quatre années de disette, sur la scène de la Vieille Eglise Saint Pancras à Londres.

Malgré ses soucis cardiaques, Stephen Jones n’a jamais cessé d’inonder ses fans de ses productions. Son mode opératoire, qu’on a déjà présenté, consiste le plus souvent à alterner des productions 100% digitales et des disques (physiques donc) en CD augmentés de petits cadeaux personnalisés, dessins, cartes, badges et autres goodies, expédiés en série limitée (30 à 50 exemplaires) à une liste, qu’on imagine presque immuable, de fans répartis un peu par partout sur le globe. A 30 livres l’unité, multiplié par 30 ou 50, et avec les royalties qui tombent encore issues notamment du sempiternel You’re Gorgeous, on suppose que Stephen Jones s’en sort suffisamment pour tenter chaque mois de rejouer. Dans la liste de ses productions annuelles, King of Nothing Part 1 (le volume 2 a été commercialisé récemment mais pas encore livré) détonne par son ambition. Le disque renoue en effet avec un son ample et ultradynamique qu’on n’avait pas vraiment croisé depuis son Between My Ears There Is Nothing But Music de 2006. Le disque, qui comprend 12 morceaux, démarre par une série de chansons incroyablement réussies et qui renvoient directement au son et à l’engagement de la décennie précédente. On retrouve sur The Greatest Thing les caractéristiques du son d’Ex Maniac et de The Pleasures of Self Destruction, ses deux derniers albums officiels (enregistrés pour Unison Music), cette voix improbable héritière du circuit pub rock et de Ian Mc Culloch, puissante et populaire, des guitares crâneuses et un sens du refrain ravageur. Babybird est le seul à produire des chansons aussi évidentes et immédiatement séduisantes que le superbe Countryside. « They pull the trees right out of me. And Tore the grass from my bones. Now my legs are made of concrete and my feet are made of stone. You’re the countryside where the fields are green but i miss the town in the distance screen. The bars and the too many cars, and the roads who run through me like scars…. », chante-t-il de manière bouleversante dans un titre écolo et déchirant de nostalgie. Not here est tout aussi bon, intimiste et à double sens.

On peut penser parfois que Babybird en fait trop avec sa voix (Like Nobody Else) et la répétition de certains tics vocaux mais les textes sont magnifiques et les mélodies, même arrangées avec les moyens du bord, d’une redoutable efficacité. C’est ce qui saute aux oreilles sur cet album : l’extrême qualité des compositions, leur évidence et leur capacité à se déployer dans un cadre rigoureusement pop de chansons à dormir debout ou à entonner sous la douche. On peut citer sur la fin du disque, le chef d’œuvre qu’est Demons, emmené au piano cette fois, et chanté sans artifice. C’est un modèle du genre avec ses variations de tempo, l’alternance des séquences confessionnelles et de refrains entonnés tête haute. Tout Babybird tient dans ce genre de morceaux : intelligents, fragiles et en même temps pleins d’assurance et de fierté. Que dire du tubesque Vacuous, imparable et plein d’ironie ? « I dont wanna be miraculous. / I dont wanna be spectacular/ous/ I dont wanna be tortuous/ I just wanna be vacuous » revendique-t-il en jetant au visage de l’époque sa vacuité totale. Stephen Jones est plus souvent marrant qu’ironique et amer. King of Nothing, le morceau, s’impose comme le grand morceau du disque, introspectif et nihiliste. Le chanteur y revient en creux sur son parcours, spéculant sur un hypothétique retour du roi qui n’arrivera pas avant de s’autoproclamer King of Nothing en clochard céleste. L’homme était à la colle avec une ado qui prétendait avoir 19 ans, a fait les 400 coups et marché sur des braises avant de finir sur le trottoir. C’est le retour du bad old man et de la sauvagerie sociale des belles années.

Sans en faire trop, il y a plus d’émotion, de musique et de beauté ici que chez bien d’autres. A la Brel, c’est-à-dire avec le cœur sur la main puis posé sur la table, Babybird sature de tendresse et de tristesse le sublime In This Place of Love avant de tailler une balade mainstream de toute beauté avec Three Little Words. Il n’y a pas un seul morceau faible sur ce nouvel album, rien à jeter. On y trouve de l’amour, parfois un goût de revanche mais toujours une simplicité et une attention aux choses qui font l’étoffe du bon songwriting. King of Nothing s’achève sur une version géniale et largement modifiée du Get Lucky de Daft Punk, rebaptisée Bad Feeling. On peut se jeter à la mer après ça, tant la recréation est originale et radicale, émouvante et juste.

King of Nothing est un album tout simplement merveilleux. Un album de résistant, de survivant et d’amoureux éternel. On peut sans doute être après avoir été. A rebours dans le cœur des gens.

Tracklist
01. The greatest thing
02. The Countryside
03. Not Here
04. Like Nobody Else
05. Love Life
06. In this place of Love
07. Three Little Words
08. Vacuous
09. King of Nothing
10. Demons Demons Demons
11. Bad Feeling
12. Get Lucky
Lien
Le nouveau site de l’artiste
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

Mots clés de l'article
,
More from Benjamin Berton
FEWS / Glass City
[Welfare Sounds]
La fougue qui caractérisait les premiers travaux de FEWS est intacte. Cela...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *