Morrissey et Johnny Marr – Collage Wikimedia Commons
La dernière interview de Johnny Marr pour le NME dans laquelle il revenait une énième fois sur sa prise de distance d’avec Morrissey et le manque de points communs qu’ils avaient désormais n’est pas passée inaperçue. Le Mozdom avait frémi d’abord sur les forums et les groupes dédiés (toujours très nombreux et vivaces) qui avaient marqué leur lassitude par rapport à l’impression de déjà vu donnée par le guitariste. D’aucuns soulevaient qu’à chaque fois que Marr avait un disque à promouvoir, il se retrouvait à parler autant de ses nouveaux morceaux qu’à discuter de ses quelques années passées au sein des Smiths, en égratignant au passage son ancien compère. Marr est-il seulement responsable des questions qu’on lui pose ? N’y apporte-t-il pas toujours peu ou prou des réponses pondérées, répétées et relativement consensuelles, marquant, à chaque fois, sa différence avec le chanteur mais sans en rajouter dans l’invective : Marr n’a jamais ouvertement traité Morrissey de raciste, ni ajouté à la cabale contre lui, quand il s’engageait dans des déclarations ou des prises de position pour le moins discutables. Où s’arrête et commence sa complicité dans ces échanges médiatiques ? Est-ce qu’il peut être tenu responsable du fait que les journalistes, à travers lui, ne s’intéressent qu’à ce que raconte Morrissey ?
C’est dans ce contexte et sans doute lassé comme les fans de ces questions/réponses sans fin que Morrissey a mis tout le monde d’accord en mettant en ligne une longue lettre ou adresse à l’attention de son ancien camarade, l’accusant assez ouvertement de revenir à dessein sur The Smiths pour vendre sa marchandise de saison. Morrissey n’y va pas de main morte mais signe un message plutôt subtil, foutrement drôle et sans (trop d’) outrance qui revient aussi avec une certaine émotion sur ce que les deux hommes ont partagé. Quelles conséquences peut avoir cet échange sur la destinée de l’un et l’autre ? Nul ne sait. On imagine que l’hypothèse d’une reformation de The Smiths a de nouveau pris du plomb dans l’aile et que cela n’aidera ni Morrissey à trouver un label pour héberger son nouvel album (enregistré depuis plus d’un an maintenant), ni Marr à écouler son nouveau (double) album Fever Dreams (le 25 février chez BMG). Marr donnera quelques concerts en appui de ce disque avant de rejoindre le groupe The Killers sur sa tournée américaine.
Est-ce que ça peut seulement vous donner envie de relire notre récit haletant sur Golden Lights ?
Ceci n’est ni une invective ni une attaque hystérique à l’arme lourde. C’est une demande mesurée, polie et tout à fait calme : est-ce que tu pourrais arrêter de mentionner mon nom en interview ?
Est-ce que tu pourrais, au lieu de ça, s’il te plaît, te contenter de parler de ta propre carrière, de tes incomparables réussites en solo ?
Est-ce que tu pourrais juste me laisser en dehors de tout ça ?
Le truc c’est que tu ne me connais pas. Tu ne sais rien de ma vie, de mes intentions, de ce que je pense et de ce que j’éprouve. Mais tu parles comme si tu étais mon médecin et mon confesseur, en évoquant avec un certain aplomb et de manière interrompue ce qui me motive. On ne se côtoie plus depuis 35 ans. C’était il y a plusieurs vies de distance maintenant. Quand nous nous sommes rencontrés, toi et moi n’avions aucun succès. Nous nous sommes entraidés pour devenir ce que nous sommes aujourd’hui, quoi que ça signifie. Ne peux-tu pas laisser les choses ainsi ? Es-tu vraiment obligé, année après année, décennie après décennie, de me tenir responsable de tout ce qui se passe… depuis le tsunami dans les Iles Salomon en 2007 jusqu’à ce qui dégouline sur le menton de ta grand-mère ?
Tu m’as trouvé suffisamment inspirant pour faire de la musique pendant six ans avec moi. Si j’étais, comme tu le dis maintenant, à ce point un monstre d’horreur, qu’est-ce que cela fait de toi ? Un type qu’on a kidnappé ? Un gars muet ? Un prisonnier ? Ou quelqu’un qui a été enlevé par les extra-terrestres ? C’est bien TOI qui a joué de la guitare sur Golden Lights, pas moi.
Nous savons tous les deux que la presse britannique imprimera tout ce que tu dis sur moi tant que ce sera suffisamment cruel et méchant. Tu as déjà fait ça. Passe à autre chose. On dirait que tu ne peux pas décroiser les jambes sans dire mon nom. Notre période commune est si ancienne. Beaucoup de sang a coulé sous les ponts depuis. Il est temps que tu assumes la responsabilité qui est la tienne pour tes actions et ta propre carrière, que je te souhaite de poursuivre en pleine santé. Mais s’il te plaît, arrête d’utiliser mon nom pour activer la machine à clics. Je n’ai jamais attaqué le travail en solo de ta vie en solo et j’ai toujours publiquement applaudi ton génie à l’époque de Louder Than Bombs et de Strangeways, here we come. C’est toi qui te tiens ainsi, dans cette position de fournisseur de bons mots à chaque fois que la presse a besoin d’une déclaration dégueulasse au sujet de ce que j’ai pu dire à demi du temps de l’ère glaciaire ou à l’époque où la rivière Colorado sortait à peine du Grand Canyon. Je t’en prie, arrête tout ça. Nous sommes en 2022, pas en 1982.
Morrissey, janvier 2022
Soit en version originale depuis le site Morrissey Central :
This is not a rant or an hysterical bombast. It is a polite and calmly measured request: Would you please stop mentioning my name in your interviews?
Would you please, instead, discuss your own career, your own unstoppable solo achievements and your own music?
If you can, would you please just leave me out of it?
The fact is: you don’t know me. You know nothing of my life, my intentions, my thoughts, my feelings. Yet you talk as if you were my personal psychiatrist with consistent and uninterrupted access to my instincts. We haven’t known each other for 35 years – which is many lifetimes ago. When we met you and I were not successful. We both helped each other become whatever it is we are today. Can you not just leave it at that? Must you persistently, year after year, decade after decade, blame me for everything … from the 2007 Solomon Islands tsunami to the dribble on your grandma’s chin ?
You found me inspirational enough to make music with me for 6 years. If I was, as you claim, such an eyesore monster, where exactly did this leave you? Kidnapped? Mute? Chained? Abducted by cross-eyed extraterrestrials? It was YOU who played guitar on ‘Golden Lights’ – not me.
Yes, we all know that the British press will print anything you say about me as long as it’s cruel and savage. But you’ve done all that. Move on. It’s as if you can’t uncross your own legs without mentioning me. Our period together was many lifetimes ago, and a lot of blood has streamed under the bridge since then. There comes a time when you must take responsibility for your own actions and your own career, with which I wish you good health to enjoy. Just stop using my name as click-bait. I have not ever attacked your solo work or your solo life, and I have openly applauded your genius during the days of ‘Louder than bombs’ and ‘Strangeways, here we come’, yet you have positioned yourself ever-ready as rent-a-quote whenever the press require an ugly slant on something I half-said during the last glacial period as the Colorado River began to carve out the Grand Canyon. Please stop. It is 2022, not 1982.
Morrissey. January 2022.
La réponse (microscopique) de Johnny Marr :
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Johnny Marr
@Johnny_Marr
Dear @officialmoz
. An ‘open letter’ hasn’t really been a thing since 1953, It’s all ‘social media’ now. Even Donald J Trump had that one down. Also, this fake news business…a bit 2021 yeah ?
#makingindiegreatagain
10:29 AM · 26 janv. 2022·Twitter for iPhone
On comprend pourquoi c’est Morrissey qui écrivait les textes…
Quelles conséquences? Aucune. La reformation des Smiths n’aurait de toute façon jamais eu lieu même sans ça. Elle ne fait fantasmer que deux catégories de personnes: 1) les promoteurs de concerts qui veulent s’en mettre plein les poches. 2) ceux qui ne comprennent pas que le rock live est un truc de l’ici et maintenant et que globalement le rock dans ses grandes années fut un truc du au bon endroit au bon moment. Certes, le groupe tourna très peu en de hors de l’hémisphère nord anglo-saxon. Mais une reformation ne serait rien de plus qu’une séance de rattrappage pour ceux qui ne connaissaient pas le groupe de son vivant parce qu’il ne passait pas chez Drucker ou pour ceux qui n’étaient pas présents à l’El Dorado ou Porte de Versailles. Sans qu’il n’y ait rien de péjoratif dans mon propos, cela serait une séquence nostalgique du même ordre que les tournées stoniennes (voire qu’un futur concert de Jeff Buckley en hologramme?). Elle serait même un reniement des principes d’un groupe qui s’est construit contre la commercialisation du rock dans les années 1980. La majorité du rock indé de l’époque s’est reniée et s’est reformée pour payer ses impôts, pas les Smiths et c’est tant mieux. Je préfère continuer à payer pour voir les chefs d’oeuvre du groupe en mode bonne orchestration/chant terne de Marr, voix sublime/orchestre de bal du Moz et continuer à jalouser pour l’éternité mes connaissances qui ont vu le groupe à l’El Dorado ou Porte de Versailles.
PS: Quant aux fans qui en Angleterre voient dans les prises de position du Moz un reniement de l’héritage Smiths j’ai envie de répondre que oui le groupe fut pro-végétarien, anti-macho, antimonarchiste, anti-la casse sociale thatchérienne mais n’a en revanche jamais été des combats multiculturalistes d’une partie de la Gauche de l’époque (à la différence de Strummer et Costello par exemple) et encore moins pro-européen.