Qu’ont pris ces deux gugusses pour enfanter un monstre pareil ? De la coco ? De la Marie-Jeanne ? Probablement rien, et c’est ça le plus grave ! Téléraptor constitue un risque pour la France. Et à l’allure où va le monde, il est de notre devoir d’accueillir un danger les bras ouverts.
WTF de la mode
Le tandem, composé par Toïyo et Texto Dallas, vient d’un endroit éloigné, aux confins de l’exoplanète LOL, au-delà du système YOLO. Ces deux mecs sont trop perchés pour être d’ici. Toïyo, c’est le bonze mutique qui n’émet pas un mot, celui qui aura introduit en avant-première la tendance du masque chirurgical avant même la création du virus par des labos (l’EP est sorti pile poil avant la Covid, en janvier 2020). Texto Dallas, c’est l’emo-boy esthète des ongles à iroquois, celui qui ne peut s’empêcher de se déshabiller sur scène en beuglant des horreurs. Duo de choc en approche…
Le morceau le plus frappant de l’EP est tout évidemment Backflip. Outre le clip plus que WTF, où on y observe une bande d’éphèbes se pourlécher la peau torse poil (à l’heure où nous écrivons, le clip n’a toujours pas été censuré par Youtube pour cause de paire de fesses nues), Backflip s’impose. On a rarement assisté à une telle folie. La raison à des nappes gazeuses peroxydées tellement fortes qu’elles en sont… ahurissantes. La musique de Backflip ressemble à une version dynamitée de Finley’s Rainbow de A Guy Called Gerald. Sous leur apparente couillonerie, les garçons en ont dans la caboche. Le Toïyo sait où frapper : il connait absolument sur le bout des mains les sous-genres que sont la trance, la hardstyle et la trap. Il y accentue alors volontairement ses traits pour confectionner une piste bien montée, à vous en faire crachouiller de dopamine. Il est profondément rassurant de voir ces jeunes gens se jeter allègrement, la tête la première dans le cinglé. Écoutons ce que Texto Dallas a à nous confier :
J’ai tenté un backflip dans une piscine sans eau
Fécondé des livreuses, de chez Alloresto […]
Coché des QCM, en matant du porno
Déguster des sushis, sur le blanc de sa peau
La faire crier en rythme, faire de moi son héros!
Finesse, bien le bonjour! On n’ose s’imaginer les barres de rire cassées lors de la réalisation de ces clips gonzo. Il règne un je-m’en-foutisme tel dans les paroles, que l’on en vient à penser que le duo s’est lancé un défi expérimental, du genre : « Allez, on écrit complètement beurrés en 2h les paroles d’une chanson… et on s’y fixe! ». Pourtant, les compositions et l’esthétique des clips ou pochettes semblent réfléchis, léchés. Téléraptor ferme alors les vannes de la bêtise du sérieux, celle d’un monde se regardant de haut, pour ouvrir grand celles d’une connerie totale et chevronnée. Le résultat est probant, car de ce magma musical semblant s’abandonner à l’aléa de la biture, en ressort quelque chose de… définitif.
Jurassic porno
À bien écouter Bestiality dans sa totalité, face à ce trait d’union entre rap détraqué du front et subculture du dancefloor, ce dernier versant en vient à dominer l’autre. Nous n’avons pas souvenir d’une passerelle aussi revendiquée depuis, peut-être, les TTC. En tout aussi abstrait, mais en moins intello. Ce qui est tout d’abord un choix bienvenu, car osé ; mais également dommageable. On s’explique : le fait d’accorder une importance à la musique a peut-être insidieusement poussé à en accorder moins aux paroles. Nous tombons facilement dans les automatismes du rap de trentenaires, avec les allusions, comme dans Ichibang, à des animés ou jeux nippons comme Akira ou Shinobi. De même, Texto Dallas nous asperge de références à d’illustres chanteurs, Francky Vincent ou O-Zone en tête. La grande musique est celle qui s’alimente d’autres grands auteurs… mais, tout de même, doit-on se sentir obligé de citer son panthéon personnel? À quoi nous rajouterons les métaphores filées sur le sexe oral, qui devraient se limiter minimum au nombre de 3 par titre. Attention, les paroles restent tordantes, mais nos jeunes dinosaures auraient pu fignoler leurs paroles, proposer un verbe plus affuté au service de la musique, accompagnant celle-ci dans un même mouvement de spasmes frénétiques. Nous pensons tout de suite à des gars comme Churros Batiment dont le dernier EP était très « électro crado », ou, mieux encore, un Jean-Louis Costes, maître ès trashouille contrôlée devant l’éternel. Si Téléraptor le contactait, pour sûr, il n’hésiterait pas à élimer leur plume.
Ichibang, débutant sur un flot de paroles hystéros composé de mots étrangers comme « wattachiwa » et « bang-bang », est un festival du chibre levant. Cette hardtrap qui stridule est originale, quoi que assez éreintante : décidément, il y a quelque chose d’incontrôlable chez Téléraptor. Quoi que l’on en pense, Téléraptor clivera. Le degré de désinhibition se situe au-delà du réel. Avec Liquid Acid, sorte de piste mouvante hardstyle qu’un Davoodi n’aurait pas renié, on y entend, dans sa dernière partie, des cris grégaires et des hurlements de queutards. Ces gonzes ne sont pas sans nous rappeler les drougs d’Orange Mécanique – mais inoffensifs – , une sorte de caste de rappeurs provinciaux white trash dont les sommets de la Mongolie n’ont plus de secrets. Sans plan de carrière particulier, les gars se jettent dans la musique sans parachute, en mode kamikaze, vociférant, comme dans Le Sacre de la cuisse, des choses comme :
Au nom du père / Au nom du fils
Au nom d’ la cuisse / Soit sanctifié!
Par ton jeu d’ jambes / Tu peux prétendre
Tu as du chien hoooo! / Tu me plaiiiiiiiiiiiis!
Plus qu’un cri, c’est à un déluge d’extravagances auquel on assiste. Génération née de l’internet, on n’ose pourtant imaginer leur mordant sans les cerbères de la morale. On pourrait presque les penser sortir de l’univers geek et bariolé de Scott Pilgrim, ou issus des équipes de dessins animés pour adulte Bobby Prod (Les Kassos) et Bobby Pills (Peepoodoo & The Superfuck Friends). Le goût du moche y est tellement concentré que leur musique en devient belle de toute part. Téléraptor, par leur ardeur dans l’ânerie consentie et leur esthétisme, aurait fait flashé un gars comme Oscar Wilde. Au fond, ces individus étaient des êtres contestables, eux aussi, en leur temps.
La grosse bouffe
À l’écoute de Bestiality, l’envie de drifter dans le parking de l’Intermarché de Sainte-Verge vous étreindra, sans aucun doute. Ou de participer à un petit pogo champêtre entre les bottes de foin de (la ville de) Bourré. Aussi bien avec Backflip que Le Sacre de la cuisse, on repère des inspirations allant autant du synthé 80’s (type Goblin, John Carpenter et Giorgio Moroder) que du côté de chez trap ou de l’eurodance. Il y a quelque chose d’à la fois généreux et barbare dans ces beats bien gras. Un peu comme après avoir dévoré une vitrine de cheesecakes, mais sans diabète à la fin. Il n’en reste que l’ensemble est un peu trop court. Comme elles vous le disent si bien : « ce fut court, mais ce fut fort bon! ».
Pour celui dont l’appétit n’est pas rassasié, le traitement des remix est royal. Nous sommes vraiment face à des pros, dont quelques têtes familières du site. On ne peut s’empêcher de penser que cette troupe de Jackass musical, de par leur côté bricolage avec deux bouts de ficelles extra-expérimental des prods, pourrait faire partie de la famille du label Mad Decent. Avec Pierre Le Disque Jockey, nous nous situons dans un délire ultra-festif néerlandais, genre Showtek, alors que la trépidante reprise de Seul Ensemble s’amuse à inventer une sorte de tribal house galactique. Un certain Mr. TouNu (appréciez les pseudos, ils sont révélateurs) propose un remix bien gogol de Liquid Acid, où on croirait entendre du GTA. Adam Carpels, lui, privilégiera une trap violente type Yellow Claw ou The Partysquad, pendant que Grand Soleil, sans s’affranchir de l’excellente assise sonore de l’original, transforme Backflip en course drum’n’bass pleine de scratchs à l’ancienne : parfait pour vous chauffer avant un 1500 mètres! Le meilleur étant peut-être la version moombahton de Bogoss-Lacoste. Presque tous les remix sont bons dans leur genre, à condition d’avoir l’audition bien accrochée. On pourra émettre le défaut que nous faisions aux originaux, à savoir quelques sonorités analogues, la reprise eurotrance de Toïyo du Sacre faisant doublon avec le Backflip d’origine. Rassurons-nous : notre diplodocus du turfu est bien entouré.
La musique de Téléraptor flatte nos bas instincts. Elle est de l’ordre du défouloir, grisante, mais sainement primaire, se délestant de tout ennui parasite. Il y règne un nihilisme punk et maboul, mais absolument joyeux. Un prochain EP, plus long, devrait sortir prochainement. Si le monde court à sa perte, se marrer à leurs côtés en attendant la météore est une sage option.