Jon Kennedy / MMXX
[Jon Kennedy Federation]

7.9 Note de l'auteur
7.9

Jon Kennedy - MMXXEncore un bel exemple d’injustice critique : le peu d’écho et de crédit accordé à la musique de l’Anglais Jon Kennedy est un crève-cœur. A la tête de la Jon Kennedy Federation, l’ancien pensionnaire du label Grand Central Records, où on l’avait découvert au début des années 2000, signe aujourd’hui avec MMXX (pour 2020, donc), son septième et peut-être meilleur album. MMXX aurait tout aussi bien pu s’appeler : « non, non, le trip-hop n’est pas mort », tant il fait ressurgir un genre qui, en tant que tel, ne mobilise plus grand monde. C’est évidemment bien dommage tant ce mélange passionné de beats, de sons et lignes de basse, de mélodies accrocheuses et de samples, garde, décennie après décennie, toute sa séduction et sa pertinence.

A la tête de la Jon Kennedy Federation, une sorte de PME numérique et artistique depuis laquelle l’homme gagne sa vie en faisant le DJ, des productions et divers travaux utilitaires, Jon Kennedy s’engouffre dans ce MMXX magistral avec un Once Upon A Time qui emprunte à la Nuit du Chasseur sa ritournelle la plus craquante et fragile. L’électro est vigoureuse, cristalline et décidée, ce qui confère à cette entame le charme et l’intensité de l’évidence. The Base qui suit renvoie à la sensualité féline d’une face B de Gorillaz. Le chant sur ce morceau n’est, du reste, pas sans rappeler celui de Damon Albarn, ce qui ajoute à la coolitude de l’affaire. On y entend la même décontraction branchée, pleine de sérénité et d’assurance. Rappelons aux plus jeunes que Jon Kennedy est avant tout un spécialiste des rythmiques (batteur de son état) et un percussionniste hors pair, ce qui ne l’empêche pas ici de jouer, à l’ancienne, de la totalité des instruments : synthés, guitares, basses et claviers. Le disque évolue dans un univers très personnel où l’on glisse d’un territoire drum’n’bass presque désuet (Return To Vysocina) à la Chemical Brothers, à des plages ambient ou soul (le remarquable Back From The Beyond). Kennedy fait le coup des bruits d’orgasme et de chatte en chaleur sur le curieux Kun avant de nous servir un splendide titre rétro-soul sur No Help, l’une des meilleures plages du disque. MMXX, bien que millésimé 2020, s’écoute véritablement avec une oreille perdue au début des années 2000.

Sur Toy Soldiers, le clin d’œil au Aim d’Andy Turner jouant avec les époques est presque évident. Jon Kennedy est de cette génération là qui n’hésitait pas à faire cohabiter les cuivres et les machines pour créer un effet de nostalgie et de confort. La formule reste efficace et irrésistible. Chaque titre prend le temps d’installer un climat, une ambiance. Même les titres qu’on considérerait ailleurs comme des pièces de transition (The Melt) sont très travaillées. « Time doesn’t matter » entend-on sur Remember Him. C’est évidemment la clé de tout : le voyage dans le temps, le voyage entre les âges et les supports utilisés par les hommes pour graver la musique. Strung Along n’est qu’un souffle de vinyle, patiné et scratché en un morceau de jazz. C’est d’une beauté simplissime et presque douloureuse. Chaque pièce est un souvenir arraché à la mémoire d’un homme qui n’aurait vécu qu’entouré de disques et de fous chantants. Kennedy se souvient des musiques noires. Il se souvient de la soul. Il se souvient de toutes les époques qu’il n’a pas connues et des légendes disparues. Sa musique est un lointain écho des temps où on jouait sur le port, où on chantait dans les bars de Manchester. Avant de partir en mer, avant de se marier ou de faire n’importe quelle autre connerie. Ce n’est pas la musique elle-même qu’on chérissait alors mais ce qu’elle permettait d’abandonner. Voilà ce qu’exprime Something Savvy. Il faut mettre de côté : pas pour s’en servir après mais juste pour se souvenir des temps passés. « Are you still with me ? », lance un chanteur-astronaute sur le final Four Borders. « There must be something else, out there./ Are you still with me ? » On dirait du Bowie. Major Tom, Thom Yorke ou Damon Albarn. Le trip-hop sonnait pour ses pionniers comme une exploration spatiale. Il est temps de quitter la capsule et de laisser le passé nous submerger.

Jon Kennedy le fait avec panache, avec talent et avec une grâce qui nous fait regretter d’avoir vieilli à cette vitesse. Il n’y aura pas de miracle, ni pour lui, ni pour nous.

Tracklist
01. Once Upon A Time
02. The Base
03. Return To Vysocina
04. Back From The Beyond
05. Kun
06. No Help
07. Toy Soldiers
08. The Melt
09. Remember Him
10. Strung Along
11. Something Savvy
12. Four Borders
Ecouter Jon Kennedy - MMXX

Liens
Le site de l’artiste
L’artiste sur Facebook
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Morrissey a 60 ans : on peut mourir tranquille
A quelques mesures près, comme ici lors d’un live assez ancien capté...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *