Il y a cinquante ans sortaient Down by the Jetty puis Malpractice de Dr. Feelgood, deux albums faisant partie des meilleurs disques de rock des années soixante-dix, décennie pourtant foisonnante en disques mythiques. Fers de lance du pub-rock, leurs deux premiers albums firent la transition entre le glam-rock et le punk anglais en donnant un coup de pied au rock’n’roll, qui en avait bien besoin.
C’est dans la ville portuaire de Canvey Island, (surnommée Oil City) sorte d’équivalent anglais du Havre que quatre gus fans de blues ne payant pas de mine fondent Dr. Feelgood.
Au chant, Lee Brilleaux: à la petite vingtaine seulement, il chante comme si il avait roulé sa bosse toute sa vie, constamment tendu, crachotant son blues râpeux dans un costume blanc usé. A ses côtés, le guitariste Wilko Johnson, machine à riffs tranchante comme un rasoir (John Wilkinson de son vrai nom-comme la marque de rasoirs: un nom prédestiné, quoi) Entièrement vêtu de noir, ce grand guitariste à l’allure austère et au regard assassin est également le seul homme coiffé d’une coupe au bol qui soit menaçant. Le bassiste John Sparks et le batteur Big Figure assurent la rythmique…avec brio (hihi)
Ces quatre lascars forment ainsi Dr. Feelgood en référence à une chanson de Johnny Kidd and the Pirates, groupe anglais des années 60 connu pour leur standard Shakin’ All Over dans lequel figure Mick Green, modèle de Wilko Johnson.
Avec eux les choses sont claires: fini les conneries. Fini les fanfreluches du glam-rock: au placard le maquillage, les plateform boots et les tenues extravagantes. Finie la musique lénifiante et les solos à rallonge pour hippies béats à cheveux longs: Dr.Feelgood la fait simple et efficace.
Ils prônent le retour en 1964, au temps du British Blues Boom de groupes comme The Animals ou Them, tout en remettant au goût du jour leurs héros que sont Bo Diddley et Muddy Waters.
Les quatre musiciens font la tournée des pubs. Pas au comptoir, mais sur les petites scènes où leur popularité grandit très vite. Ils se font remarquer par la presse et les maisons de disques pour leur jeu de scène et leur talent et signent chez United Artists en 1974. Un premier single, Roxette/Route 66 sort en novembre, avant l’album Down by the Jetty en janvier 75 produit en mono par Vic Maile, fameux producteur entres autres de la scène pub-rock (Inmates, Eddie & the Hot Rods) et de Motorhëad.
La pochette du LP reflète la musique du groupe: une photo noir et blanc montrant quatre types à l’air renfrogné devant le port gris et maussade de Canvey Island. Ces gars-là ne sont pas des gravures de mode, ils ne sont pas là pour être glamour. Et c’est tant mieux! Le ton est donné dès le morceau d’ouverture, l’excellent She does it right et son riff accrocheur: du rock sec et droit dans ses bottes à base de blues, sans fioritures mais plein de vitalité, ponctué par l’harmonica de Lee Brilleaux. Citons aussi la cultissime Roxette, déjà parue en single, et la géniale Keep it out of sight et son riff qui tue. Une vraie mitraillette, ce Wilko. Entre reprises (Boom, Boom de John Lee Hooker, Cheque Book de Mickey Jupp) et compositions originales signées Wilko Johnson, cet album direct, sans prétention et revigorant est comme un vent frais que l’on s’en prend en pleine face. Une réussite du début a la fin.
Dr. Feelgood part ensuite en tournée à travers la Grande-Bretagne et le reste de l’Europe avant de rapidement s’atteler à l’enregistrement d’un second album, Malpractice, toujours produit par Vic Maile qui paraît en octobre 1975.
Du même acabit que son prédécesseur, Malpractice a toutefois un son un peu plus propre que Down by the jetty. En le posant sur la platine, on reste encore étonnés par la clarté et la fraîcheur du son.
Ça démarre très fort avec une très bonne reprise pleine de force de I can tell de Bo Diddley puis ça s’enchaîne avec les impeccables Going back home et Back in the night: Lee et Wilko font des étincelles. Rolling and Thumbling ne compte pas pour du beurre non plus. Le disque est donc une autre bombe, explosant cette fois les charts anglais, ce qu’ils méritent amplement.
Le groupe repart en tournée tout au long de l’année 1976, leurs performances scéniques seront immortalisées sur microsillons avec le live Stupidity (voir aussi les lives ajoutés en complément des rééditions des deux premiers albums, dont le son est de meilleur qualité).
Mais le rythme très soutenu de leurs tournées épuise le groupe, ce qui crée des tensions entre Lee et Wilko. L’enregistrement de leur troisième album, Sneakin’ Suspicion en pâtit, et cela se ressent à l’écoute. C’est en effet le dernier album sur lequel Wilko Johnson joue et compose. Il fait le job, certes, mais l’album reste en deçà des deux premiers. Wilko Johnson quitte le groupe à la fin de l’enregistrement, remplacé par le plus conventionnel Gypie Mayo. On peut aussi dire qu’ils laissent indirectement la place à leurs collègues juvéniles de Eddie & The Hot Rods (auteurs du parfait hymne punk à la vingtaine Do anything you wanna do) puis aux Inmates.
Mais ce ne sera plus pareil désormais. Wilko fonde ensuite les Solid Senders pour un album puis continue en solo avec des disques d’assez bonne facture (Ice on the motorway, 1980) et devient également musicien pour Ian Dury pendant un temps. Dr. Feelgood continue avec des changements de formation pendant une quinzaine d’années. La mort de Lee Brilleaux en avril 1994, éclipsée par celle de Kurt Cobain la même semaine aurait dû avoir raison du groupe. Mais un groupe de musiciens complètement différents joue encore à l’heure actuelle sous le nom de Dr.Feelgood ! Mascarade totale pour les puristes, ou même pour n’importe quel amateur ayant un tant soit peu de bon sens. Certains refusent d’écouter les albums de Dr. Feelgood post-Wilko, comme d’autres refusent d’écouter un disque des Rolling Stones sorti après 1972 ou de regarder un épisode des Simpson après la saison 12 (et encore, dans ce domaine-là ils sont plus durs). Ils ont raison.
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