Aim / Hinterland
[Atic Records]

9.7 Note de l'auteur
9.7

Aim - HinterlandA l’heure des deluxes et autres rééditions augmentées, le magicien de Barrow In Furness, Andy Turner aka Aim, s’en tient au programme fixé : réédition, à peu près vingt ans après, les travaux de son groupe phare, Aim, en vinyle et pour l’éternité. Après le formidable Cold Water Music, il y a sept ans déjà, c’est au tour du deuxième album du groupe d’avoir droit à (toute de même) une nouvelle pochette et à un toilettage musical.

Sorti en 2002, soit trois ans après le premier disque solo du britannique, Hinterland s’avère à la réécoute au moins aussi puissant et marquant que son prédécesseur. Andy Turner continue d’explorer les « sons de la solitude » (Intro « au loup » en 1’15 est à cet égard un must) mais y ajoute une volonté d’imposer des chansons presque pop qui renforce l’impact du disque. L’héritage Grand Central Records, old school, jazzy et soul, entrecoupé de breaks, est respecté à la lettre conservant du premier disque cette idée d’une atmosphère nostalgique, triste mais aussi romantique et polaire, qui baigne le disque jusque dans son imagerie. Mais la mémoire s’attache bien évidemment aux voix et aux morceaux plus uptempo qui dominent l’ensemble à l’instar du sublime The Girl Who Fell Through The Ice chanté par Kate Rodgers dont le titre seul est inoubliable et dont les paroles méritent qu’on les reproduise tant elles sont économes :

Its dark in the afternoon
Lights on in every room
Winter came round so soon
And over night,
The lake turns to ice,
And your left behind
I solemnly made you mine
I’m sorry I made you mine

Dans un autre registre, difficile de ne pas remarquer, l’énormissime No Restriction entonné par les Souls of Mischief qui d’où qu’on le prenne est un titre parfait, addictif, agile et formidablement construit. La seule excentricité de Aim cette année aura du reste consisté à proposer un remix fantastique de ce single que l’on pourra écouter ci-dessus et qui emmène les vocaux des rappeurs dans une toute autre direction. Le morceau a d’ailleurs eu l’honneur d’être présenté en exclusivité dans l’émission radio de Chuck D, ce qui n’enlève rien à la supériorité de l’original. Car si No Restriction fonctionne aussi bien au sein d’Hinterland, c’est parce qu’il est « coincé » entre deux pièces de choix : le transitoire et répétitif What Do People Do All Day, et surtout la redoutable boucle d’un Fall Break qui ferait passer le festival de la Marmotte pour un événement en perpétuel renouvellement.

Guimar a de faux airs de samba et sur le final un drôle de saxo qui vient détendre l’atmosphère. Stephen Jones aka Babybird vient sublimer le beat d’arrière-plan jazzy et cool servi par Turner avec un falsetto d’anthologie. Le morceau est peut-être le titre le plus sympa de tous les temps à écouter au casque, un morceau épique qui parle magnifiquement d’amour (cette bonne maladie) avec des mots simples :

Sitting on the grass in the summer breeze
Looking at the wind
Tease the leaves
Baby, I put my arm around you
You weren’t free
Baby don’t worry
It’s a good disease
Baby don’t worry
I’m a friend you see
Baby don’t worry
It’s a good disease
Baby don’t worry
I’m around you see
Baby don’t worry
It’s a good disease

Ce n’est pas parce qu’on évolue dans un monde d’ambiances et d’effets qu’on doit négliger le sens de tout ça et les textes. Hinterland nous fait évoluer dans un étrange univers hors du temps, désolé et cotonneux, maternel et chaleureux, mais en même temps un peu iréel et fuyant. D’où vient au juste le ravageur Diamond D qui vient mettre le feu aux poudres sur l’héroïque Diamond D. Du Bronx bien sûr, le pays des légendes et du rap originel. C’est ce que vient chercher Aim dans cette arrière-pays mémoriel : les racines du son, le battement des battements. Linctus, Vipco partent à la recherche de motifs universels avant que A Twilight Zone ne nous entraîne dans un mirage folk radieux et enchanté. Ceux qui attachent à Aim l’étiquette trip-hop sont bien loin du compte : la musique est totale, détachée des genres, pour libérer une pure émotion, enfantine, taillée dans le plaisir du son.

La simplicité de From A Seaside Town est affolante : c’était donc ça. Une syllabe et une boucle fécondés par un sax. Ils vécurent longtemps et heureux jusqu’à la fin des temps. Hinterland se situe dans un contexte où quelques têtes chercheuses s’essaient à dépasser/expanser le hip-hop : Rae and Christian, Automator ou encore DJ Shadow. Aim le fait avec une justesse, une modestie dans l’approche et un tact qui refusent tous les effets de facilité. Les points de bascule entre les genres sont ici tous naturels et intégrés à un seul et même flux, infiniment relâché et soigné. Le final d’Hinterland est peut-être le seul élément frustrant du disque : après les pièces de transition jazzy que sont Mag et Peru, le disque s’achève sur un morceau de hip-hop old school chanté par le rappeur du Maryland, Substantial. Le morceau est élégant et très doux mais pas aussi marquant ou émouvant qu’on aurait pu le souhaiter.

L’ambiance s’éteint finalement comme elle était née : paisiblement et en rejetant l’attrait du spectaculaire. C’est toutefois ce petit défaut d’apothéose qui empêche le disque d’atteindre la perfection. A cette nuance près, Hinterland est l’un des meilleurs disques d’atmosphère de ces trente dernières années.

Pour les amateurs de vinyle, la réédition en deux disques est tout bonnement remarquable.

Tracklist
01. Intro
02. The Girl Who Fell Through The Ice
03. What Do People Do All Day
04. No Restriction
05. Fall Break
06. Guimar
07. Good Disease
08. The Omen
09. Linctus
10. Vipco
11. A Twilight Zone
12. From A Seaside Town
13. Hinterland
14. Mag
15. Peru
16. Nightlife
Liens

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