La Luz / Weirdo Shrine
[PIAS / Hardly Art]

La Luz / Weirdo Shrine Ecouter le deuxième album de La Luz, Weirdo Shrine, sous le tonnerre d’un orage d’été est une expérience qui procure le frisson. Leur surf rock noir, les éclairs et la chaude pluie du mois d’août vont si bien ensemble qu’on souhaiterait qu’il pleuve chaque jour pour servir l’électricité sensuelle de ce nouveau joyau.

English version below.

On l’a déjà dit et écrit: on adore ce groupe depuis ses débuts. On adore leur son de guitare inouï, leur attitude et leur majesté de femmes post-viriles. On aime la voix de Shana Cleveland et aussi sa poésie d’étudiante. Le premier album de La Luz, It’s Alive, fait partie des meilleures choses qui nous sont arrivées en 2013 et on avait eu une sacrée trouille quand on avait appris un peu plus tard que le bus de tournée des filles avait été désintégré dans un accident de nuit après un concert.
La mort des La Luz aurait été une perte irréparable, comme ça l’est toujours dans ces cas là, en soi, mais aussi pour ce qu’on avait placé d’espoirs dans ce groupe. Il ne faut pas surestimer l’importance qu’a pu avoir cette mésaventure sur le ton de l’album. Si Weirdo Shrine est plus sombre et moins fringant que son prédécesseur, ce n’est peut-être pas parce que le groupe a failli rejoindre l’autre côté mais juste parce que le groupe a évolué sur ses bases.

Weirdo Shrine est un album assez différent du précédent. Il est plus bizarre et moins joyeux, plus brut et brutal d’une certaine façon, avec du delay et des reverbs qui sèment la pagaille là où il faut quand il faut et une collection fantastique de chansons offensives et 100% féminines. La Luz est un groupe qui ne ressemble à aucun autre en activité. Sa signature sonore est si spécifique qu’on se demande d’abord ce que Ty Segall, qui a produit l’album dans un studio aménagé dans une vieille usine de planches de surf, a bien pu amener au groupe. On ne retrouve sur l’album aucun truc bidon de production, aucun tour de passe-passe hippy chic qui font l’ordinaire des productions branchées. Mieux que ça, on navigue ici dans les mêmes eaux pétillantes et accueillantes que sur It’s Alive : les hymnes rétro soul, les rythmes surf et les magnifiques choeurs yououououshalala de filles sensuelles à l’arrière-plan créent une atmosphère californienne relâchée aux accents Tarantinesques, chaudes comme un western érotisé. La musique de La Luz est par essence une musique cinématographique, même si les titres et le contenu des textes n’évoquent en aucune manière rien d’affriolant.

On avait craint que Ty Segall éclaircisse le propos et renforce la sensualité du tout pour préparer le groupe au succès commercial qui lui tendait les bras. Il aurait pu jouer aussi sur le charme mélodique du groupe mais il n’en a rien fait. Au contraire, il semble que le groupe et son producteur mégacool aient choisi délibérément de laisser les choses en l’état et de ne pas stimuler le potentiel d’affolement du quatuor : Weirdo Shrine est plus solide qu’attrape-tout ou immédiatement séduisant, et ne profite jamais de notre faiblesse. C’est un disque qui finalement se rapproche plus du disque d’ambiance et d’atmosphère que du réservoir à tubes. En cela, il se pose comme un disque atypique dans un genre (le surf rock) qui a toujours affectionné les performances d’un soir. La plupart des titres de l’album, si l’on met de côté l’évidence tubesque de You Disappear, sont des growers, des morceaux qui gagnent en force au fil des écoutes et dont l’attrait se gagne pas à pas et rapporté les uns aux autres. Certains pourraient penser, pour cette raison, que Weirdo Shrine est juste plus faible et moins intéressant que son prédécesseur mais ce n’est pas vraiment le cas. C’est juste un album qui est meilleur que la somme de ses parties.

La maestria des filles saute aux oreilles sur chaque titre. Les La Luz jouent à la perfection de leurs instruments. Elles en jouent avec grâce, précision, inspiration le plus souvent et surtout prêtent une attention de tous les instants les unes aux autres. C’est probablement là que réside le secret d’une musique dont la qualité repose en grande partie sur l’harmonie et l’enthousiasme, sur le sens du rythme et l’élan collectif. Tout le monde est à sa place. Personne n’essaie de dominer l’autre. Il y a bien sûr au centre du jeu Shana Cleveland et ses guitares, sa manière de chanter. Mais Alice Sandahl est tout aussi incroyable au clavier et à l’orgue. Et le disque ne serait pas grand chose sans la batteuse Maria Li Pino qui n’est pas très loin de ravir la vedette à ses collègues ici, tant son jeu est brillant et impressionnant de variété. Il faut vraiment s’attarder sur la batterie de Li Pino : plus classique qu’illustrative sur I Can’t Speak, elle se fait musclée et décisive sur Hey Papy. La chanson I Wanna Be Alone (With You), l’une des meilleures de l’album, est un excellent exemple de cette manière de jouer à l’unisson. Lena Simon à la basse et Li Pino posent les fondations discrètes et légères comme l’air sur lesquelles Cleveland vient lancer sa plainte malicieuse et pleine d’espoir. Le titre est joueur, sexy en diable et se développe avec beaucoup de naturel et de fluidité, jusqu’à un choeur de guitares final qui évoque le meilleur Breeders. A ce stade, la chanson a évolué d’un motif surf à un titre folk pour aller tutoyer l’indie rock à guitares. Pour pas mal de monde et à la première écoute, il est possible que les titres de cet album soient assez difficiles à distinguer, voire se répètent un peu. Ce n’est pas une critique totalement injustifiée. Weirdo Shrine est moins mélodique que son prédécesseur et recherche plus l’harmonie qu’autre chose. Mais il y a suffisamment de variété et de déclinaisons sonores pour qu’on ne se lasse jamais. Oranges est un instrumental de grande qualité, un peu plus lourd et sévère que le reste. Black Hole, Weirdo Shrine est pétri d’idées et de variations subtiles. On a vraiment l’impression que chaque membre du groupe est venu pour tenter des choses et a eu toute la liberté de s’exprimer. Li Pino caresse à brosses puis snare-rolle à l’envie. Cleveland a tout un attirail de pédales et d’effets fuzz qui apportent une belle plus-value à son jeu. Cela ne se remarque pas toujours mais c’est un plaisir de suivre l’évolution d’un groupe qui progresse en s’amusant.

Les textes de Cleveland tiennent la route. Le motif central de l’album est emprunté à la bande dessinée de Charles Burns, Black Hole (Cleveland a traversé longtemps le parc dans lequel les ados de Black Hole se retrouvent, à Seattle, pour rentrer chez elle). Une sorte de tension adolescente plane sur l’ensemble du disque, sourde et inquiétante, pleine d’énergie vénéneuse qui donne des contours fantastiques à la plupart des titres. Cleveland évoque les séparations et les espoirs. Elle parle de rêves et de mort. Sa poésie est parfois naïve mais toujours honnête et suffisamment romantique pour ne pas être ridicule. Sa voix sonne comme celle d’une sirène ou d’un succube, créant une distance étrange et quasi magique entre la réalité qu’elle évoque et le monde dans lequel on évolue. Cette distance produit une sorte de chaleur époque qui vient s’ajouter à notre trouble initial.

Weirdo Shrine est un disque parfait pour l’été mais qui passera aussi les saisons sans peine. La Luz a su, par rapport à un premier essai remarqué, élever le niveau, les enjeux et faire évoluer au delà de nos espérances ce qu’on pouvait attendre d’un groupe de surf rock composé uniquement de femmes. Ce disque ravira les amateurs de musique parce qu’il a à peu près tout pour lui (l’intelligence, le rythme, le savoir-faire) pour provoquer l’émotion et l’admiration.

Listening to La Luz‘s second album, Weirdo Shrine, under a summer thunder storm is something thrilling. Their noir surf rock, lightnings and hot summer rain « sont des choses qui vont si bien ensemble » you’d wish there would be rain every day to accompany this new masterpiece. It already has been said : we love that band. We love that amazing guitar sound. We love their attitude and their all-female post-virile majesty. We love Shana Cleveland‘s voice and simple poetical lyrics. Their first LP, It’s Alive, was one of the best things that happened to us in 2013 then we had feared our life out when the girls had this terrible van accident on their way back from a gig. It would have been a pity, as it is always a pity when those things happen, to have lost anyone here and to let this terrific band in pain and harm. We won’t overestimate what this car accident did to the band. Weirdo Shrine is maybe darker than It’s Alive but it probably could have been without this misfortune.

Weirdo Shrine is quite a different sounding album than the previous one. It is more bizarre and less joyful, a bit rawer in some way, with delay and reverb just where you need some but also a wonderful collection of conquering girl-group songs. We can’t confuse La Luz with any other living band. It has such a peculiar signature sound, we at first can’t see exactly what Ty Segall, who produced the LP in a studio brought in a former surferboard factory (so they say), taught them. No dirty tricks here or any hip « hipster » hop influences. We’re still swimming the same waters : soulful hymns, surf rock rythms and remarkable sensual ooooozy choirs in the back, suggesting both a californian sleazy atmosphere, a Tarantinesque snapshot over a luxurious criminal scene, or a post-modern western. La Luz‘ music is by essence cinematic though it doesn’t refer at all to any of these things. Ty Segall could have reinforced its inner clarity, its suggestive power and (what could have been a good move in terms of commercial success) its melodic charms but he did not. On the contrary, both band and producer chose to keep it like it was and not to push any cursors forward and they were right : Weirdo Shrine is stronger than catchy and never tries to play on our weaknesses. It has more to see with an atmosphere record than a hit-single reservoir. And that’s exactly what surf rock has never been and why this band is so special. We can praise You Disappear of course for its immediate qualities but most songs here are growers and gaining in strength when linked to each other. Some may think, for that very reason, Weirdo Shrine is less interesting and weaker than the previous album but it is not…really. It is just better than the sum of its parts.

What is amazing here is how each member of the band plays her instrument with grace and excellence, accuracy and inspiration but also is waiting and listening to each other. That’s probably where the secret within that music lies and the reason why it sounds so good : each girl plays her part and never tries to dominate her musician sister. Of course is Shana Cleveland taking the lead with her marvellous guitar work and singing but Alice Sandahl is really amazing on keyboards and organ. And Maria Li Pino is not that far to steal the game all along with her drumming. Drums are really impressive here : more classical than illustrative on I Can’t Speak, then strong and decisive on Hey Papy. The song I Wanna Be Alone (With You), probably the best song here, is a good illustration of how things tie in together. Lena Simon on bass and Li Pino lay the foundations for Cleveland’s mischievous wishful complaint. The song is playful and sexy, develops naturally with ease and smoothness until the last conclusive « guitar chorus ». At that point, we have stepped from surf rock to folk music to indie rock, with the song ending like a Breeders’ track. Some critics may find a few songs are quite indistinct and all sound the same. That’s not a totally bad point as Weirdo Shrine is maybe less melodic than its predecessor. But we ‘ve got enough changes and so many different universes to explore here to build a galaxy. Oranges is a really good instrumental. Black Hole, Weirdo Shrine is technically packed with (good) ideas. It sounds like each member of the band has different things to experience and is free to do it inside this band. Li Pino tries brushes, snare rolling. Cleveland seems to play with pedals and fuzzing from time to time. People may not realize it but we can hear the band improving through having fun.

Cleveland’s lyrics are fine. The album central motive is probably from Charles BurnsBlack Hole comics (Cleveland used to cross the park where kids in Black Hole are gathering to get back home in Seattle). And we have this kind of Teenage Angst here crawling around and giving a fantastic tone to most tracks. Cleveland is talking about separation and expectations. She is talking about death and dreams. Her poetry is sometime naive but always honest and romantical enough not to be ridiculous. And her voice is too siren or ghostlike to suggest she does inhabit the same world as we do. This distance gives her lyrics a form of epic warmth which adds to our natural trouble.

So Weirdo Shrine is a very good summer record but it will endure any season as well. La Luz has higher standards and stakes and that’s a good news for surf rock and girls group united. This LP is a record for music lovers. It has all they need in terms of intelligence, rythms and art to provoke admiration and emotion.

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