Deux ans après La Mort Me Va Si Bien et quelques (brillants) travaux intermédiaires dont le chouette Pain Béni avec Greenfinch pour notre compilation de fin d’année, le boss du Crazy Mother Fuckers, Stick, revient avec un album aux productions taillées sur mesure par le Toulousain Zenghi Zen. En dix titres excités et comme à l’habitude saturés de punchlines assassines, Stick choisit de se concentrer sur le rap business et les 1001 raisons qu’il a de détester ceux qui réussissent.
Là où La Mort Me Va Si Bien convoquait des enjeux personnels et existentiels « élevés », Capitolium se demande tout du long ce qui fait qu’après dix ans d’activité (2014 pour 1 MC de Plus) le rap incendiaire de Stick n’a toujours pas trouvé la voie vers le premier plan du rap et preneur dans un plus large public. On ne répondra pas plus que lui à la question (l’insuccès est d’où qu’on se place un SCANDALE pour ceux qu’on aime et pour nous même) mais ce traitement qui aurait pu aboutir à un album haineux et petit bras donne lieu à un festival de formules, de charges héroïques et d’expression amère qui sont passionnantes et assez émouvantes à écouter. Capitolium (référence à la ville rose qui est ici le théâtre des opérations) est un disque monomaniaque, obsessionnel et concentré : 9 pièces et 30 minutes, des mots à revendre et des productions ligne claire, lumineuses et aérées, qui complètent à merveille un flow acide et un brin désespéré.
Le disque démarre par le magnifique Salle des Illustres, introduction brillante à un ensemble qui ne fera qu’en développer le programme. Stick oppose d’emblée un rap de « fils à papa » et le lumpen proletariat du genre, à travers une série de métaphores footballistiques qui rappellent les envolées du jeune Miossec. TLS Confidential, l’un des titres les plus marquants du disque, adopte le flow mitraillette caractéristique du bonhomme. La narration est brillante, les images fusent et les références foisonnent, dégageant un plaisir de rapper immense et savoureux. On rentre dans ces vers comme on écouterait une poésie un peu trash mais qui réserve une surprise sur chaque mesure, comme on dégusterait un bon vin. Les mésaventures de Stick prennent corps dans l’environnement familier du chanteur, un Toulouse d’opérette dans lequel on suit sa dérive (d’insuccès en déclassement) dans un mouvement joycien , burlesque et vertigineusement descendant. Cet amour de la bonne chère trouve écho dans un Chardonnay & Noix de Saint-Jacques plus mécanique, répétitif mais toujours aussi sec. Stick poursuit son auto-dépréciation de masse en lâchant quelques savoureuses trouvailles : « J’ai vu passer plus de rappeurs que la teuche à J-Lo. Je vais t’embaucher comme cahier, tu m’ouvriras mes huîtres « . Au fur et à mesure du disque, on est impressionné par le sentiment tragique qui s’exprime ici. Stick est englué et touche au sublime sur un Gandolfini servi par un beat minimaliste et d’une belle dignité de son comparse. Les productions sont plutôt économes et distraites, mais permettent à Stick de dérouler son flow et de jouer beaucoup sur l’émotion. Le mélange de confession, d’évocations de son parcours côtoie un fort désir d’en découdre avec le monde entier.
Templiers fout les jetons, tant il semble nourri par une haine aveugle, une volonté de prendre sa revanche sur le sort. Les mères, les frères, et, au premier chef, les « gentils rappeurs » en prennent pour leur grade à coups d’enculade et de charges frontales. L’ADN de Stick est aussi dans ce genre de chansons, radicales et qui ne font pas de quartier. Ceux qui lui prêtent une certaine subtilité par ailleurs ne doivent pas s’y tromper : le gars est autant dans excès que dans ses beaux morceaux contemplatifs comme la Seule Vérité. Il y a dans ce disque un caractère obsessionnel et maniaque (Coustellous) qui restreint l’ambition globale mais fait de l’album une sorte de grand disque d’ego-trip à l’envers, un monstre sombre où l’on brille par consumation. C’est dans cette inversion des standards du rap où l’on se fait mousser en prétendant qu’on est le meilleur, que Stick réussit son coup. Tous des merdes mais il y en a qui puent plus que d’autres. Il crache sur tout le monde tout en n’oubliant que sa position est LA PIRE DE TOUTES et qu’il a à peu près tout raté. « Je suis en concert au Pôle Emploi ou au Cancéropole. Mon dernier album et la fin du monde vont coïncider. On fait nos petites vies en espérant mener la grande. » Petrossian (comme le caviar) est d’une justesse et d’une beauté extraordinaires. Les titres claquent et dépassent rarement les trois minutes. Tout s’enchaîne comme si cela sortait tout droit du cahier, avec une fluidité facilitée par la clarté des beats. Capitolium est un disque très ramassé (30 minutes tout juste) et qui ne se détourne pas de sa cible. Façon mixtape, on termine par un Menu Capitole qui vient une nouvelle fois appuyer sur ce qui fait la différence : le statut social, les classes, le sentiment d’une injustice fondamentale. « Je suis un vampire à la Blade, eux ils sortent de Twilight. Les MCs qui m’ont bercé ont l’âge de faire de l’aquabike… Que ma vieille prof de français aille niquer sa grammaire… » Zenghi et Stick sont attablés à la terrasse d’un restaurant de luxe et font s’entrechoquer l’énoncé d’un menu ultra raffiné par la serveuse et la réflexion intérieure du rappeur vaincu. La situation est grandiose et l’effet produit maximum. Tout est dit ici des deux mondes qui s’affrontent, des désirs qui s’ajustent, des rêves qui s’abiment et que l’on garde pour soi.
Capitolium est un disque de (rimes) riches qui ne sort du reste qu’en vinyle. Stick comme les grands et les bourges rêve qu’il s’invite à la table des bourgeois et des nantis. Il y vient avec ses mots affûtés dans la bouche et sa langue qui lance des poignards. C’est Boudu sauvé des eaux et qui baise la famille (et pique l’argenterie) comme dans un Théorème un peu trash et dégueulasse. Un disque de revanche, de sabordage, misérable et magnifique à la fois. Zenghi était le meilleur compagnon pour servir la soupe à cette intention là. La Ville Rose est honorée et salie à la fois. Cela s’appelle la réalité.
02. TLS Confidential
03. Chardonnay & Noix de Saint-Jacques
04. Gandolfini
05. Templiers
06. La seule vérité
07. Mon Blaze feat. Salfrom
08. Coustellous
09. Petrossian
10. Menu Capitole
Lire aussi :
Greenfinch / Greeny Lo-fi
Stick / La mort me va si bien
Stick défie Sauron avec son rap saumoné sur Black Metal
Stick : Entretien avec un rappeur (Partie 2)
Stick : Entretien avec un rappeur (partie 1)