Entrez dans la PIL Zone : l’histoire fabuleuse du 1er groupe post-rock

Public Image LimitedLa notoriété grand public de PIL n’a rien à voir avec celle des Sex Pistols. Et pourtant… Avec un peu de mauvaise foi et quelques pages devant nous, on pourrait soutenir que le grand œuvre musical de John Lydon n’aura pas été l’unique album des Sex Pistols, Never Mind The Bollocks, Here’s the Sex Pistols, mais plus probablement l’un des deux premiers albums de Public Image Limited, Public Image : First Issue ou Metal Box, sortis respectivement en décembre 1978 et novembre 1979. Si l’impact culturel des Pistols n’est pas à démontrer leur apport musical à la scène punk elle-même est encore aujourd’hui source de débats passionnés. L’œuvre de PIL est clairement moins connue mais met tout le monde d’accord quant à ses qualités d’innovation et à son importance pour ce qu’on appellera dès lors le post-punk et ce qui s’en suivra.

Le monde d’après

Historiquement, il est difficile d’évoquer l’histoire de Public Image Limited sans parler un peu des Pistols, à la fois parce que les deux groupes sont liés par la présence décisive (et envahissante) de leur chanteur, John Lydon aka Johnny Rotten, mais surtout parce que P.I.L s’est construit très vite sur les cendres des Pistols, dans une continuité et une opposition frontale, qui donnent à cette musique son caractère premier: une détermination farouche à n’en faire qu’à sa tête et à rénover fondamentalement un univers qui déjà pue du bec. Pour faire simple (et caricatural), on peut considérer que l’aventure des Pistols consistait à mettre à sac l’ancien monde, tandis que Public Image avait d’emblée l’ambition d’en construire un nouveau. Ceux qui ont lu la magnifique biographie de John Lydon dont le titre Anger Is An Energy est aussi un vers clé de la chanson Rise du groupe, savent combien cette notion de conquête, de lutte acharnée contre un monde hostile est au cœur de la psychologie du chanteur et constitue pour lui un moteur puissant. Né dans une famille d’ouvriers d’origine irlandaise, Lydon est marqué par les railleries de ses camarades quant à son accent (il en fera une manière de chanter inimitable), accablé par une méningite à l’âge de sept ans et hospitalisé pendant une année entière (il en tirera des glaires en quantité illimitée à cracher sur son public ou désormais dans un crachoir posé à ses pieds sur scène). Elevé dans le quartier Holloway, au Nord de Londres, Lydon fréquente aussi bien les jeunes catholiques (qu’il supporte mal) que les immigrés jamaïcains qu’on a rassemblés là. C’est à leur contact qu’il acquiert une culture musicale élargie et un goût immodéré pour le reggae et le dub. Cette idée d’une musique lourde en basses, d’essence rythmique, et qui dépasse l’univers des musiques blanches que sont le rock et le punk sera déterminante pour façonner le son de PIL, le premier et unique groupe véritable où Lydon a enfin les coudées franches. Autour de ces caractéristiques biographiques et du personnage clé qu’est évidemment Lydon naît l’autre credo de PIL et ce qui constitue une autre de ses caractéristiques : le souci permanent et quasi maniaque de l’indépendance. On a beaucoup glosé, s’agissant de Lydon, sur certains épisodes qui passent pour peu glorieux de sa vie : la reformation des Sex Pistols (l’une des premières du genre, en 1996), la participation à des émissions de téléréalité ainsi que sa fameuse publicité pour le beurre anglais. On ne peut séparer ces démarches mercantiles (un peu piteuses) de leur objectif qui aura toujours été de permettre à Lydon de continuer à produire de la musique et de ne pas retomber dans l’orbite d’une maison de disque lui imposant ses choix ou le traitant comme un gamin. La musique de PIL est une déclaration d’indépendance permanente qui résonne, après la chanson EMI des Pistols en 1977, dès les premiers jours.
Au sortir de la cataclysmique aventure des Sex Pistols, en 1978, Lydon passe trois semaines en Jamaïque en compagnie de Richard Branson, le patron de Virgin Records, qui veut faire de lui le nouveau chanteur du groupe américain Devo. Heureusement pour l’histoire du rock, les Américains ne veulent pas de Lydon qui, du coup, s’en retourne en Angleterre et enrôle son ami du « Gang des Johns », Jah Wobble (de son vrai nom John Wardle). Wobble et Lydon se connaissent depuis le début des années 70 et s’entendent comme larron en foire. Wobble, qui n’en a jamais joué, se met à la basse, un instrument qui sied à merveille à la diversité de ses goûts musicaux. Comme Lydon, l’homme aime le reggae, le dub et la world music, au moins autant que le punk. Lydon renoue avec le guitariste Keith Levene qu’il a croisé en tournée lorsque celui-ci officiait au sein de The Clash. Levene et lui ont au moins un point commun : ils connaissent les dégâts que peuvent causer la haine et la méfiance dans un groupe. A l’aide d’une petite annonce placée dans le Melody Maker, ils engagent pour compléter le quatuor un jeune étudiant canadien, fraîchement débarqué à Londres, pour jouer de la batterie. L’heureux élu s’appelle Jim Walker. Il ne restera pas longtemps mais marque les débuts de PIL par son jeu puissant et inspiré. Le groupe enregistre assez rapidement son premier album, First Issue, qui sortira en décembre 1978, précédé par le remarquable single, Public Image, la première chanson manifeste apportée par Lydon à ses nouveaux comparses, et qui restera l’un de leur plus grand succès. L’album est novateur mais achevé à la va-vite car le groupe a englouti l’intégralité de son budget sur les premiers titres et s’est fait virer des studios où ils enregistraient après une bagarre entre Wobble et l’assistant producteur. La musique est tendue, sombre, tenue par la basse caractéristique de Wobble, pesante et aux sonorités dub et reggae. La précision du jeu de guitare de Levene fait merveille et soutient le chant tranchant de Lydon. Une petite moitié de l’album est composée de chansons assemblées rapidement pour faire le compte dans un petit studio reggae. On y trouve Low life et surtout l’expérimental (d’aucuns diront sans queue ni tête), Fodderstompf, qui en huit minutes en finit avec le punk et propulse l’époque dans autre chose. Lydon, en transe, fout le feu au studio tandis qu’il déblatère sur tout et n’importe quoi. On entend le bruit de l’extincteur à l’arrière-plan tandis que l’ingénieur poursuit l’enregistrement comme si de rien n’était. A côté de cela, First Issue embarque son lot de chansons monumentales comme le splendide Annalisa ou le radical Religion, titre qui avait, selon Lydon, été repoussé à l’époque par les Pistols. Le relatif succès de First Issue conforte les trois hommes dans l’idée qu’ils tiennent quelque chose d’important. Le groupe prolonge sa réflexion par un discours anti-système offensif et s’invente une ambition. P.I.L sera tout ce que les autres ne sont pas : de l’art en dehors du marché, une marque propriétaire avec son logo, sa musique mais aussi ses vidéos, son esthétique, ses peintures et tout ce qui pourra être imaginé. Les trois hommes (Walker a été viré) se droguent chacun de leur côté et le projet ne parvient pas vraiment à prendre corps. La copine de Levene est propulsée directrice artistique affectée aux vidéos mais ne livrera que quelques bouts de films médiocres. Wobble, Lydon et Levene travaillent à peu près sérieusement pendant deux ou trois mois avant de vivre plus ou moins les uns à côté des autres.

L’invention du post rock

Après le départ de Walker, la batterie voit passer du monde, ce qui n’empêche pas le groupe de se lancer dans l’enregistrement de son album le plus connu et le plus tordu, Metal Box. L’album, qui sortira finalement moins d’un an après le premier, se signale par son packaging (une boîte de pellicule en métal qui contient 3 disques) mais marque les esprits par la qualité de ses titres. Toujours influencée par le reggae et le dub, la musique de PIL est encore plus compacte et sombre que sur First Issue mais réussit le prodige de marier une musicalité pop quasi cristalline à un son pré-industriel angoissant et souligné par des lignes de synthé. Lydon est d’humeur morbide. Il signe sur cet album une série de chansons qui prennent pour thème la mort qu’il déroule dans un état qu’on imagine de transe dépressive (et narcotique). Cela donne l’épique Swan Lake/Death Disco, dédiée plus tard à sa mère, en train de mourir sur son lit d’hôpital, mais aussi le merveilleux Poptones, l’histoire (vraie) d’une fille enlevée par deux violeurs, détenue dans le coffre de la voiture et qui entend inlassablement la même ritournelle à la radio. On peut faire de cette chanson l’emblème de ce Metal Box et y lire l’entreprise de subversion des codes pop par Lydon et ses compères : la mélodie sur laquelle on dansait hier ne peut plus exister comme dans les années 50 ou 60. Elle a été corrompue par la société et évolue désormais dans une sorte de chambre d’écho ou de résonance où d’autres forces la soumettent à la torture. Avec PIL, il ne peut plus y avoir de musique en dehors de la tragédie. Il ne peut plus y avoir de musique sans « écran », sans un filtre qui sert à la fois de cache-misère, de voile et de bouclier. La basse, les synthés accompagnent et produisent cet écho et cette résonance. L’émotion est multipliée et vécue non en tant que telle mais en tant que reflet de la souffrance qu’elle sert à habiller. La pop devient un théâtre d’ombres et nous ramène à un spectacle platonicien (la caverne !) où on prend des vessies pour des lanternes (chinoises).

PiLEn 1980, le groupe entame une série de concerts incroyables qui consistent principalement à éviter l’ire des fans des Pistols venus se battre avec John Le Pourri. Le public ne comprendra pas plus un an plus tard à New York ce que ces trois types veulent faire lorsqu’ils tendent un drap sur scène et décident de jouer derrière en projetant des bouts de films dingos. Les concerts sont rudes, souvent brefs, ce que ne rend pas forcément l’album Paris au Printemps, le joli live qui sort en 1980. Le disque donne une vague idée du caractère chaotique de ce que produit le groupe sur scène. Levene et Wobble se déchirent en coulisses. Le guitariste s’enfonce dans son addiction. Lydon est sur une autre planète. Wobble décide que c’en est trop et se casse. Histoire de ne pas laisser refroidir le cadavre, ce qui reste de PIL entre immédiatement en studio pour enregistrer un nouvel album. Nous sommes au début de l’année 1981. Martin Atkins qui avait fait son apparition à la fin des sessions de Metal Box est ré-embauché pour jouer de la batterie tandis que Levene décide d’abandonner la guitare pour les synthés. L’album Flowers of Romance est un désastre généreux et qui laisse une grande partie du public sceptique. Si le titre éponyme fait illusion, ce troisième album ne ressemble encore une fois à rien de connu : plus de basse, plus de guitare. La musique de PIL est devenue un rythme, un grondement, un bourdonnement. La batterie martiale d’Atkins déroule le tapis noir pour les textes de plus en plus abstraits de Lydon tandis que Levene, dans l’ombre, enveloppe tout cela dans une toile d’araignée où se mêlent des boucles, séquencées, des notes de basses et des claviers synthétiques. Il est amusant de voir à des années de distance que Lydon renoue sur Shoom, l’un des titres emblématiques de son nouvel album, avec cette manière à la fois décharnée et quasi shamanique de faire de la musique. L’album laisse une impression étrange de radicalité et d’inconfort, sans qu’on sache si le dérangement provient d’une composition chaotique et prise par-dessus la jambe d’un groupe en train d’exploser ou d’un véritable coup de génie. Malgré les tentatives de justification théorique (très convaincantes) des principaux créateurs, l’album donne parfois des signes de maladresse ou de grand n’importe quoi. Il n’en reste pas moins un monument imparfait et détraqué qui impressionne. Flowers of Romance est un morceau magnifique composé, joué et interprété exclusivement par Lydon. De retour d’un voyage à Dublin, le chanteur passe quasiment deux semaines en studio (où il dort) à façonner seul le titre. Levene est introuvable et Lydon laisse libre cours à sa manie du détail. Go Back est une chanson antifasciste osée. Banging The Door sonne comme son sujet : des coups frappés à la porte du domicile Lydon et qui le rendent fou. Flowers of Romance a un caractère organique et bestial qui lui donne une place singulière dans la discographie de PIL. C’est un album de fous, composés par des fous, des maniaques obsédés par l’écho, la résonance, visités par des visions cauchemardesques. Sur Banging The Door, l’ingénieur définit ce qu’il entend comme la menace « évidente » d’une grenouille géante et démoniaque. La musique de PIL évoque Can, Kraftwerk mais avec un degré de paranoïa supplémentaire. Le groupe est au confluent d’influences foutraques : opéra, musique concrète, musiques traditionnelles, punk, dub, et incorpore des tas d’instruments plus ou moins exotiques. Pour la première fois, on peut réellement parler de post-rock au sens où le genre qui dominait encore Metal Box est relégué à l’arrière-plan pour laisser la place à un autre chose indéfinissable. PIL renonce pour la première fois dans les musiques populaires à la notion de séduction. Flowers of Romance est délibérément anti-romantique et négatif mais paradoxalement pas dénué complètement de chaleur humaine.

Production artisanale

Après cela, on peut considérer que PIL n’existe plus. Levene sombre et part avec les master tapes de l’album suivant, Commercial Zone, dont il sortira une version magnifique et retravaillée en 2014. Lydon et Atkins restent suffisamment ensemble pour que sorte un beau Live In Tokyo où les deux hommes sont entourés par des musiciens de session. L’histoire de PIL va se dérouler dès lors et jusqu’aux deux derniers albums sans autre unité que la présence de John Lydon. En 1984, le groupe réutilise (après les avoir réenregistrées) des morceaux composés avec Levene et écrit cinq autres chansons qui formeront le malaimé This Is What You Want… This Is What You Get. L’album reçoit un accueil mitigé qui repose autant sur sa genèse difficile que sur ses qualités intrinsèques. Le son de PIL est plus ouvert et le projet radical qui soutenait les trois premiers albums est moins évident à saisir ici. Certains voient dans cet album une volonté de se tourner plus nettement vers des musiques dansantes, voire plus commerciales, ce qui trente ans plus tard ne saute pas aux oreilles. L’album reste assez homogène et reprend quelques-uns des thèmes fétiches de Lydon : les liens entre la mort, la vie et la souffrance sur le magnifique et central Tie Me To The Lenght of That, l’oppression et l’angoisse sur Where Are You ? ou The Order of Death, référence au film CopKiller avec Harvey Keitel dont le groupe devait composer la bande-son. Les deux grands moments du disque restent Bad Life et bien sûr le single éclaireur This Is Not A Love Song, qui intègre assez vite le canon du groupe et sera plus tard l’objet de nombreuses covers dont deux atroces réinterprétations franchouilles par Nouvelle Vague et David Guetta. Le titre fait référence aux exigences des maisons de disque qui réclament sans cesse aux artistes des tubes et chansons d’amour… qui cartonnent. C’est une réponse cinglante et brillante à ceux qui pensent que Lydon s’est peu à peu embourgeoisé. Au rang des curiosités, on réécoutera aussi favorablement le morceau intitulé 1981 qui avait été mis de côté pendant l’enregistrement de Flowers Of Romance.

Il est de coutume de s’intéresser un peu moins aux albums qui suivent, ce qui est probablement un tort car chacun présente de l’intérêt et témoigne de l’intelligence et de la pertinence de Lydon. Il est vrai qu’à compter de la moitié des années 80 la discographie de PIL passe de l’autre côté de l’histoire et ne peut plus être considérée comme décisive. Cela ne lui enlève aucunement ses qualités naturelles. En 1986, PIL sort l’un de ses albums les plus intéressants, Album (ou Compact Disc, ou Cassette). L’album est dominé par la rencontre entre Lydon et le producteur Bill Laswell. Le casting est composé majoritairement de musiciens de studio auxquels se joignent de prestigieux invités qui ouvrent l’horizon musical de PIL d’une façon remarquable. Le shredder Steve Vai participe aux seuls morceaux réellement écoutables de sa discographie. Ginger Baker, le batteur du Cream, est derrière les fûts. Le Japonais Ryuchi Sakamoto fait une apparition, tandis qu’on croise aussi le jazzman Tony Williams. Le résultat est un peu déroutant, manquant parfois de cohésion, mais constitue l’un des albums les plus intéressants d’une période (le milieu des années 80) marquée par sa laideur esthétique et ses enluminures pop. Rise domine l’album d’assez haut et mériterait à elle seule de plus longs développements. Le morceau est somptueux et politiquement irréprochable. La composition est rigoureuse et témoigne du perfectionnisme d’un Lydon dont les albums ressembleront désormais plus à des albums solo qu’à autre chose. Pour la tournée qui suit, Lydon monte un supergroupe de scène avec John Mc Geoch des Banshees et de Magazine et le batteur des Slits. On y trouve également et pour la première fois Lu Edmonds à la basse qui deviendra l’un des plus proches collaborateurs de Lydon sur la dernière incarnation de PIL. Entre 1986 et 1992, PIL sort trois autres albums, Happy en 1987, 9 en 1989, puis That What Is Not en 1992. Des tensions apparaissent dans cette période avec Virgin et notamment pour la compilation best of qui sort en 1990. Lydon souhaite inclure une petite trentaine de chansons alors que Virgin en veut une douzaine. Finalement, The Greatest Hits, So Far en comprendra 14 dans une volonté compromis, Lydon incluant l’inédit Don’t Ask Me, une de ses premières chansons prenant pour thème l’écologie. Cette thématique deviendra centrale dans l’œuvre de PIL après 2009. Des trois albums studio de l’époque on retiendra qu’ils valent mieux que leur réputation. Comme souvent chez PIL, des singles émergent de manière évidente comme Disappointed, The Bodies, Seattle, USLS1, ou encore Acid Drops (qui intègre assez habilement un passage chanté par le Lydon des Sex Pistols). La musique de PIL est influencée par la dance, les musiques électroniques et perd globalement en musicalité. Le groupe tourne en 1989 avec les Sugarcubes et New Order sous l’étiquette « Monsters of Alternative Rock » et c’est un peu ce qu’est devenu le groupe : une vitrine d’un rock différent, divergent mais aussi une sorte de monstre de foire officiel. Si la musique de PIL perd alors son caractère pionnier, il ne faut pas pour autant snober ces trois disques qui montrent un Lydon en perpétuelle recherche musicale et dont les invectives font souvent mouche. Au début des années 90, PIL n’en est pas moins dépassé en terme de radicalité par d’autres groupes. L’Amérique commence à lancer dans la mêlée des groupes à cheveux longs et gras qui jouent de la guitare très fort et se foutent d’à peu près tout. Entre le Dinosaur Jr puis Pavement et quelques autres, l’esprit punk renaît sous une autre forme : le rock « concerné » de Lydon prend un sacré coup de vieux. En 1992, PIL ferme boutique pour 17 années.

Lydon reforme les Pistols mais ne perd pas de vue son principal véhicule. En 1999, il déclare lors de la sortie de Plastic Box, un superbe coffret (en plastique qui casse) de 4 CDs, qu’il n’en a pas fini avec PIL. Ce coffret, avec les trois premiers albums, reste le plus sûr moyen de découvrir la carrière du groupe. Il faudra néanmoins dix autres années au chanteur pour parvenir à remonter sa franchise. L’homme se disperse et multiplie les projets. Il participe à des émissions de téléréalité, fait parler de lui, anime une émission télé sur les animaux, la planète puis tourne quelques publicités, jusqu’à la célèbre campagne pour le Beurre qui sera mal comprise par la plupart des « suiveurs ». Lydon passe alors pour un bouffon cachetonneur qui après avoir dévoyé l’héritage des Pistols passe son temps à faire n’importe quoi. Dans sa biographie, Lydon essaie de donner un sens à tout cela. La vérité est probablement plus complexe : aucun de ses « engagements » ne manque complètement de sens (encore que…) mais peut être lu comme une double volonté de rester un personnage public (une position qui est la seule qui permet de produire de l’art de manière autonome aujourd’hui) tout en récupérant de quoi financer une carrière, des albums, des concerts hors circuit et sans pression excessive. Si Lydon se disperse, la musique reste au cœur de ses priorités. En 2009, PIL se reforme autour de Lydon, Lu Edmonds et Bruce Smith, deux anciens membres, pour une tournée triomphale. Les concerts londoniens sont immortalisés par des lives vendus sur le vif et qui donnent une excellente idée de l’ambiance fantastique de ces concerts (voir notre compte-rendu de l’époque).

L’histoire sans fin

Public Image Limited (PiL)

Alors que Keith Levene et Jah Wobble, qui se détestaient copieusement à l’époque, s’acoquinent et lancent Dub In Metal, une sorte de tribute band atrophié de PIL, avec un (bon) chanteur clone de Lydon, PIL revient aux affaires avec This Is PIL, le premier album du groupe depuis… vingt ans. L’album est bien accueilli mais manque un peu de punch et s’avère musicalement trop respectueux d’une formule qui fonctionne toujours mais ne surprend plus : en clair, Lydon déblatère sur un fond assez générique dub, rock ou funk. Les diatribes du chanteur sont tournées comme toujours vers le mainstream, les hommes politiques avec tout de même d’excellents passages comme sur One Drop, Lollipop Opera ou l’excellent Out of The Woods. Le groupe est solide, très professionnel mais finalement peu imaginatif. La composante écologique occupe le centre de l’album avec des titres engagés mais trop longs comme Deeper Water ou Terra Gate. This Is PIL est toutefois un bon album de rentrée qui replace le groupe sur la carte du rock moderne. A quelques mois de distance, les Sleaford Mods sont encensés sans commune mesure sur une formule pas si éloignée et l’Angleterre redécouvre des talents (anciens) comme le vieux John Cooper Clarke, qui évolue depuis 30 ans, dans un registre pas si dissemblable. L’édition Deluxe de l’album embarque un DVD d’un concert de 2012 à Londres qui justifie à lui seul l’acquisition du pack. En septembre 2015, le deuxième album du retour, What The World Needs Now, confirme que le nouveau PIL est un groupe tout à fait estimable et peut accoucher de grands moments. Les musiciens sont les mêmes mais la formule respire mieux et laisse plus d’espace à la surprise. A côté d’un ventre mou toujours bien garni, Lydon et son groupe signent des compositions audacieuses et marquantes comme Double Trouble ou I’m Not Satisfied. L’album est désabusé, offensif et volontairement agressif. La musique est aussi variée que la pochette de l’album est moche. On a beau chercher partout difficile de trouver une énonciation aussi percutante que celle qui clôt cet album sur le parfait Shoom. Le titre sonne comme du PIL grande époque avec un Lydon glacial et menaçant qui reformule pour les jeunes générations son programme de terre brûlée : « What the world needs now is another Fuck Off », signe que rien n’a été réglé et que tout est encore à faire. Lydon abandonne son personnage sympathique et débonnaire pour réendosser une nouvelle fois le visage d’une terreur, plus froide désormais que bouillante, d’une colère blanche (et non plus à crête comme jadis), susceptible de balayer à nouveau l’Angleterre et le monde capitaliste. Les temps sont rudes, PIL est de retour. Inclassable et indomptable comme au petit jour de 1977. Lydon incarne plus que jamais la figure de la rébellion qui échoue, de la colère qui gronde et ne rugit pas, du rock qui secoue mais ne suffit pas à briser les noix (de coco) du business. Le rock indépendant est une succession de faillites qui se tiennent par la main. PIL Is Not Dead.

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2 Comments

  1. says: benjamin

    Pas plus mais pas moins qu’un album d’un autre groupe. Le discours de Lydon n’est pas moins pertinent qu’hier mais l’impact musical du groupe a clairement changé. Le nouvel album a ses excellents moments. Ce n’est pas forcément novateur mais ce n’est pas non plus à des années lumière d’un groupe comme Sleaford Mods que tout le monde encense depuis un an.

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